
Élections étudiantes 2025 : quand la politique universitaire s’envenime
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Éditorial collaboratif rédigé par Camille Cottais — Rédactrice en chef
Depuis le 25 janvier dernier, l’Université d’Ottawa (U d’O) s’est transformée en plateau de télé-réalité. Avec un taux de participation de 10,63 %, le troisième plus élevé de l’histoire du Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO), ces élections auraient pu être un signe d’engagement démocratique. Au contraire, ce scrutin restera dans les annales comme un tragique spectacle de divisions, d’immaturité et de désillusions.
Élections étudiantes ou arène de combat ?
Insultes, mépris et autres formes de violence ont rythmé le quotidien de ces élections générales de 2025. Tout a commencé avec un post Reddit mardi dernier, révélant une « story » Instagram réservée aux ami.e.s proches de la candidate à la présidence, sur laquelle celle-ci se moquait du niveau de français de son adversaire.
Oui, la candidate a fait une erreur regrettable – qui n’en fait pas à 20 ans ? – mais l’événement a pris une ampleur totalement disproportionnée. La candidate a été victime d’une violente vague de harcèlement, incluant des insultes et menaces par messages privés et même par appels téléphoniques anonymes, raconte-t-elle en entrevue avec La Rotonde. Certaines de ces attaques étaient teintées de misogynie et d’hostilité envers les francophones, ajoute-t-elle.
Face à ce déferlement de haine, son adversaire a condamné ces attaques, mais le Syndicat, lui, a tardé à réagir, bien que certain.e.s de ses employé.e.s passé.e.s et actuel.le.s aient participé aux « threads » en question sur Reddit. Dans une « story » publiée vendredi, le président du comité des élections et le directeur général des élections ont finalement affirmé que « le harcèlement, l’intimidation et les comportements menaçants sont […] totalement inacceptables », se contentant ainsi d’une déclaration vague, sans réelle reconnaissance des dérives observées durant la campagne.
La candidate affirme que cet incident a montré les tensions linguistiques sur le campus. Il suffit de lire quelques commentaires sur Reddit pour s’en rendre compte : certain.e.s y accusent les francophones de l’U d’O d’être « anglophobiques », d’autres prétendent qu’ils.elles se moquent systématiquement des accents anglophones, tandis que d’aucuns dénoncent l’exigence du bilinguisme pour se présenter au SÉUO. Bref, le commentaire de la candidate a servi de prétexte pour stigmatiser l’ensemble de la communauté francophone de l’Université, révélant une atmosphère plus polarisée que jamais entre les différentes communautés étudiantes. Hannah Wiedrick, ancienne membre du Conseil d’administration (CA) du SÉUO, affirme d’ailleurs que ce n’est pas la première fois que des candidat.e.s se moquent des compétences linguistiques d’un.e adversaire. La différence ? Ces fois-là, personne n’a jugé bon d’en faire un scandale public.
Scandales au programme !
Bien que cela ait été la plus visible, l’affaire de la « story » privée est loin d’être la seule polémique ayant marqué ces élections. Un autre scandale plus discret a poussé les étudiant.e.s en génie à se rendre massivement aux urnes : le référendum sur Le Réseau technologique de la capitale (RTC), un organisme à but non lucratif qui organise chaque année l’événement Hack the Hill.
Cette question référendaire, réservée aux étudiant.e.s en génie et informatique, proposait l’instauration d’une cotisation de 5 dollars par semestre pour financer la section uOttawa de RTC. La question référendaire était controversée : pourquoi RTC uOttawa, qui n’accepte que 60 à 100 personnes*, récolterait plus d’argent que certaines associations étudiantes ? Pire encore, l’ancien président est accusé d’avoir menti sur ses finances dans le rouge et caché une fuite de données de ses membres, qui leur aurait fait perdre leur sponsor.
Les étudiant.e.s en génie et informatique en ont vite déduit que cette cotisation servirait peut-être plutôt éponger les dettes de RTC uOttawa. Résultat : ils.elles voté massivement contre la question référendaire et contre l’ancien président (65,16 %), qui briguait un poste de représentant de la Faculté de génie au CA du SÉUO. C’est la première fois que le « non » l’emporte sur un poste non contesté. La Faculté de génie, une de celles qui votent habituellement le moins, fut en conséquence celle qui s’est le plus mobilisée cette année, avec 16,86 %.
De plus, la candidate tout juste élue en tant que Commissaire aux affaires francophones rapporte que certaines de ses affiches électorales et de celles de la candidate à la présidence ont été retirées et recouvertes par des affiches pour un autre candidat. Une belle démonstration de fair-play, digne d’une cour de récréation. Même si elle pense qu’il s’agit d’un événement isolé, cet acte de sabotage illustre parfaitement le niveau de maturité de cette campagne. L’autre candidate pour le poste de Commissaire aux affaires francophones a quant à elle vécu plusieurs incidents racistes durant la campagne, selon une ancienne employée du Syndicat qui a souhaité rester anonyme.
Wiedrick regrette également l’agressivité des critiques de certain.e.s membres actuel.le.s du CA envers la plateforme des candidat.e.s, en particulier celle de la candidate à la présidence, que ce soit par messages privés ou dans les commentaires sous ses publications. L’ancienne employée anonyme ajoute que cette campagne était beaucoup plus « personnelle », avec des attaques qui ne portaient plus seulement sur les idées, mais directement sur les candidat.e.s.
Le recours aux actions malveillantes pour se frayer un chemin vers des postes de responsabilité ne semble ainsi plus choquer. Ces élections ont été un véritable théâtre de négativité, d’irrespect et de coups bas. Les valeurs démocratiques, elles, sont restées en coulisses.
Démocratie étudiante en crise
Remarques puériles d’un côté, pressions politiques de l’autre… Aucun des deux candidat.e.s à la présidence ne nous a semblé cette année bien représenter la communauté étudiante. Si notre déception envers les deux « clans » s’étant formés est palpable, nous ne pouvons nous empêcher de remettre en cause le caractère démocratique même de ces élections.
D’abord, car les deux candidat.e.s ont massivement recherché le soutien public, ou « endorsement », des clubs et associations étudiant.e.s, au détriment d’une campagne centrée sur leurs idées. Manifestement, dans cette campagne, avoir le bon carnet d’adresses semblait plus important qu’un programme solide. Comme l’affirme Isabella Fiore, directrice de la gouvernance de l’Association des étudiant.e.s en études féministes et de genre, « le nombre de soutiens affichés par chaque candidat est inquiétant, car il indique un changement vers un concours de popularité plutôt qu’une élection basée sur la plateforme ». Bien que cela puisse stimuler l’intérêt pour les élections, chaque étudiant.e devrait pouvoir voter de manière autonome et éclairée, sans influence extérieure, sous peine de compromettre l’intégrité du processus électoral. Sinon, pourquoi s’embêter avec des urnes ? Un simple sondage Instagram suffirait.
Il est également inquiétant et peu démocratique que des associations étudiantes puissent prétendre s’exprimer au nom de centaines, voire parfois de milliers d’étudiant.e.s. Depuis quand un bureau exécutif de cinq personnes peut-il décider de la voix d’une communauté entière sans consultation ?
Et quand ces soutiens ne viennent plus d’associations étudiantes, mais de membres actuels du CA, c’est encore plus choquant, surtout lorsque l’entièreté de ceux-ci soutiennent le même candidat et critiquent la même candidate. Si l’objectif était de déconstruire l’image d’un entre-soi d’étudiant.e.s en science politique, issu.e.s du même cercle d’ami.e.s se succédant au pouvoir… c’est raté. En entrevue avec La Rotonde, la candidate à la présidence raconte : « Quoi que je dise, que je sois d’accord ou non avec le Syndicat, ce n’était pas bien [pour eux]. […] J’avais l’impression de faire un crime, en participant à ces élections ».
Cet effet de « clique » au sein du Syndicat étudiant, la candidate aux affaires francophones l’a également ressenti. Elle affirme que si l’on souhaite réellement que plus de personnes s’impliquent en politique et que les élections soient compétitives, il faut respecter tou.te.s les candidat.e.s. Cette année, les personnes rémunérées par le Syndicat n’étaient pas autorisées à prendre position (ce qui n’a pas empêché certain.e.s de le faire indirectement) : pourquoi ne pas amender le code électoral pour étendre cette interdiction aux membres bénévoles du CA ?
En outre, selon l’ancienne employée du Syndicat, certaines personnes, bien que compétentes, auraient été embauchées car elles étaient amies avec la présidente actuelle**. Elle raconte également que sur le CA, la « clique » rechercherait des individus malléables à leur cause, qui ne vont pas développer leurs propres opinions : des « pions ». Dans son cas, dès qu’elle a commencé à exprimer des désaccords sur certains dossiers, le reste de l’équipe aurait cessé de lui permettre d’accomplir son travail.
Ce n’est pas une coïncidence si l’actuelle présidente et son futur successeur**, élu hier avec 64,08 % des voix, sont de bons ami.e.s, et si la plupart de leurs prédécesseur.e.s sont, comme eux.elles, proches du NPD de l’U d’O. Comment ce « boys club » peut-il réellement prétendre représenter une population de 37 000 étudiant.e.s ? Où sont les 77 % d’étudiant.e.s qui ne sont pas en sciences sociales dans l’exécutif du Syndicat ? Où sont les 28 % d’étudiant.e.s internationaux.ales ? Et pourquoi ces personnes occupent-elles ces positions : pour faire changer les choses, ou pour enrichir leur CV personnel, garantir leur futur politique et booster leur égo ?
Vers une culture électorale de la polémique ?
Ces polémiques auront au moins eu le mérite de susciter un regain d’intérêt pour la politique étudiante, un.e étudiant.e sur dix ayant voté, mais en sommes-nous vraiment réduit.e.s à cela ? Faut-il des scandales dignes de la presse people pour que les étudiant.e.s se sentent concerné.e.s par le SÉUO ?
Espérons que ce tumulte reste une anomalie et non ne devienne une norme, et que l’atmosphère des élections ne préfigure pas celle qui régnera au sein du futur bureau exécutif. Car si l’on doit attendre le prochain scandale pour susciter l’intérêt, il y a fort à parier que la qualité du débat démocratique continuera à se dégrader, au détriment des étudiant.e.s et de leur représentation. Avec un peu de chance, notre petit soap opera estudiantin ne sera pas renouvelé pour une nouvelle saison.
* Suite à une remarque reçue après publication, précisons que l’évenement du hackathon organisé par ce club accueille plus de 600 participant.e.s. Notons néanmoins que ces participant.e.s sont issu.e.s de différentes facultés, tandis que la question référendaire n’aurait introduit cette cotisation que pour les étudiant.e.s en génie et informatique.
** Malgré nos sollicitations, les personnes concernées n’ont pas donné suite à nos demandes d’entrevue ou ont choisi de ne pas commenter.