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De la répression violente à l’entrave subtile des libertés 

Mireille Bukasa
26 novembre 2024

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Chronique rédigée par Mireille Bukasa Cheffe du pupitre Actualités

La liberté de croyance, la liberté de pensée, la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de réunion pacifique, la liberté de manifester… Ces quelques termes sacrés sont gravés dans les chartes et constitutions de la majorité des pays dans le monde, dont la Charte canadienne des droits et libertés. Si je pouvais ajouter une phrase à ces documents fondamentaux, j’écrirais : liberté de manifester sans troubler la quiétude de ceux et celles qui gouvernent.

De l’immense territoire canadien aux rives du Congo, la répression des manifestations demeure une réalité, et ce, depuis plusieurs années. En effet, la première répression d’une manifestation qui résonne dans mes souvenirs date d’il y a plus de 30 ans.

Je ne faisais pas partie des manifestant.e.s, mais ma mère, si. Le 16 février 1992, elle a répondu à l’appel de l’Église catholique l’invitant à participer à une manifestation baptisée la « marche de l’espoir ». Ce jour-là, la population de Kinshasa, capitale du Zaïre (actuel République démocratique du Congo) à l’époque, réclamait la reprise de la Conférence nationale souveraine, suspendue par le régime dictatorial de Mobutu Sese Seko. Elle est partie avec une détermination sans faille. J’ai été surprise de la voir revenir rapidement, racontant à mon père qu’elle avait échappé de justesse à des tirs à balles réelles en trouvant refuge dans la maison d’un inconnu.

Ce n’était que le début d’une longue série de manifestations réprimées auxquelles j’ai été témoin en République Démocratique du Congo : des élèves réclamant le droit d’aller à l’école, aux travailleur.se.s revendiquant de meilleures conditions de travail… En tant que journaliste, j’ai couvert plusieurs manifestations qui se sont conclues par des répressions aussi violentes les unes que les autres.

Ces répressions ne se limitent cependant pas qu’au domaine politique ! En Côte d’Ivoire, une dizaine d’activistes défenseurs des droits de la personne ont été condamnés à six mois de prison ferme par le tribunal de Yopougon pour « troubles à l’ordre public ». Ils réclamaient, de manière pacifique, une réduction du coût des denrées alimentaires et de l’électricité, comme le rapporte le journal Le Monde.

À travers le monde

Les répressions violentes et sanglantes en plein 21ᵉ siècle ne sont pourtant pas l’apanage des pays africains. Qui pourrait oublier les manifestations des « Gilets jaunes », qui ont duré près de deux ans et laissé derrière elles plus de 1 000 blessé.e.s, tout cela en raison de la répression exercée par l’État français ?

En Russie, de nombreuses personnes vivent de longues peines d’emprisonnement pour avoir pacifiquement contesté la guerre en Ukraine. 

Rappelons-nous également qu’en 2022, en Chine, la présence policière dans les rues empêchait tout rassemblement et réprimait les manifestant.e.s qui réclamaient la fin des restrictions sanitaires et plus de libertés inédites depuis 1989. 

Il y a deux semaines, The Charlatan, le journal étudiant de l’Université de Carleton, a consacré un article à des allégations d’agression policière survenues à Ottawa lors d’une manifestation pro-palestinienne. « Lors d’une manifestation ayant bloqué les avenues Bronson et Sunnyside pendant deux heures, le Service de police d’Ottawa aurait réagi par des agressions physiques envers les manifestant.e.s étudiant.e.s, » rapporte le journal.

Répression, version diluée ?

Avoir vécu ces répressions violentes m’a indéniablement conduite à un degré d’insensibilité qui me rend moins réceptive aux autres formes de répression, souvent subtiles et presque imperceptibles à mes yeux.

De fait, je n’avais carrément décelé aucune forme de répression dans le fait que l’hiver dernier, l’Université d’Ottawa a interdit, sous peine de graves conséquences, l’installation des campements sur le site universitaire en marge du mouvement de soutien à Gaza.

Je revois, comme un extrait de vidéo au ralenti, l’expression du visage de mon collègue lorsqu’il m’a interrogé sur l’absence de référence à la loi sur le droit de manifester dans mon article consacré à la création des zones bulles par la Ville d’Ottawa. Force est de constater que les limites que nous ne devons pas franchir, en usant nos droits et libertés inscrits dans les chartes et constitutions régissant nos pays, sont subtilement posées au profit des gouvernants.

Hélas ! Comme le chante l’artiste ivoirien Alpha Blondy dans sa chanson Journaliste en danger : « La démocratie du plus fort est toujours la meilleure, c’est comme ça… ».

Ici, ce sont les peuples eux-mêmes qui se trouvent menacés par diverses formes de répression. En s’abritant derrière des formules ambiguës, comme « outrage à l’ordre public » ou « sécurité de notre campus, » les gouvernant.e.s s’arrogent le droit de régner de manière arbitraire, façonnant les règles selon leur bon vouloir.

Qu’elles soient violentes ou non, qu’elles prennent la forme de lois restrictives ou d’amendes exorbitantes, toutes les formes de répression de manifestations pacifiques constituent des atteintes à la démocratie. Ces répressions doivent être dénoncées et fermement condamnées.

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