Inscrire un terme

Retour
Éditorial

Le prix de la honte

Actualités
26 novembre 2012

– Par Vincent Rioux – 

Il y a deux semaines, La Rotonde s’est fait décerner une mention d’honneur à la première édition du Gala de la francophonie, organisé par le Centre du bilinguisme de l’Université d’Ottawa (U d’O). Le journal a été salué pour son rôle de promotion de la francophonie sur le campus depuis les 80 dernières années.

Je suis resté plutôt perplexe devant ce prix décerné à La Rotonde. Il y en a qui disent que, quand on reçoit un prix, on dit merci et on ferme sa trappe. Mais, au contraire, je pense qu’il faut interroger et remettre en question ce premier Gala de la francophonie et sa raison d’être.

Pourquoi le Centre du bilinguisme reconnaît-il seulement les organismes francophones? Est-ce que travailler uniquement en français sur le campus est devenu un exploit, voire une denrée rare? On dirait bien que oui, si on se fie au Centre du bilinguisme et à Anne-Marie Roy, organisatrice du Gala et vice-présidente de la Fédération étudiante de l’U d’O (FÉUO). Pourtant, pour La Rotonde, c’est tout naturel de rédiger et de publier uniquement en français.

Or, en remettant un prix à La Rotonde, à Armel Agbodjogbé, vice-président de l’Association des jeunes Ouest-Africains, à Place à la jeunesse – une organisation promouvant l’éducation postsecondaire en français –, et au Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) lors de ce Gala de la francophonie, on suggère qu’ils sont extraordinaires et qu’ils se distinguent au moyen de leur utilisation du français dans le train-train quotidien. En d’autres mots, on félicite les francophones d’être ce qu’ils sont: des francophones, rien de moins, rien de plus. En fait, ce prix ne fait qu’accentuer la marginalisation du fait français à l’U d’O.

Les francophones n’ont rien gagné

La remise d’un prix, à quelqu’un ou à un organisme, cherche généralement à reconnaître ce qui a été accompli avec succès. Or, je ne vous apprends rien quand je dis que la francophonie est en piteux état sur le campus. La communauté francophone n’a rien gagné. Inversement, elle perd du terrain chaque jour. Ce n’est pas le temps de nous lancer des fleurs, mais plutôt de nous retrousser les manches, de se cracher dans les mains et de se battre pour le fait français.

Les francophones savent qu’ils sont en minorité (30 % de francophones, contre 70 % d’anglophones à l’U d’O). Ils savent aussi que le gouvernement de l’Ontario a récemment aboli une bourse pour étudier en français et que le français est de moins en moins utilisé à l’Hôtel-de-Ville d’Ottawa. Nul besoin de traiter cette minorité culturelle comme si sa lutte pour la survivance était gagnée, comme si elle était chose du passé, un combat derrière nous.

Parler français ne devrait pas être un acte de bravoure ou de courage. Comme René Lévesque le disait: « Dans une société normale, la langue, elle se parle toute seule. » Nous ne devrions pas nous féliciter pour le simple fait de publier et fonctionner en français. Ce n’est pas par sentiment de charité que La Rotonde et, au sens plus large, la communauté francophone de l’U d’O parle la langue de Molière quotidiennement. On ne parle pas français pour supporter un mouvement social. On le fait parce que, dans bien des cas, c’est la langue qu’on maîtrise avec le plus d’aisance.

Ces gens qui ont été reconnus et à qui on a décerné un prix au Gala de la francophonie n’ont rien fait d’autre qu’exercer la langue française dans leur milieu de travail, tout naturellement. On ne leur a pas imposé de travailler en français.

Quand on commence à souligner la présence de la communauté francophone ottavienne – bien présente depuis la fondation même de la ville – pour le simple fait d’être elle-même et de vivre sa culture, c’est que, la prochaine fois qu’on en parlera, ce sera dans les musées d’histoire.

Un gala de l’anglophonie?

Le Centre du bilinguisme a-t-il le devoir de reconnaître les anglophones, comme il l’a fait avec les francophones? Cette question soulève bien des débats. Verra-t-on l’émergence d’un Gala de l’anglophonie? Beaucoup d’anglophones sur le campus pensent qu’il est injuste que les francophones aient une cérémonie pour reconnaître leur participation à cette culture minoritaire qu’est celle des Canadiens-Français.

Dans une certaine mesure, ils ont raison de trouver cette situation injuste.

Pourquoi la FÉUO ne remet-elle pas un prix au Fulcrum aussi? Ils font tout autant que nous la promotion de leur langue. À ce que je sache, c’est le Centre du bilinguisme qui a décerné les prix. Et non pas le Centre de la francophonie! Si nous jouons au bilinguisme, il faut y jouer jusqu’au bout.

Le bilinguisme à l’U d’O, dans le contexte actuel, est un échec lamentable. On présente le bilinguisme auprès des francophones comme si c’était un absolu. Comme si un francophone qui ne parle pas anglais était démuni devant cette société dite « bilingue ». Au Canada, et particulièrement à l’U d’O, on porte le bilinguisme bien haut comme si c’était une vertu fondamentalement imprégnée dans nos mœurs et nos coutumes. La vérité, c’est que le Canada anglais est un des pays où il y a le moins de diversité linguistique au monde. Seulement 9 % des anglophones canadiens parlent le français (Statistiques Canada)!

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire