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Sports et bien-être

Apologie de l’ennui et des pauses-café

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique 

Chronique rédigée par Ismail Bekkali Journaliste

La semaine de lecture s’est achevée, les salles d’étude continuent à se remplir et les étudiant.e.s se rappellent sinistrement que les examens finaux approchent. C’est dans ce cadre anxiogène de révisions que j’ai eu l’occasion d’observer les névroses de chacun.e et de réaliser un choc culturel. Entre absorptions régulières de Red Bull, de Monster et d’autres boissons énergisantes, j’ai fait la découverte que la plupart des personnes dans mon entourage avaient un rapport au café bien différent du mien. 

Découverte fracassante 

Comme beaucoup d’étudiant.e.s, j’ai moi aussi mon carburant de prédilection. À l’instar des voitures roulant au fioul ou au diesel, mon moteur fonctionne au café depuis plusieurs années. Je pensais bien connaître la substance jusqu’au jour où je suis rentré pour la première fois dans un coffee shop populaire au Canada. Face au nombre infini de boissons offertes, je ne pouvais qu’admettre mon ignorance de la culture du café nord-américaine. N’étant pas originaire du Canada, les mots frappuccino et syrup pump ou des saveurs comme le pumpkin spice étaient des énigmes à mes yeux. Alors que les client.e.s passaient leurs commandes, j’essayais de comprendre les instructions qu’ils.elles donnaient aux baristas et qui, pour moi, étaient incompréhensibles. 

Au fil des mois, j’ai découvert qu’il était possible d’avoir un café à la courge à partir du mois de septembre, mais surtout, que les boissons auxquelles j’étais habitué avaient un nom différent. J’ai finalement compris que ce qu’on appelle ici un « café » est à mon sens une tasse d’eau chaude aromatisée et non un « espresso » allongé. Quant aux nombreuses boissons sucrées qui en sont dérivées, je n’ai longtemps pas su expliquer l’intérêt de diluer le goût initial du café. Les principales raisons qui me poussent à consommer un café sont justement son goût et ses arômes naturels, un attrait que j’ai du mal à retrouver dans les commerces environnants. À force d’interroger mon entourage, j’ai compris que ce qui motive beaucoup d’étudiant.e.s à boire du café est son effet stimulant et non sa saveur. Le breuvage n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’améliorer sa productivité. 

Consommer pour mieux produire 

J’ai grandi avec une culture du café différente où le lien entre café et productivité au travail est loin d’être systématique. À mes yeux, l’idée de « prendre un café » revient à se réserver un temps de calme favorisant le repos, voire la sociabilité, d’où l’expression « pause-café ». L’idée de mettre en suspens son activité implique un moment de répit permettant de se concentrer sur autre chose, comme l’amertume du café.  

Ces perceptions différentes du café se manifestent aussi dans ma conception de ce que devrait être un coffee shop : un espace plus ou moins calme, qui est favorable à des discussions confortables sur un canapé, mais pas nécessairement pour travailler. Or, la majorité des commerces au Canada, à l’opposé de l’idée de tranquillité, combinent souvent bruit, queues et frustrations. À titre d’illustration, la file d’attente du Tim Hortons à 10h du matin est un paysage qui m’impressionnera toujours. Vraisemblablement, le lieu reproduit les conditions du bâtiment CRX en heure de pointe que je préfère éviter.  

À défaut d’avoir récupéré mon eau chaude fade, je pallie mon manque de caféine et enchaîne analyse de textes et rédaction de chroniques en attendant la fin de ma journée. C’est au cours de ces longues heures de sevrage que je finis par éprouver de la compassion pour ceux.celles qui attendent de recevoir leur dose de café dans une file. Le fait que le goût soit apprécié ou non est une considération ridicule en comparaison de la nécessité de rester éveillé. 

L’art de ne rien faire (ou presque)

La rentabilité dans le travail académique ou professionnel est si prioritaire que l’idée de réserver un moment de sa journée à ne rien faire instaure un sentiment de culpabilité. Cette impression s’insinue même dans les périodes de congé. Alors que certain.e.s de mes ami.e.s ont tiré profit de leur semaine de relâche en voyageant, j’avais pour projet de rattraper mes heures de sommeil. Les personnes de mon âge cherchent à rentabiliser leur temps libre pendant que la vieille personne que je deviens se contente au mieux de regarder un documentaire Arte avec une tasse de thé.  

J’admets pourtant qu’il est important de rester actif, de demeurer efficace dans son travail et de profiter de chaque instant que la vie nous offre. Cette dissonance cognitive entre ambition et inaction transparaît davantage en fin de semaine. Dès le jeudi, je commence à planifier mon week-end en prévoyant de sortir, d’aller au cinéma, de voir un spectacle… Vendredi soir, j’avoue déjà ma défaite sur le sofa devant une série historique. J’aimerais profiter de mon temps libre en allant dans un festival ou en faisant une randonnée, mais, en fin de compte, faire les courses ou plier du linge sont devenues malgré moi des activités essentielles. Les mois passent et j’ai l’impression de me transformer en une personne du troisième âge. J’apprécie l’ennui et les occupations monotones qui l’accompagnent, comme le fait de ne rien faire en buvant du café.

Peut-être que l’inactivité est un élément essentiel pour développer un goût pour le café. Peut-être faut-il gaspiller assez de temps en s’ennuyant pour finir par apprécier au bout de plusieurs années un breuvage que l’on détestait. Après avoir perdu tellement d’heures à boire cette chose amère, je ne peux m’empêcher de donner raison aux coffee shops canadiens et à leur modèle de production à la chaîne. En attendant que d’autres se joignent à ce hobby inutile et chronophage, j’encourage tou.te.s les acharné.e.s du travail qui n’aiment pas forcément le café à ne surtout pas suivre mon exemple. Je leur souhaite beaucoup de réussite dans leurs efforts de productivité sans l’assistance d’une dépendance à la caféine. Cependant, lorsque la cacophonie de la vie devient un peu trop assourdissante, il est important de s’accorder des moments de silence.

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