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Opinions

La réforme de notre système électoral, un véritable mythe de Sisyphe

Dawson Couture
2 juillet 2022

Crédit visuel : Element5 Digital – Unsplash

Chronique rédigée par Dawson Couture

Un brouillard de déception remplit l’air autour de la capitale nationale suite à une autre élection qui est arrivée et repartie aussitôt. Le peuple exsude un sentiment d’amertume et d’indifférence face aux résultats et, surtout, au processus électoral. On entend des soupçons d’une alternative… un mode de scrutin proportionnel ? Le tour est joué, le parti élu n’a aucune intention de réviser le système, il faudra attendre un autre quatre ans.

Ce cycle vicieux est ancré dans la politique canadienne des dernières décennies. Les gens cherchent avant tout à se faire entendre et à gagner, faute de quoi ils.elles blâment le système. Une fois la période électorale terminée, cependant, la conscience populaire passe à un nouvel enjeu politique sans pouvoir faire respecter la parole donnée par son gouvernement. 

À vrai dire, la promesse d’une refonte du système électoral est un excellent outil politique qui contribue à galvaniser le public. Plusieurs leaders, y compris Justin Trudeau et François Legault, ont fait campagne sur cet engagement. Très peu ont tenu leur promesse et aucun.e n’a réussi à changer le statu quo. Dans tout cela, le.la citoyen.ne moyen.ne perd de vue l’impact et la nécessité d’une telle réforme pour promouvoir et protéger la démocratie.

Un système déficient

En tant que bénéficiaire de l’héritage britannique, le Canada et ses provinces et territoires emploient le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMUT) pour faire élire leurs assemblées législatives. Les électeur.rice.s votent une fois pour un.e candidat.e, et celui.celle qui récolte la plus grande part des votes remporte le siège. C’est aussi simple que cela.

Les problèmes surgissent au moment de mettre le système en action. Lors de l’élection ontarienne de 2022, le Parti progressiste-conservateur (PPC) de Doug Ford a obtenu une pluralité des voix dans 83 des 124 circonscriptions (régions électorales), soit 67 % des sièges. Dans l’ensemble de la province cependant, il a recueilli 40,8 % des suffrages. Pire encore, le Parti libéral a fini la soirée avec huit sièges contre les 31 sièges du Nouveau Parti démocratique (NPD), tout en ayant récolté une plus grande part des votes. 

Comment expliquer cet écart ? En essayant d’assurer une représentation locale (un.e député.e pour une circonscription), le système électoral britannique néglige une vraie représentativité de tout le territoire. Les partis bien implantés régionalement bénéficient disproportionnellement du SMUT alors qu’il pénalise les partis avec une popularité plus diffuse. 

En raison du modèle « winner-take-all », la plupart des électeur.rice.s n’élisent personne et leurs votes ne comptent pour rien. Malgré les discours des politicien.ne.s vainqueurs qui promettent de représenter tous les électeurs, leurs promesses n’ont aucun poids ni valeur. Le SMUT nourrit ainsi discrètement le cynisme et l’apathie pour la politique. Les Canadien.ne.s ont pris pour acquise la réalité du système depuis longtemps, mais jamais ils.elles ne se sont affronté.e.s de manière adéquate aux racines du problème. 

Un vote équitable

Suite à trois élections successives lors desquelles le gouvernement ontarien était majoritaire tout en ayant obtenu moins que la moitié du vote populaire, le Parti libéral a entamé le processus de révision du système électoral une fois élu en 2004. Trois ans plus tard, les Ontarien.ne.s ont été appelé.e.s aux urnes pour trancher entre l’actuel système électoral et le nouveau système choisi par une assemblée des citoyen.ne.s, soit la représentation proportionnelle mixte (RPM). 

Ce « nouveau système » existe depuis des décennies autour du monde, notamment en Allemagne, en Nouvelle-Zélande, en Corée du Sud et même en Écosse. Dans le système RPM, les électeurs votent deux fois : pour un.e représentant.e régional.e et pour un parti politique. Comme dans le SMUT, les candidat.e.s ayant obtenu la pluralité des voix dans leur circonscription sont élu.e.s. Les sièges restants sont cependant distribués selon le pourcentage de voix recueilli par chaque parti. En suivant une liste de candidat.e.s présenté.e.s par chaque parti, la part des votes est traduite en nombre de candidat.e.s élus dans l’assemblée. 

Alors qu’on ne sait pas comment les suffrages des Ontarien.ne.s auraient changé en 2022 s’ils.elles pouvaient voter à la fois pour un candidat et pour un parti, Radio-Canada a calculé les résultats de l’élection suite à une distribution proportionnelle des sièges (ainsi que pour l’élection fédérale de 2019). Le PPC n’aurait pas été majoritaire, avec 51 sièges plutôt que 83. Le Parti libéral aurait remporté le même montant de sièges (30) que le NPD après avoir recueilli environ 24 pour cent des voix chacun. Plus important encore, trois moindres partis auraient été représentés à Queen’s Park.

En dépit de sa valeur démocratique, le RPM a été vaincu lors du référendum ontarien de 2007. Le système a été mal vendu aux Ontarien.ne.s. Dans un rapport sur le sujet publié par l’Université de Toronto, les chercheur.euse.s ont déterminé que « les recommandations de l’assemblée n’ont pas été largement discutées ni bien comprises par le grand public ». Ils.elles ont conclu que l’assemblée des citoyen.ne.s et le référendum auraient tout de même un impact durable sur le paysage politique de l’Ontario et du Canada.

L’avenir entre nos mains

Malgré le fait d’avoir fait campagne sur la promesse d’une réforme électorale, le Premier ministre du Québec, Legault, a renoncé à celle-ci l’an dernier. « Il n’y a personne qui se bouscule dans les autobus pour changer le mode de scrutin », a-t-il expliqué devant l’Assemblée nationale. 

À bien des égards, il a raison. Nous ne devons pas oublier cependant que lui, tout comme Trudeau, ont été élus sur la promesse d’une réforme électorale. Il importe peu qu’en dehors de la saison électorale, les gens n’aient pas le même appétit pour la refonte du mode de scrutin. Il s’agit d’assurer que nos représentant.e.s soient tenus à rendre des comptes. 

Le système de représentation proportionnelle mixte est loin d’être parfait : les gouvernements seront moins stables et des partis extrémistes pourront plus facilement entrer au Parlement. Ceci dit, dans un pays aussi vaste et diversifié que le Canada, il s’avèrerait être l’option la plus démocratique. Chaque voix serait reflétée dans nos gouvernements par des individus qui nous sont directement redevables et chaque loi adoptée aurait le soutien de la majorité.

Cette année, le Canada a chuté de la cinquième à la douzième position dans les rangs d’indice de la démocratie. Les analystes craignent l’américanisation de la politique canadienne en raison de la polarisation et de la montée de la droite alternative lors de la pandémie. Si un nouveau système électoral ne résoudra pas ces problèmes, rappelons-nous que les cinq plus fortes démocraties emploient un mode de scrutin proportionnel. Il est temps que nous prenions notre système politique au sérieux afin de garantir que nos institutions travaillent pour nous.

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