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Sports et bien-être

Un changement radical s’annonce dans la consommation d’alcool

Dawson Couture
18 février 2023

Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Rédactrice en chef

Article rédigé par Dawson Couture – Chef du pupitre Sports et bien-être

Aucune quantité d’alcool n’est sans danger. C’est ce qu’a annoncé le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) le mois dernier. Cette organisation, qui travaille étroitement avec Santé Canada, a mis à jour sa ligne directrice pour la première fois en 11 ans. La recommandation fait maintenant l’objet de critiques parmi les expert.e.s, tout comme la population universitaire.

Alors que le rapport final reconnaît que 40 % des Canadien.ne.s âgé.e.s de 15 ans et plus consomment plus de six verres standard par semaine, il fixe le seuil de risque faible à deux verres par semaine. Avec 3 à 6 verres standard, le risque de mourir prématurément devient modéré, alors qu’avec sept verres ou plus, le risque est considéré comme élevé.

Boire moins, c’est mieux

La nouvelle ligne directrice marque un changement drastique depuis la dernière directive en novembre 2011. Auparavant, le CCDUS recommandait une consommation maximale par semaine de 10 verres standard pour les femmes et 15 verres pour les hommes. Aujourd’hui, le rapport indique qu’il n’existe plus de niveau de consommation d’alcool sans danger.

Tim Stockwell, un des scientifiques à l’origine de l’ancienne directive, explique que le changement est principalement dû à la façon dont le CCDUS a choisi de mesurer le niveau de risque. L’ancien directeur du Canadian Institute for Substance Use Research à l’Université de Victoria souligne que mesurer le risque basé sur la probabilité de vivre plus ou moins longtemps que les personnes qui s’abstiennent proposait des résultats moins fiables. La nouvelle ligne directrice est fondée sur le risque de mort prématurée, spécifiquement dans le cas de 18 maladies liées à la consommation d’alcool (y compris le cancer du sein et du côlon).

Le rapport définit une mort prématurée comme étant équivalente à 17,5 années de vie perdues. Les personnes qui consomment deux verres par semaine perdent donc, en moyenne, six jours de leur vie. Le scientifique ajoute que toute consommation additionnelle augmente exponentiellement le risque. En guise de comparaison, une boisson alcoolique moyenne propose le même risque qu’une cigarette, affirme Stockwell. 

Pour Andrew Hathaway, professeur de politique publique à l’Université de Guelph, les données du rapport peuvent être statistiquement significatives, mais elles ne sont pas nécessairement pratiquement significatives. Si les deux intervenant.e.s admettent que le seuil de deux verres est arbitraire, le fait d’appeler toute consommation dangereuse est notable. « Dans ce cas, la chose responsable à dire ne serait-elle pas de ne pas boire de poison du tout ? », avance Hathaway. 

Une réception mitigée

Le professeur exprime son scepticisme à l’égard de l’efficacité d’une directive aussi restrictive pour changer le comportement des consommateur.ice.s. « Je ne pense pas que la plupart des gens boivent en partant du principe que c’est bon pour eux.elles », insiste-t-il. Le risque, selon lui, est qu’avec des exigences trop strictes, les gens deviennent dédaigneux.ses et commencent à ignorer tout type d’information liée à la santé publique.

Stockwell confirme que le CCDUS « aurait pu mettre un peu de sucre sur la pilule ». De son avis, les chercheur.se.s auraient pu se tenir à la définition de faible risque partagé par le Royaume-Uni et l’Australie, soit d’une chance sur 100 de mourir prématurément plutôt qu’une sur 1000. Selon l’ancien directeur du National Drug Research Institute en Australie, cela augmenterait le seuil de faible risque à environ six verres par semaine.

Il insiste néanmoins sur le fait que les médias ont en quelque sorte changé le récit. La directive a pour but, selon lui, d’informer le public des risques plutôt que de prescrire un niveau de consommation acceptable.

Cela fait maintenant des décennies que l’alcool est classé parmi les produits cancérogènes du groupe 1 par l’Organisation mondiale de la santé. Un des grands changements signalés par le rapport, selon Stockwell, est la réfutation de la croyance populaire selon laquelle la consommation d’alcool peut être bénéfique pour le sommeil et la santé.

Traiter l’alcool comme le tabac ?

Selon les études, l’État canadien enregistre annuellement un déficit de plusieurs milliards de dollars des ventes d’alcool par rapport aux coûts sociétaux provoqués par l’alcool. Tout comme le tabac, le scientifique de carrière certifie que l’alcool a ses propres effets secondaires, y compris la nuisance publique, la conduite avec facultés affaiblies, l’alcoolisme fœtal et la rupture de familles.

Pour Stockwell, la solution la plus efficace est donc d’augmenter le prix minimum d’une boisson standard. Tout en reconnaissant l’effet disproportionné sur les Canadien.ne.s à faible revenu, les essais démontrent, selon lui, qu’ils.elles passent rarement aux drogues illicites, à l’exception de la marijuana, « qui est bien meilleure pour la santé que l’alcool ».

En plus de deux projets de loi au Parlement, Stockwell confirme que Santé Canada est actuellement en discussion active sur l’addition d’étiquettes d’avertissement sur les bouteilles. Alors que Hathaway voit cette démarche comme étant « inévitable », il suggère qu’« avant de commencer à nous inquiéter d’étiquettes supplémentaires, nous pourrions être un peu plus intelligent.e.s dans ce qui est autorisé en termes de marketing ». Il reste cependant à voir comment l’industrie de l’alcool répondra à de telles politiques.

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