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Éditorial

La naiveté, c’est contagieux

Web-Rotonde
23 janvier 2017

Éditorial

Par Frédérique Mazerolle, rédactrice en chef

En lisant des édito­riaux de jour­naux nord-améri­cains, plus parti­cu­liè­re­ment quand ceux-ci parlent des problèmes qui sont liés à la jeunesse estu­dian­tine, on comprend assez rapi­de­ment que l’étu­diant.e lambda peut être accusé.e de mille et un crimes par la société. Des crimes à la con, à vrai dire.

Accusations sans fondements?

On accuse les jeunes d’être trop impliqué.e.s dans les causes de justice sociale et de se disso­cier de la réalité qu’ils condamnent d’aus­tère. Ah oui, quelle bande d’anar­chistes, ces jeunes. On les traite de lâches et d’avares quand un.e d’entre eux ou elles ose se lamen­ter quant à la hausse des frais de scola­rité, parce que, bien évidem­ment, ils reçoivent tout, tout cuit dans le bec, ces jeunes. On vous dira que « dans le temps », on travaillait pour avoir quelque chose avec laquelle se nour­rir, se loger et pour­suivre des études post­se­con­daires.

Cette lâcheté serait égale­ment liée au manque de parti­ci­pa­tion des étudiant.e.s, qui, selon certain.e.s, ne feraient que garder la tête dans leurs bouquins, se diver­tis­sant une fois de temps en temps avec des filtres de photos trou­vés sur Snap­chat, en atten­dant tranquille­ment le bout de papier qui leur confir­mera leur statut de « jeune profes­sion­nel.le à la recherche d’em­ploi ». Ah ces jeunes, ce sont des bon.ne.s à rien, sur lesquel.le.s on peut marcher sans qu’ils et elles ne s’en rendent compte. Ce n’est pas pour rien que les frais de scola­rité conti­nuent de montrer, les étudiant.e.s s’en foutent.

Peu importe vos valeurs person­nelles, vous pouvez penser ce que vous voulez de la jeunesse d’aujourd’­hui. Celle-ci est bien trop vaste et diver­si­fiée pour qu’un verdict juste et équi­table soit porté. Par contre, il existe un adjec­tif qui pour­rait bien résoudre l’équa­tion. Les étudiant.e.s, en grande majo­rité, sont naïfs et naïves. Eh oui, c’est dit.

Entre ignorance et insouciance

Il ne faut pas penser qu’ils font tout simple­ment preuve de naïveté. Oh non, le problème est bien plus grave. L’étu­diant.e emblé­ma­tique, malgré le fait que celui-ci ou celle-ci se dise au-delà de l’in­fluence des médias, de la poli­tique et des dernières tendances qui changent chaque semaine, à savoir chaque jour, reste tout de même un gobeur de publi­cité qui ne réflé­chit guère avant de signer un contrat.

Vous direz que le temps se fait court et qu’on ne vit qu’une fois, alors vous n’avez pas le temps de lire les petits carac­tères, là en bas de la feuille. C’est juste­ment ce qu’a fait Ariel dans La Petite Sirène, lorsqu’on lui a offert d’avoir des jambes.

Mais juste­ment, c’est bien ça le problème. Les gens s’em­barquent dans cette aven­ture folle et pitto­resque que sont les études post­se­con­daires en n’ayant presque aucune habi­lité de gérance finan­cière. Marge de crédit? Crédit d’im­pôt? Frais de crédit? Tout ça, c’est du chara­bia aux oreilles tout nouvel­le­ment majeures. Et pour­tant, dès la rentrée, on vous balan­cera un t-shirt gratuit*, suivi de termes finan­ciers que qui non surement pas été appris au secon­daire.

*Rien dans cette vie, et c’est certai­ne­ment le cas à l’Uni­ver­sité d’Ot­tawa, n’est gratuit. Cette personne qui vous donne ce t-shirt n’est nul.le autre qu’un.e repré­sen­tant.e de vente de carte de crédit. Il vous dira que c’est cool d’en avoir une, comme ça vous pouvez ache­ter des trucs avec de l’argent que vous n’avez pas pour impres­sion­ner des gens que vous n’ai­mez pas. Mais ça, il ne vous le dira pas. Il vous vantera plutôt tous les avan­tages d’avoir ce morceau de plas­tique atta­ché à votre nom, comme un mot de bien­ve­nue dans le monde des grands.

Comme des vaches à lait

Alors que des centaines, sinon des milliers d’étu­diant.e.s chaque année se font escroquer par ces bandits du crédit, où est donc l’ad­mi­nis­tra­tion de l’Uni­ver­sité? Elle n’est pas loin, au pavillon Taba­ret, en train de tranquille­ment rece­voir sa part des profits. Vous conti­nuez votre train-train quoti­dien, en accu­mu­lant une dette étudiante rela­ti­ve­ment élevée, comme la majo­rité des vos cama­rades de classe. L’Uni­ver­sité quant à elle, à même le jour de votre départ, vous signera des lettres reven­diquant les mérites de la carte de crédit qui pour­raient possi­ble­ment vous ruiner si vous ne savez pas comment l’uti­li­ser sobre­ment. Le malheur de l’un semble faire le bonheur de l’autre, dans ce cas-ci.

Il va donc sans dire que l’étu­diant.e. par excel­lence est naïf et naïve.

Naïf et naïve de penser que l’ad­mi­nis­tra­tion de son établis­se­ment d’ap­pren­tis­sage n’es­saye pas d’ex­hor­ter de quel­conque façon des fonds supplé­men­taires, comme de pauvres vaches à lait dont on essaye d’ex­traire les dernières gouttes, ou plutôt les derniers dollars.

Naïf et naïve de penser que l’ad­mi­nis­tra­tion de son insti­tu­tion post­se­con­daire a à coeur la stabi­lité finan­cière de ses étudiant.e.s, alors qu’elle conti­nue d’aug­men­ter les frais de scola­rité tout en déve­lop­pant de couteux parte­na­riats avec des entre­prises hyper lucra­tives.

Naïf et naïve de penser que ce qui devien­dra son alma mater ne vien­dra pas quêter à ses ancien.ne.s, parce que l’U d’O fait toujours face à des coupes mons­trueuses au nom d’un « défi­cit struc­tu­rel » qui n’existe vraisemblablement même pas.

Parce qu’en fin de compte, l’uni­ver­sité c’est comme un centre d’achat. Et vous, chers et chères étudiant.e.s, n’êtes que ses fervent.e.s client.e.s.

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