Inscrire un terme

Retour
Éditorial

Quand journalisme et voyeurisme ne font qu’un

Rédaction
20 janvier 2020

Crédit visuel : Andrey Gosse – Directeur artistique 

Par Caroline Fabre – Rédactrice en chef

À moins que vous ne résidiez dans une caverne, vous n’êtes pas sans savoir, cher lecteur, que le Boeing 737-800 de la compagnie Ukrainian International Airlines s’est écrasé en Iran, au début janvier, quelques minutes seulement après son décollage. Bien que la défaillance technique ait un temps été invoquée, c’est le gouvernement iranien qui a reconnu son implication dans le décès des 176 passagers de l’appareil. 

Vous savez également que plusieurs des victimes résidaient à Ottawa, parmi lesquelles trois d’entre elles étudiaient à l’Université d’Ottawa (U d’O). Suite à cela, de nombreuses commémorations ont été organisées à travers la ville et dans les universités concernées par la tragédie. Une veillée s’est tenue devant le parlement le 10 janvier dernier, en hommage aux victimes ; des journalistes de La Rotonde y ont assisté. À leur retour, ils nous ont confié le malaise qu’ils avaient ressenti.

Question de place ?

Leur première impression a été de ne pas se sentir les bienvenu.e.s durant cette commémoration. En même temps, ne nous mentons pas, c’est assez rare que les gens vous accueillent à bras ouverts, le sourire aux lèvres, lors de veillées funèbres.

Peut-être que nos journalistes n’étaient pas assez préparé.e.s à faire face à tant d’émotion et de tristesse ? Est-il réellement possible de se préparer à cela ? Nous n’en sommes pas convaincu.e.s ; peu importe la situation, les gens expriment leur peine et la douleur liée à la perte de façon assez différentes. À notre plus grande surprise, il n’est donc pas possible de prévoir l’imprévisible. 

Peut-être qu’ils n’étaient pas assez concerné.e.s, du fait qu’ils ne connaissaient pas directement les victimes ? Mais dans ce cas, rien ne les empêche de vouloir se recueillir, et rendre hommage à ses ottaviens et ottaviennes coupé.e.s dans la fleur de l’âge.

Enfin, il est possible qu’envoyer des médias à ce genre d’événement est irrespectueux. Mais le principe même du journalisme n’est-il pas d’informer le public ? Et, par conséquent, de déranger, que ce soit en récoltant les informations, ou en les énonçant ? Il s’agit donc d’une véritable remise en cause du travail même de journaliste.

Pourquoi sommes-nous comme ça ?

N’avez-vous jamais connu cette joie irrépressible, cette satisfaction incroyable, quand vous apprenez, avant tout le monde, une nouveauté à quelqu’un ? Pour les médias, il en est de même. Ce sentiment de quiétude, de publier avant les autres existe bel et bien, et, croyez-nous ou non, il nous force à être efficaces. Pourquoi ? Parce que nous en dépendons : l’exclusivité est synonyme de rentabilité. La nouveauté attire.

Cette course à l’actualité nous permet ainsi de nous distinguer des autres, de vendre plus de copies papier, de faire plus de vues sur les réseaux sociaux ; c’est grâce à cela que nous survivons. Nous sommes dans cette position où, sans le public, nous, médias, ne sommes rien. 

Nous avons donc développé une certaine dépendance à notre lectorat. Il nous faut traiter de sujets qui plaisent, qui attirent, comme le sang, le sexe et le scandale. Tant pis si nous tombons dans le morbide, le pervers, le terrifiant. Tant pis pour les images dérangeantes. Pour le non respect au deuil. 

Nous pouvons parler en connaissance de cause : La Rotonde bat de l’aile depuis un certain temps. Sommes-nous à blâmer ? Est-ce le manque d’actualités sur le campus qu’il faut condamner ? Le désintérêt des étudiant.e.s pour la presse ? Le manque de sensationnalisme ? Tant de facteurs sont à prendre en compte. 

Médias trop invasifs ?

Ce n’est pas un secret, les médias ont longtemps été, et sont toujours considérés comme des rapaces, des vautours. Tous les moyens sont bons pour obtenir les informations nécessaires à l’écriture du précieux sésame. Toujours en quête du dernier scoop, du dernier buzz, « ils » gravitent autour de cette urgence de traiter d’un sujet en premier.

Vous remarquerez ici cette tentative de nous dissocier, nous, journal étudiant, de ces derniers. Malgré tout, nous leur sommes identiques, à notre échelle. Nous tenons nous aussi ce rôle de parasite invasif dont il est difficile de se débarrasser. À tord ou à raison, d’ailleurs.

La Rotonde fait elle aussi partie de cette course infernale ; l’urgence de traiter les sujets en premier est la même pour tous. Mais à quel prix ? Il est vrai que, bien trop souvent, les sentiments des personnes concernées sont mis de côté, au détriment de cette exclusivité. Alors montrés comme des êtres incapables d’éprouver de l’empathie, les journalistes ont acquis cette image dérangeante à cause de cette surenchère aux horreurs à laquelle nous sommes chaque jour exposée. 

Peut-être que la raison du malaise éprouvé par nos journalistes réside en le fait qu’ils étaient simplement trop respectueux pour assister à cette veillée en hommage aux victimes et tenir ce rôle de prédateur de l’information ? Si vous pensez que nous sommes des charognards parce que nous écrivons sur la tristesse, la peur, la haine, n’oubliez jamais que nous écrivons sur ce que vous consommez avidement. Alors, qui est le rapace maintenant ?

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire