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La gouvernance irrationnelle

Web-Rotonde
20 janvier 2014

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Les coups de hache que les gouvernements assènent systématiquement au financement de la recherche scientifique (et soit dit en passant à celui des programmes sociaux) sont souvent justifiés par la récession économique et les déficits budgétaires. Soit! Débattre d’une telle question implique des oppositions idéologiques incontournables et qui pendant des décennies n’ont pas porté fruit.

Cependant, lors des dernières années, nous avons pu relever, entre autres au Canada, que cette justification s’hypertrophie pour muer en une toute autre rhétorique. Cette rhétorique est celle que vous pouvez retrouver de temps en temps dans des commentaires fustigeant les institutions académiques et scientifiques qui seraient un peu trop friandes de taxpayers money, voire les professeurs qui seraient « surpayés ».

L’émergence d’un tel argumentaire n’est pas étrangère à la politique et à la propagande des dits gouvernements. Il s’agit d’une véritable attaque organisée contre la science et contre son rôle de support fondamental de la gestion de la chose publique. Dans cet assaut véhément s’inscrivent la fermeture programmée de plusieurs bibliothèques dépendant de l’État, l’abandon en masse d’archives résultant de la recherche publique et bien entendu, la suppression des fonds précédemment alloués à plusieurs programmes scientifiques.

Un trait idéologique

Le 18 juin 2012 avait eu lieu la fameuse manifestation célébrant la mort de l’évidence scientifique (death of evidence était le nom de la manifestation et est même devenu le nom d’un site web). Les raisons qui ont poussé chercheurs et académiciens à déferler dans les rues de la capitale, scandant leur mécontentement, étaient principalement les multiples suppressions de programmes. L’une des pancartes alors soulevées délivrait un message qui pointe le cœur de la question. Il y était écrit «No Science, No Evidence, No Truth, No Democracy». Pourquoi considère-t-on que le premier budget à passer à la trappe doit être celui de la recherche publique? Deux éléments de réponse semblent émerger assez rapidement. Un grand nombre des programmes supprimés concernant des éléments décriés de la politique du gouvernement, en l’occurrence la pollution de l’eau, la gestion des ressources minières, le rapport à la faune et à la flore, etc. Ce fait, couplé à la difficulté d’accès aux archives et aux documents auparavant très facilement disponibles sur les sites gouvernementaux, nous amène à déduire que le conseil des ministres souhaite éviter la propagation d’informations qu’on pourrait utiliser afin de l’incriminer.

La deuxième partie de l’explication réside dans le fait qu’une grande partie de ces recherches, en particulier celles qui portent sur l’exploitation des ressources et qui traitent de l’influence de l’activité économique sur l’environnement, aboutiraient à la nécessité d’imposer plus de régulations à certaines industries, ce qui évidemment est contradictoire avec la politique économique de la majorité parlementaire.

Une tendance qui se confirme

En avril dernier, l’ancien conseiller stratégique conservateur, Allan Gregg, n’avait pas ménagé le pouvoir en place en intervenant sur la question. Il avait pointé le fait que les décisions gouvernementales étaient désormais de plus en plus souvent aux antipodes de ce que démontrent les statistiques. L’exemple le plus flagrant était d’augmenter le budget de la lutte anticriminelle alors que toutes les données publiées par Statistiques Canada démontrent que le taux de criminalité est sur une pente descendante depuis 1991. Ce qui veut dire que dès que les données de recherche et les faits scientifiquement prouvés ne conviennent pas aux convictions idéologiques, on en tient plus compte, on les élimine, même qu’on les discrédite. Toute proportion gardée, ce n’est pas sans rappeler les dérives totalitaires du XXe siècle, où l’axiome épousé par le sommet de la hiérarchie se transforme en une fondamentale implacable sur laquelle se bâtit la manière dont l’administration des affaires publiques se fait. Dès lors, le critère selon lequel telle ou telle décision est prise n’est plus du paradigme de ce qui peut être rationnellement admis, mais découle directement du fantasme idéologique selon lequel la conviction est synonyme de la vérité et du bien, de ce qui doit être. Le pouvoir évite d’utiliser les résultats de recherche mais il doit aussi éviter de les laisser accessibles aux communs des citoyens, car autrement, il aurait une sérieuse misère à justifier ces agissements. Cette stratégie est particulièrement anti-démocratique, d’où la référence au fait que sans une science vulgarisée et accessible, les citoyens ne peuvent exercer leur droit de regard sur ceux qui dirigent.

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