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Par Clémence Roy-Darisse – Journaliste
Comment se sent un.e critique de spectacle pendant une pandémie mondiale ? Assez inutil.e. Je m’inclus là-dedans aussi. Ayant passé l’année à superviser la section arts et culture de La Rotonde, je me suis retrouvée dans le néant en mars, à court d’idées et ne sachant pas quoi couvrir, ni comment. Quels sont les impacts majeurs de la pandémie sur ce secteur ? Comment ces derniers affectent-ils le métier de critique de spectacle ? Je me suis lancée sur la question.
18h. Rien à l’horaire. Habituellement, j’aurais deux répétitions de suite pour des projets différents. Je serais en contact étroit avec des gens. À moins de deux mètres. On essayerait de réinventer le monde avec des mots. Voici la description d’un passé aussi lointain qu’aujourd’hui étrange. Je m’ennuie de ces moments, mais mon corps et ma tête sont habitués à autrement.
Sans grande surprise, le secteur des arts a été le premier à être confiné et le dernier à être déconfiné. Le Québec vient tout juste d’annoncer que les rassemblements à l’intérieur de jusqu’à 250 personnes sont permis ; en Ontario il s’agit d’un maximum de 50 personnes.
Cette situation ne permet cependant pas à toutes les salles de rouvrir. De nombreuses salles indépendantes ferment de jour en jour car elles dépendent de la vente de billets. Les salles subventionnées par l’État réclament quant à elles le maintien des subventions et de l’aide financière d’urgence.
Les artistes essuient des pertes particulièrement importantes de revenus. La majorité des revenus des artistes proviennent des spectacles et des activités en présentiel. Le travail de création, bien qu’il représente la partie la plus importante du travail, est souvent le moins payé. Pour se faire payer durant la création, les artistes doivent obtenir des subventions et ces dernières sont très compétitives et réservées à une petite partie d’artistes et de groupes d’artistes seulement.
La majorité des artistes se retrouve donc avec quasiment aucun revenu et leurs employeur.euse.s sont en déficit important ou pire encore, ferment leur porte à cause de la faillite.
Faire beaucoup avec « les moyens du bord »
Loin de moi l’idée de plaindre trop fort les artistes. La santé publique doit bien sûr prôner sur toutes les décisions. Mais il est essentiel de connaître le contexte précaire derrière la création gratuite que nous regardons tous en ligne.
Je me souviens au début du confinement, d’avoir été bombardée d’offres culturelles. Bien que je sois une passionnée, je ne savais pas quoi faire de cette offre. Étant comme plusieurs en télétravail, l’écran représentait pour moi le travail et non une occasion unique d’échapper à mon quotidien, comme le sont habituellement les spectacles.
Concert en direct, festival en ligne, lecture théâtrale par Zoom, spectacle de danse en webdiffusion, capsule humoristique en direct de sa toilette comme l’a fait Louis-José Houde ; les options sont nombreuses. Je me trouve toujours toutefois à manquer le contact humain, la rencontre magique, le sentiment d’appartenance et le plaisir social que seuls les spectacles en personne transmettent.
Cependant, j’ai trouvé une oeuvre particulièrement propice à la distanciation sociale. Il s’agit du parcours Errances de l’artiste de théâtre Mélanie Binette. Conçu comme un parcours solo à la marche d’une durée d’une heure à écouter, les paroles de Binette retracent son deuil suite à la mort de son père 12 ans auparavant. C’est une oeuvre sensible, douce et forte à la fois, qui nous ramène à l’essence de l’art. Elle trouve du sens même dans la douleur et la perte.
Pour les critiques, l’offre culturelle en ligne change la nature même de notre travail. Autrefois en communion avec le public, je suis laissée à moi-même. Comme le dit Marie-Christine Blais en entrevue pour Le Devoir, « le show c’est la scène plus la salle ». La réaction du public teinte l’appréciation de l’oeuvre, mais sans public, qu’extrapoler, qu’écrire ? Le contenu de la critique revient donc à la formation et à la culture générale du critique.
Bien que les paliers provinciaux des conseils des arts aient reçu des enveloppes spéciales pour la relance dans le domaine, celles-ci risquent de ne pas couvrir une majorité d’artistes. 46,4 millions ont été donné au Conseil des arts du Québec (CAQ) pour octroyer davantage de bourses. Le gouvernement ontarien s’est quant à lui fait un peu moins généreux, en accordant 1,6 millions de dollars supplémentaires au Conseil des arts de l’Ontario (CAO). Un spectacle coûte toutefois plusieurs centaines de milliers de dollars à produire.
Un retour plus bienveillant ?
Après la pandémie, au retour dans les salles, comme critique il sera important selon moi de réfléchir à l’accessibilité de l’oeuvre dans le jugement de cette dernière. Durant le confinement, un pan entier de la population en région éloignée, plus vieille, malade ou tout simplement à plus faible revenu aura goûté exceptionnellement à l’accès aux spectacles. Il est important de ne pas laisser de côté ce public lors du retour en salle.
Pour ma part, je sais qu’une fois en salle je prendrai davantage conscience de la chance que j’ai d’assister à un spectacle. Une activité qui auparavant je prenais pour acquis. Selon Marc-André Mongrain, critique, en entrevue pour Le Devoir : « le côté blasé qui vient parfois avec le fait de voir beaucoup de spectacles va prendre le bord. On va moins tenir les spectacles pour acquis. On va revenir à la base du plaisir d’être en communion avec des artistes. »
Le métier de critique reprendra de la chair toutefois dans le contexte précaire de la crise des médias traditionnels. La critique devra elle-même lutter pour survivre, mais restera un métier essentiel à la survie sur le long terme des représentations éphémères.
Les artistes auront de leur côté peut-être profité de ce temps d’arrêt, rare dans un métier extrêmement exigeant. La plupart des artistes travaillent tout le temps et doivent jongler avec une multitude de projets, pour payer les factures et avancer dans leur carrière. Ce temps de vide aura été probablement, pour plusieurs, du jamais vu. Peut-être en ressortiront-ils.elles plus créatif.ve.s ?