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La nomination d’Amira Elghawaby, une polémique qui divise

Jacob Hotte
23 février 2023

Crédit visuel : Stacey Stewart / Gouvernement du Canada 

Article rédigé par Jacob Hotte – Journaliste

Le 26 janvier 2023, le gouvernement fédéral a annoncé la nomination d’Amira Elghawaby au nouveau poste de représentante spéciale contre l’islamophobie. Ce poste est né après plusieurs demandes de la communauté musulmane et en réaction aux différents crimes haineux ces dernières années. En revanche, la nouvelle a été reçue différemment par le public. Dans cet environnement de polémique, quel est le futur de Amira Elghawaby dans ce rôle ?

En tant que chroniqueuse indépendante et défenseure des droits de la personne, Elghawaby s’est fait entendre à plusieurs reprises sur l’aspect discriminatoire de la Loi sur la laïcité de l’État (ou Loi 21) du Québec. Les propos de Elghawaby, qui critiquent les sentiments antimusulmans au Québec, ont été la cause de plusieurs controverses autour de sa nomination.

Qualifications ?

Selon François Rocher, professeur en sciences politiques à l’Université d’Ottawa (U d’O), il y a un certain questionnement autour des qualifications de Elghawaby. Ce dernier souligne le fait que le gouvernement de Justin Trudeau tente de bâtir des ponts en nommant une personne musulmane et québécoise, tout en essayant de combattre l’islamophobie au Canada. Cependant, malgré cet effort apparent selon le professeur, le Premier ministre nomme une personne ayant jugé avec beaucoup de sévérité le gouvernement québécois et ses résident.e.s. De plus, il dénonce cette nomination, car elle ne répond pas d’après lui aux conditions du poste, soit la volonté de comprendre les fondements des arguments en opposition à la cause, l’acceptation des différences, ainsi que le respect des personnes ou groupes qui ont une opinion contraire.

Natasha Bakht, professeure en droit à l’U d’O, présente une tout autre vision de cette nomination. Bakht dit ne pas trouver justifiées les critiques envers Elghawaby. Elle atteste qu’en réalité, la journaliste a été une voix constante pour la justice et l’équité des personnes musulmanes au Canada. En outre, on ne peut pas oublier son passé de militante, ce qui selon Bakht ajoute à ses qualifications pour ce rôle.

Au sujet des propos faits par celle-ci, la professeure change l’angle de la critique et se tourne vers le gouvernement québécois. Selon Bakht, la réelle question à se poser est à l’égard de l’utilisation de la disposition de dérogation pour faire adopter la Loi 21. Pour rappel, celle-ci permet de faire passer un projet de loi même s’il contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, et ce pour une durée de cinq ans renouvelables. Comment expliquer que le Premier ministre François Legault immunise la loi, si ce n’est dû à ses aspects discriminatoires et inconstitutionnels ?, souligne Bakht.

Symbole important

Malgré les nombreuses condamnations face à la nomination de Elghawaby, Bakht énonce que la représentante pourrait amener un réel impact sur le traitement des injustices que vivent les personnes musulmanes au Canada. La professeure explique que la simple prise de conscience du problème est quelque chose d’important dans le combat contre l’islamophobie. D’après elle, il n’y a pas de solution simple à ce problème. Ce rôle pourrait faire partie d’une plus grande stratégie, qui amènerait à son tour un véritable changement. Pour elle, le simple fait de pouvoir observer de telles remarques, soit le questionnement autour de sa qualification, démontre la nécessité d’un tel poste.

Un autre point que Bakht tente de souligner est la limitation en ce qui concerne la représentation de femmes visiblement religieuses et racisées dans de si hautes positions. Cette dernière développe que la nomination d’Elghawaby servira d’inspiration pour de jeunes femmes qui aimeraient se retrouver dans ces rôles.

Bâtons dans les roues

Les critiques qu’a reçues Elghawaby lors de l’annonce de sa nomination ne se limitent pas qu’à ses propos. En effet, certain.e.s membres de sa propre communauté religieuse, telle que la militante en droits de la personne Ensaf Haidar, ainsi que Nadia El-Mabrouk, professeure à l’Université de Montréal, ont exprimé leur mécontentement face à la situation. Celles-ci, parmi 200 autres personnes, ont signé une lettre demandant la démission d’Elghawaby, ainsi que l’abolition de son cabinet, en raison de sa vision plus fondamentaliste de l’Islam.

Selon Bakht, la représentante devra tenter de représenter la diversité des voix musulmanes. Elle rappelle que l’Islam est une religion variée et divergente. La professeure exprime qu’il arrive parfois que des personnes musulmanes soient en conflit sur diverses questions. Celles-ci vont donc ressentir l’islamophobie de manières différentes. Cependant, avec l’effort et le soutien nécessaire pour faire son travail, Bakht croit réellement qu’Elghawaby sera capable de surmonter le défi.

Toutefois, cela ne change guère les conséquences qu’apporte cette nomination sur les relations Canada-Québec, mentionne Rocher. Selon lui, il sera difficile pour Justin Trudeau de trouver un.e candidat.e qui pourra remplir les qualifications minimales souhaitées. Cela viendra donc contribuer à creuser davantage le fossé entre le Québec et le reste du Canada, conclut-il.

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