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Avons-nous franchi le seuil de l’Anthropocène ?

Jessica Malutama
25 novembre 2024

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Article rédigé par Jessica Malutama Cheffe du pupitre Sports et bien-être 

L’Anthropocène désigne une possible nouvelle ère géologique dans laquelle l’impact humain sur la planète aurait radicalement transformé ses systèmes naturels. La question de l’entrée de la Terre dans une telle époque divise la communauté scientifique. Dans un tel contexte, une conférence organisée par le Département de géographie, d’environnement et de géomatique de l’Université d’Ottawa (U d’O) s’est tenue le 21 novembre dernier au pavillon Simard. 

Dans le cadre des séminaires Phipps-Langlois, la présentation, intitulée « L’Anthropocène précoce en Amérique du Nord », a exploré un sujet qui continue de susciter des débats au sein de la communauté scientifique : sommes-nous réellement entré.e.s dans une nouvelle époque géologique appelée Anthropocène ? 

Ladite question a été abordée sous divers angles, en s’interrogeant notamment sur les critères définissant une ère géologique et sur les implications de ces catégorisations pour notre perception de l’environnement, à un moment donné de l’histoire. 

La recherche de marqueurs géologiques

L’Anthropocène est un terme qui renvoie à une nouvelle époque géologique marquée par l’impact humain sur la Terre, a souligné Konrad Gajewski, professeur émérite au Département de géographie, d’environnement et de géomatique de l’U d’O. 

Le conférencier a indiqué comment L’Anthropocène met en lumière la manière dont nos activités seraient désormais une force dominante dans la transformation des systèmes terrestres, allant du climat à la biodiversité, en passant par la géologie.

Toutefois, Gajewski a notifié qu’un large consensus fait encore défaut parmi les géologues. Certain.e.s d’entre eux.elles estiment que nous demeurons toujours dans l’Holocène, et que la reconnaissance formelle de l’Anthropocène comme époque géologique n’est pas encore justifiée. 

Erika Brummell, présidente de l’Association des étudiant.e.s diplômé.e.s en géographie, rappelle que l’Anthropocène sert avant tout de cadre pour décrire les transformations profondes de la planète sous l’effet des humain.e.s, transformations qui, selon certain.e.s scientifiques, se seraient accélérées avec la Révolution industrielle. Cela inclut une augmentation marquée des émissions de gaz à effet de serre et un bouleversement radical des écosystèmes. 

Pour appuyer cette définition de l’Anthropocène, les géologues cherchent des marqueurs géologiques distincts, soit des traces tangibles et durables des activités humaines, comme la présence d’isotopes nucléaires issus des essais atomiques du XXe siècle ou la prolifération de plastiques dans l’environnement, a exprimé le conférencier. 

Dans ses travaux de paléoclimatologie, le professeur Gajewski a introduit la notion d’« Anthropocène précoce », une période qui remonterait à bien avant la Révolution industrielle. Selon lui, les premiers effets de l’activité humaine sur les cycles biogéochimiques et l’écosystème global pourraient être observés dès les débuts de l’agriculture dans le Croissant fertile, il y a plusieurs milliers d’années. 

Cette hypothèse suggère que l’expansion des sociétés humaines, avec le développement de l’agriculture et la déforestation, avait déjà commencé à altérer les concentrations de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère, bien avant la seconde moitié du XIXe siècle. 

Un manque de consensus scientifique 

Le manque de consensus réside notamment dans l’absence de marqueurs géologiques clairs et universels, à l’inverse des précédentes transitions géologiques, qui s’appuyaient sur des changements facilement identifiables dans les fossiles ou les roches, a informé le conférencier. 

En outre, la période de temps durant laquelle les impacts humains sont devenus significatifs demeure un point de friction. Selon certain.e.s géologues, 60 ou 70 ans d’influence humaine ne suffiraient pas à justifier la désignation d’une nouvelle époque.

Bien que l’Anthropocène précoce ne soit pas encore formellement reconnu, Gajewski trouve que l’hypothèse est soutenue par des données historiques et archéologiques qui attestent de transformations majeures des environnements, dans les premières civilisations humaines. « Chaque fois que les humain.e.s se sont installé.e.s dans de nouvelles régions, des extinctions d’espèces ont suivi. C’est un aspect de notre espèce », a-t-il déclaré. 

Une question de pertinence sociopolitique

D’après Brummell, bien que l’Union internationale des sciences géologiques (UISG) ait rejeté la proposition de formaliser l’Anthropocène comme une époque géologique, le concept reste pertinent dans un contexte sociopolitique et environnemental

L’étudiante à la maîtrise souligne que si les critères géologiques restent stricts, l’Anthropocène constitue néanmoins un outil utile pour appréhender les changements environnementaux que subit la Terre sous l’influence des sociétés humaines. « Il nous fournit un langage précis pour décrire des transformations profondes et durables », explique-t-elle. 

Selon elle, l’Anthropocène et le séminaire de Gajewski soulèvent une réflexion plus large et rappellent que l’humanité n’est pas distincte de la nature. Elle précise que pour saisir pleinement nos interactions avec le monde, il est essentiel d’étudier les rapports entre les individus, leur environnement et la société, afin de porter un regard critique sur l’évolution du climat à travers le temps. 

Bien que la proposition formelle de l’Anthropocène comme une époque géologique distincte ait été écartée par l’UISG, elle pourrait revenir sur la table dans les années à venir, a mentionné Gajewski. Il a ajouté qu’il faudra attendre au moins dix ans avant qu’une nouvelle demande de reconnaissance ne puisse être formulée, période durant laquelle les scientifiques continueront d’étudier les traces laissées par l’impact humain sur la planète. 

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