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Ukraine : Sommes-nous à l’aube d’un conflit majeur ?

Johan Savoy
10 février 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Johan Savoy – Chef de pupitre sport et bien-être

Les tensions continuent de s’accroître entre Moscou et Kiev en ce début d’année 2022. D’un côté, l’Ukraine se sent tiraillée entre l’Occident et les séparatistes pro-russes. D’un autre, la Russie se sent menacée par ce qu’elle perçoit comme une volonté d’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) dans sa sphère d’influence. La guerre menace et l’inquiétude grandit.

Le phénomène a pris de l’ampleur en fin d’année 2021, alors que la Russie décidait de déployer 100 000 soldats à la frontière ukrainienne, attirant ainsi le regard du monde entier sur un conflit couvant depuis plusieurs années. Moscou continue de nier ses intentions belliqueuses en invoquant l’adoption d’une politique de défense face aux activités dites expansionnistes de l’OTAN, alors que Kiev et Washington les perçoivent comme telles.

Huit ans de conflit

Dominique Arel, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa (U d’O) et titulaire de la Chaire des études ukrainiennes, rappelle que le conflit actuel trouve sa source en 2014. « L’Ukraine voulait alors signer un accord commercial avec l’Union européenne, ce qui était perçu comme une première étape vers l’Europe », énonce-t-il.

Un accord qui ne s’est finalement jamais concrétisé, poursuit-il, précisant que « le gouvernement de l’époque, qui était plutôt orienté vers la Russie, avait finalement viré capot sous pression russe ». La situation avait alors provoqué des manifestations de grande ampleur sur la place centrale de Kiev, avant de dégénérer en révolte contre « l’arbitraire et la violence de l’État », selon le professeur. Ce soulèvement, connu sous le nom de Révolution de Maïdan, a conduit à la chute du président alors en poste, Viktor Ianoukovytch.  

Pour Ferry de Kerckhove, ancien ambassadeur du Canada dans plusieurs pays et professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’U d’O, cette révolution représente le choix fondamental de l’Ukraine de se tourner vers l’Occident. Il souligne toutefois que la vision européenne des pays d’Europe de l’Est diffère grandement de celle des fondateurs du marché commun. Il s’agissait, selon lui, d’une volonté de participation économique plutôt qu’une intégration à proprement parler.

« Dans ce contexte d’instabilité, […] l’armée russe a été envoyée pour annexer une province de l’Ukraine à majorité russe, la Crimée », continue Arel. Une rébellion a ensuite éclaté dans le Donbass, région est-ukrainienne représentant historiquement « le cœur industriel de l’Empire russe ».

Cette rébellion s’est ensuite transformée en guerre, explique le professeur, mentionnant que l’envoi de troupes russes afin d’éviter une défaite des rebelles a eu pour effet de stabiliser le front. « Deux accords de paix ont depuis été négociés, le dernier remontant à février 2015, mais les armées continuent [d’échanger des tirs] de manière statique depuis maintenant sept ans », conclut-il.

Quel objectif pour Poutine… ?

Selon l’ex-ambassadeur, l’annexion de la Crimée en 2014 témoigne d’une certaine volonté de rétablir l’ordre des choses du point de vue de Vladimir Poutine. Il rappelle que la péninsule est historiquement russe et qu’elle fut donnée « dans un geste large » par Khrouchtchev à l’Ukraine lors de son ascension au pouvoir. La reprise de celle-ci n’ayant pas été gérée lors de l’effondrement de l’Union soviétique, Poutine aurait alors décidé d’agir en 2014 pour reprendre cette région qu’il considère comme sienne, d’après de Kerckhove.

« Pour Poutine, les Ukrainiens et les Russes forment un seul peuple », lâche Arel, expliquant qu’il s’agit là du narratif nationaliste russe depuis 100 ans. « Ce que nous disent les Russes, et notamment leur président, c’est que l’Ukraine n’a pas le droit à l’autodétermination, si par ce terme on entend faire des choix allant potentiellement à l’encontre de la Russie », poursuit-il. Il y a, d’après lui, une certaine tendance en Russie consistant à voir de l’ingérence étrangère dans la volonté d’indépendance ukrainienne, et établissant que l’Ukrainien.ne dit.e « authentique et légitime » s’alignerait naturellement sur Moscou.

Concernant la situation actuelle dans le Donbass et le Donetsk, de Kerckhove affirme que les agissements russes font partie d’une politique délibérée de déstabilisation dont il est difficile de percevoir les objectifs. D’après lui, Poutine voit certainement l’Ukraine comme une partie intégrante de la grande Russie, son objectif étant de rétablir le prestige russe d’antan.

… et pour l’OTAN ?

Arel affirme qu’une volonté expansionniste marquée de l’OTAN est née sous l’égide des administrations Clinton et Bush entre 1997 et 2004, celle-ci se caractérisant par plusieurs vagues d’intégrations, allant des pays d’Europe centrale à l’île de Chypre. Lors du Sommet de l’Organisation à Bucarest en 2008, un compromis avait alors été concocté entre les États-Unis et les membres européens, selon le professeur : « Ils avaient décidé d’annoncer l’intégration de l’Ukraine [sans toutefois établir un échéancier]. »

« L’OTAN [se réjouit] d’avoir l’excuse du déficit démocratique en Ukraine », d’après l’ancien ambassadeur. Selon lui, cette adhésion éventuelle, qui est perçue comme une menace profonde en termes ethno-nationalistes du point de vue de Poutine, n’est pas prête de se réaliser. 

Arel parle quant à lui d’un véritable fiasco politique concernant cette fausse annonce de 2008. « La Russie demande aujourd’hui le retrait de ce qui a été annoncé lors du Sommet, […] ce que politiquement l’OTAN ne peut pas faire », assure-t-il. D’après le professeur, il est évident que l’Ukraine ne se joindra pas à l’Organisation à court ou moyen terme, mais la présence des forces sur le terrain et la déclaration de Bucarest sont bien réelles et problématiques d’un point de vue russe.

Concernant finalement l’éventualité d’une véritable guerre à l’échelle internationale, de Kerckhove et Arel évoquent tous deux une véritable incertitude. Ce dernier se dit toutefois inquiet du durcissement des positions de part et d’autre.

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