Comment les femmes sont-elles représentées à travers les manuels et la littérature jeunesse ?
Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique
Article rédigé par Eya Ben Nejm – Journaliste
Le système scolaire impacte la perception encore grandissante de l’enfant sur la société. La littérature enseignée y joue un rôle important, car les images illustrées dans les ouvrages pour enfants peuvent renforcer les stéréotypes du genre, ou au contraire tenter de les déconstruire.
Le regard des enfants sur le genre est, en partie, le résultat de leur éducation scolaire. Le rôle des femmes, notamment dans l’histoire, est souvent négligé. Cette représentation des femmes dans les livres, dont ceux destinés aux enfants, remonterait au XVIIIème siècle, d’après Geneviève Boucher, professeure au Département de français et spécialisée en littérature française du XVIIIème siècle.
Les femmes au second plan
La professeure explique que les femmes ont commencé à apparaître dans les ouvrages à visée pédagogique durant le dernier tiers du XVIIIème siècle. En règle générale, ces livres visaient à construire des modèles moraux et vertueux pour éduquer les jeunes, continue-t-elle. En ce qui concerne les filles, d’après Boucher, le but était de « former la future épouse ». Les récits d’émancipation des femmes ne voient le jour que durant la deuxième moitié du XXème siècle. Ce développement est donc selon la professeure une « perspective assez récente ».
Grace Mickie, superviseure du bénévolat au Centre de ressources des femmes, critique le rôle qu’attribue la littérature classique aux femmes. Lors d’une pièce de théâtre de Shakespeare, à laquelle elle avait participé durant son secondaire, « les femmes étaient stéréotypées et sentimentales ». Elle décrit « n’avoir jamais vu des femmes émancipées » dans les pièces de théâtre classique qu’elle est allé voir. Professeure Boucher avance que la littérature est construite sur les attentes patriarcales des hommes, les femmes étant ainsi considérées comme des « objets de désir », notamment en ce qui concerne les dynamiques amoureuses. Les femmes sont représentées à travers le regard des hommes, explique-t-elle.
Quant au volet historique présenté aux élèves, les femmes sont quasi inexistantes. Jessie Fournier, étudiante en deuxième année en Biochimie, mentionne n’avoir pas étudié d’exemples incluant des femmes jusqu’à l’étude de la Première et Seconde Guerre mondiale. Mickie ajoute qu’elle se souvient plus facilement des personnalités historiques masculines que féminines, pour la simple raison qu’elles ne sont pas souvent prises en exemple. Boucher définit ainsi l’histoire comme une série d’évènements qui prend en charge une série d’acteurs, et que la valorisation des femmes en histoire est un phénomène « qui arrive très tardivement ».
La représentativité, essentielle de nos jours
Les enseignant.e.s en littérature tentent de s’ouvrir à l’inclusivité, une décision qui se retrouve dans tous les niveaux d’études, décrit professeure Boucher. En ce qui concerne la littérature universitaire, elle observe « un changement dans les dernières décennies ». Durant ses études à la fin des années 90 et au début des années 2000, il n’y avait selon elle aucune volonté d’« équilibrer les lectures pour inclure des autrices […], de penser qu’il était possible d’avoir un corpus qui ne soit pas 100 % masculin. Aujourd’hui, cela a changé, on va toujours trouver des autrices à intégrer ».
Mickie partage elle aussi son expérience qu’elle décrit comme frustrante. En deuxième année, en cours sur la sexualité des femmes, Mickie raconte avoir dû lire trois articles, dont deux écrits par des hommes. L’examen portait sur la comparaison des deux articles. Le troisième, écrit par une femme, n’était pas dans l’énoncé. Mickie révèle avoir été « frustrée, car c’était une question à propos des femmes, de leurs sexualités et de leurs sentiments ». Selon l’étudiante, il est difficile de parler des sentiments des femmes quand on est un homme.
L’évolution est également perceptive dans le système éducatif des enfants. Mickie, qui travaille en contact avec des enfants, constate qu’il y existe beaucoup plus de représentativité qu’auparavant. Elle donne en exemple la lecture de l’histoire d’« Ada Twist, la Scientifique », qui a pour personnage principal une petite fille noire qui aspire à devenir scientifique.
La membre du Centre de ressources des femmes pense que c’est un pas vers l’inclusivité dans le corps professionnel. Quand elle était plus jeune, Mickie explique qu’elle devait faire face à des manuels qui catégorisent seulement les femmes comme « infirmières, vendeuses, et enseignantes » tandis qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas. Pour Mickie, il n’y a plus de métier qui est « destiné » aux femmes : d’après elle, l’inclusivité à l’école change la perception des enfants face aux stéréotypes et aux clichés qui les entourent.