Inscrire un terme

Retour
Actualités

Comment le Canada choisit-il ses immigrant.e.s ?

Camille Cottais
15 février 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Le Canada est indubitablement une terre d’accueil pour les immigrant.e.s, et ce depuis sa création en 1867. L’immigration canadienne reste cependant rigoureusement sélectionnée à partir de certains critères, principalement économiques, mais aussi linguistiques. Des inégalités persistent également entre les immigrant.e.s selon leur pays d’origine, dans un pays pourtant connu pour son multiculturalisme et son égalitarisme.

Il existe quatre catégories d’immigrant.e.s au Canada. D’abord, il y a les immigrant.e.s économiques, qui représentent 60 à 70 % des immigrant.e.s et qui sont sélectionné.e.s pour contribuer à l’économie canadienne. Il existe également les immigrations relatives au regroupement familial (20 à 25 %), les réfugié.e.s (10% environ) et les autres immigrant.e.s (3 à 5 %). Il s’agit de résident.e.s permanent.e.s, par opposition aux résident.e.s temporaires (permis d’étude, de travail, demandes d’asile) qui ne sont pas compris.e.s dans la catégorie immigrant.e.s.

Un pays d’immigration

Selon le dernier recensement de 2016, les immigrant.e.s représentent 22 % de la population canadienne et les immigrant.e.s de seconde génération 18 %, faisant du Canada l’une des premières destinations d’immigration dans le monde. De façon similaire à l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, le Canada cherche et choisit son immigration plutôt que de la subir, comme beaucoup de pays européens.

Il y a donc très peu de discours anti-immigration au Canada, affirme Pierre Anctil, historien et professeur en histoire à l’Université d’Ottawa (U d’O), car cette immigration est rarement illégale, contrairement aux États-Unis par exemple, qui partagent une frontière avec le Mexique, mais surtout en raison de l’absence véritable d’une culture canadienne. En effet, continue-t-il, il n’existe pas de manière unique d’être Canadien.ne ou de racines profondes à l’identité canadienne, qui pourraient justifier des discours d’exclusion ou de rejet des immigrant.e.s en vertu de la culture.

Le Canada étant un pays relativement jeune, les immigrant.e.s doivent apporter quelque chose sur le plan économique, souligne Carole Fleuret, professeure à la Faculté d’éducation de l’U d’O, spécialiste de l’immigration et elle-même immigrante. Les immigrant.e.s rapportent donc bien plus qu’ils.elles ne coûtent, s’accordent les deux professeur.e.s. Pendant la pandémie, le nombre de résident.e.s permanent.e.s accueillis a ainsi été augmenté pour relancer l’économie, 2021 devenant l’année où le Canada accueillit le plus de nouveaux.elles arrivant.e.s de son histoire.

Fleuret souligne également les bienfaits non économiques de l’immigration : les immigrant.e.s apportent de la diversité ethnique, démographique, linguistique et religieuse. Ils.elles ont en moyenne un taux d’instruction plus élevé que les personnes nées au Canada. En outre, l’immigration peut contrebalancer le vieillissement de la population, puisque l’âge moyen des immigrant.e.s est bien inférieur à celui des non-immigrant.e.s. 

Des critères économiques

Officiellement, explique Anctil, l’immigration au Canada est sélectionnée selon des critères économiques et linguistiques, mais c’est l’aspect économique qui joue le plus : âge, éducation, profession, nombre d’enfants, capacité d’entrer sur le marché du travail, etc. Le gouvernement fixe chaque année des cibles en matière d’immigration qui, selon Anctil, dépendent essentiellement des besoins du marché canadien.

Fleuret évoque l’impératif pour les immigrant.e.s de posséder un niveau scolaire correspondant aux exigences du Canada. Les standards se sont beaucoup élevés, remarque-t-elle, « car le Canada souhaite que les immigrant.e.s accueilli.e.s s’intègrent rapidement à la société d’accueil. Il ne veut pas de personnes vivant à la charge de l’État ».

Les nationalités les plus communes chez les immigrant.e.s sont philippine, chinoise et indienne. Anctil mentionne en effet que le Canada pioche beaucoup dans ces pays très peuplés « des personnes appartenant à la classe moyenne, déjà “occidentalisé.e.s”, et non pas les paysan.ne.s ou les ouvrier.ère.s ». Il s’agit donc également d’une question de classe sociale. Kenza Seffar, étudiante à l’U d’O en troisième année et originaire du Maroc, évoque à ce sujet le prix du visa et de la visite médicale obligatoire, qui a atteint pour elle environ 300 dollars canadiens, soit l’équivalent du salaire minimum mensuel marocain.

Des critères linguistiques

Les immigrant.e.s connaissant une ou les deux langues officielles du Canada sont bien évidemment favorisé.e.s, avancent les sources. Selon Statistique Canada, 93,2 % des immigrant.e.s connaissent au moins une des deux langues officielles du Canada, dont 82,5 % l’anglais et 10,8 % le français. Ces chiffres changent pour le Québec, qui favorise l’immigration francophone : deux tiers environ ont le français comme première langue officielle parlée, contre un tiers l’anglais.

En effet, explique Anctil, le Québec peut décider de ses propres critères de sélection d’immigration, contrairement aux autres provinces, dont l’Ontario, qui accueille le plus d’immigrant.e.s, qui laissent le gouvernement fédéral procéder lui-même à cette sélection.

Fleuret souligne l’importance de l’immigration francophone hors Québec, notamment en Ontario, pour perpétuer la vitalité linguistique de la province, remplir les écoles francophones et assurer la survivance de la langue française. Cependant, selon un rapport de novembre dernier du Commissariat aux langues officielles, le Canada échoue depuis 2001 à atteindre sa cible en matière d’immigration francophone hors Québec, fixée à 4,4 %.

Des critères « ethniques » ?

D’après la loi, déclare Anctil, il n’y a pas de critères dits « ethniques » pour sélectionner les immigrant.e.s du Canada. Il y en avait jusqu’aux années 60, continue-t-il, mais la politique de multiculturalisme de Pierre Elliott-Trudeau y a mis fin. Dans les faits, est-il plus facile d’immigrer quand on provient de certains pays que d’autres ?

Certains groupes d’immigrant.e.s, de réfugié.e.s ou de résident.e.s permanent.e.s se plaignent régulièrement des difficultés que leur groupe subirait, mais c’est difficile à prouver, répond Anctil. Le gouvernement du Québec et les universités et cégeps québécois dénoncent par exemple fréquemment un haut taux de refus des francophones en provenance d’Afrique voulant étudier au Québec.

S’il est difficile de prouver que l’origine ethnique peut être un obstacle dans le processus d’immigration, certains d’éléments semblent indiquer qu’elle peut compliquer la vie des immigrant.e.s une fois arrivé.e.s au Canada.

Fleuret dénonce ainsi la non-reconnaissance des diplômes acquis à l’étranger, pourtant paradoxalement requis pour immigrer. C’est notamment le cas en médecine, en droit et en génie, ajoute Anctil, et l’immigrant.e doit donc reprendre des études au Canada. Les diplômes européens sont habituellement plus facilement reconnus, grâce au système LMD (licence-master-doctorat) instauré en 2002, explique la professeure. Elle évoque également les accords entre la France et le Québec, qui permettent aux immigrant.e.s français.e.s de bénéficier de certains avantages, comme une réduction des frais de scolarité et l’obtention du régime d’assurance maladie du Québec.

En outre, les étudiant.e.s provenant d’un lycée français ou anglais obtiennent habituellement des crédits lors de leur entrée à l’Université d’Ottawa, explique Seffar, qui en a elle-même obtenu 18. À l’inverse, Tanya Libock et Sadia Tangongossé, toutes deux étudiantes en deuxième année à l’U d’O, respectivement originaires du Cameroun et du Burkina Faso, n’ont pas obtenu de crédit d’équivalences. Libock a même dû valider un prérequis supplémentaire, le cours de MAT 1729, qui est crédité pour celles.ceux de son programme ayant fait une école française.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire