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Arts et culture

Art et diversité : Un dialogue nécessaire

Antoine Jetté-Ottavi
5 Décembre 2024

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Article rédigé par Antoine Jetté-Ottavi — Chef du pupitre Arts et culture

La notion de diversité, souvent utilisée dans le cadre de la création artistique, soulève des questions essentielles sur la représentation, l’inclusivité et la fidélité des récits culturels. Dans ce contexte, il est pertinent d’analyser les défis auxquels sont confrontés les artistes et les organismes de création, ainsi que les stratégies mises en place pour garantir une véritable intégration de toutes les identités.

Mani Soleymanlou, né en Iran, est un artiste de la scène et du cinéma canadien, principalement connu du côté francophone pour ses rôles de Hedi dans Boucherie Halal ou de Jasmin dans La Femme de mon frère. Au théâtre, il a fait son nom avec l’écriture et la mise en scène de Cinq à sept ou encore des Lettres arabes 2. Diplômé à l’École nationale de théâtre du Canada en 2008, il a fondé en 2011 la compagnie de création théâtrale Orange Noyée, puis, en 2021, il a enfilé le chapeau de son rôle actuel – directeur artistique du théâtre francophone au Centre national des arts (CNA).

Jean-Simon Traversy, quant à lui, est co-directeur artistique de Duceppe. Il a reçu en 2010 son diplôme du Conservatoire d’art dramatique de Montréal. En 2017, il a obtenu son rôle de directeur à Duceppe en 2017, en coordination avec David Laurin, avec qui il a forgé sa carrière à la barre de la compagnie LAB87. Traversy travaille présentement sur l’adaptation théâtrale d’Incendies.

Pluralité qui transcende

En entrevue avec La Rotonde, Soleymanlou aborde son parcours artistique ainsi que les nombreux défis éthiques traversés avant d’arriver où il en est aujourd’hui. Il se questionne sur le mot « diversité », qui, selon lui, n’a plus sa place en 2024 : « déjà juste le mot diversité m’irrite beaucoup, à mesure où il n’y a personne issue de la diversité qui se considère comme issue de la diversité ».

Toujours dans cet état d’esprit, Soleymanlou insiste sur le sentiment d’imposition provoquée par une censure sociale dans le but d’alléger les vrais maux. Il pense que la société devrait plutôt évoquer « la pluralité », qui à son sens est plus inclusive et moins discriminatoire pour les personnes minoritaires. « Je pense que l’important, c’est de pouvoir mettre [le mot diversité] de l’avant différemment ; avec plus de tact, de soin et de justesse dans l’approche », insiste Soleymanlou. Pour lui, un scénario se doit d’être fidèle à la société, sans pour autant mettre en scène des minorités sociales dans le but de plaire. C’est pourquoi le terme pluralité a plus de sens à ses yeux.

Pour un art sans frontières

Traversy explique, grâce à une comparaison sur le hockey, qu’au début de sa carrière, les personnes issues de la diversité n’avaient pas le même temps de glace que les autres : tout le monde n’avait pas la même opportunité de briller. Avec le temps, il a remarqué une amélioration, affirmant même que ces personnes sont plutôt « en demande », car c’est ce que le public souhaite voir, d’après lui. 

Afin d’assurer l’inclusivité et son intégration dans les arts et dans le système de création, il faut d’abord choisir judicieusement les œuvres et les metteur.se.s en scène de sorte à éviter des conflits de représentations, d’après le co-directeur. Les acteur.ice.s sont ensuite choisi.e.s en auditions, afin d’assurer la justesse du processus, et celles et ceux ayant moins d’expérience sont accompagné.e.s par un coach. Selon Traversy, c’est ainsi que le théâtre devient une représentation fidèle de la société. À titre d’exemple, le co-directeur met en avant la pièce adaptée du roman Manikanetish de Naomi Fontaine, mise en scène en 2022-2023. Traversy explique que l’encadrement des jeunes acteur.ice.s, âgé.e.s entre 16 et 17 ans, a été essentiel au processus de création et que leur origine autochtone a rendu l’adaptation encore plus fidèle à l’œuvre. 

Éviter les pièges

Soleymanlou mentionne les difficultés rencontrées durant son parcours professionnel, en s’attaquant directement aux castings faussement représentatifs des minorités visibles et sociales. « Dans les films, toutes les perosnnes de mon origine ou de mon nom de famille étaient des terroristes, des chauffeurs de taxi ou des méchants », illustre-t-il. Il insiste que cela « est le plus gros danger et le plus gros défi » auquel il a été confronté.

Le directeur artistique affirme qu’il a passé beaucoup de temps à parler de ses origines au fil de sa carrière. Lorsqu’il a eu l’opportunité de créer pour la première fois, il a cherché à parler de son héritage culturel, qu’il ne connaissait pas réellement. Ses recherches lui ont permis de « teindre [sa] création théâtrale » : aujourd’hui, il critique ce besoin irréfutable de se mettre, soi-même et ses origines, au centre de l’histoire. Soleymanlou juge qu’il n’est « plus issu de la diversité, tellement il y a des gens issus de la diversité ». À ses yeux, il faut arrêter de voir dans le regard de l’autre quelque chose qui est différent de nous.

Public décisif

Alors que Traversy explique l’importance de la sensibilisation dans l’équipe d’artistes par le biais de formations sur le respect, il évoque également l’importance d’éduquer le public vis-à-vis de cette empathie : « on ne contrôle pas comment les gens dans la salle reçoivent les oeuvres, mais on essaie le plus possible de leur donner des outils ». 

Soleymanlou fait appel à la responsabilité collective dans la façon dont les choses peuvent se déplier et inviter à faire attention à « comment on parle de nous, comment on est mis en scène, comment on est raconté ». Le co-directeur de Duceppe rappelle quant à lui qu’il ne faut jamais oublier la présence du public, puisque « c’est lui qui fait la différence [et qui décide si] notre histoire est racontée devant deux personnes ou devant 24 000 personnes ».  

Pour Soleymanlou, il faut utiliser la scène dans le but de toucher le public et de lui offrir une représentation vraie de la société, dans toute sa beauté, mais aussi dans toute sa laideur.

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