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Chronique rédigée par Camille Cottais – Secrétaire de rédaction
Bien que le racisme soit un phénomène universel, il s’exprime de façon différente selon les époques et les pays. Au Québec, la non-reconnaissance de François Legault du racisme systémique, les débats et lois sur la laïcité ciblant spécifiquement les femmes voilées, l’opposition de la société québécoise au « wokisme » et à la « cancel culture » ou encore les récents propos scandaleux sur l’immigration du gouvernement caquiste font croire à l’émergence d’un nouveau conservatisme culturel et politique, marqué par le suprémacisme blanc.
Racisme, islamophobie et xénophobie
La firme de sondage Léger réalise régulièrement des sondages mesurant l’autoperception des individus comme racistes. Ainsi, en 2020, 20 % des Québécois.e.s se considéraient comme racistes, soit un.e sur cinq. Si cela est plus que dans le reste du Canada (16 %), c’est moins qu’en France (35 %) et beaucoup moins qu’aux États-Unis (50 %).
Si ces résultats sont intéressants, ils comportent plusieurs limites. Déjà, car la réponse dépend beaucoup de la façon dont la question est posée, mais surtout, parce que le racisme n’est pas qu’une question d’auto-évaluation ou de perception : se dire non-raciste ne suffit pas à ne pas avoir des biais racistes inconscients, par exemple. Il faut veiller à ne pas limiter le racisme à une identification, à un enjeu individuel ou à ses manifestations les plus explicites.
En outre, la définition du racisme n’est pas précisée dans ces sondages. Or, la « race » se co-construit avec la religion ou l’ethnicité : une femme blanche convertie à l’islam et portant le voile est par exemple généralement perçue comme racisée. Si les Québécois.e.s sondé.e.s dans le dernier sondage ont été 20 % à s’identifier comme racistes, 54 % ont déclaré être mal à l’aise devant une femme voilée (40 % dans le reste du Canada). L’ouverture est donc moindre envers les groupes religieux que les groupes traditionnellement considérés comme racisés. « Ce n’est pas la peur de l’étranger qu’on a au Québec, c’est la peur de la religion que porte l’étranger », résume Jean-Marc Léger, président de la firme de sondage du même nom. Il faut donc complexifier la définition du racisme, en englobant l’islamophobie et la xénophobie.
L’influence de la « mère patrie »
Tandis que le conservatisme canadien-anglais ressemble au conservatisme américain, le conservatisme québécois se rapproche de son équivalent français : il s’agit d’un conservatisme nationaliste et culturel, se concentrant principalement autour de la défense de la laïcité et de la langue française.
L’anti « wokisme » en est l’un des fondements : beaucoup plus répandu au Québec que dans le reste du Canada, il est incarné non pas seulement par des polémistes comme Mathieu Bock-Côté, mais aussi par des figures gouvernementales telles que François Legault. Celui-ci a par exemple accusé en 2021 le porte-parole de Québec Solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, d’être un « woke », c’est-à-dire une personne qui veut « nous faire sentir coupables de défendre la nation québécoise [et] ses valeurs ». Le wokisme serait donc anti-québécois, tout comme anti-Français selon Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation nationale en France, qui est allé jusqu’à créer un think tank anti-woke, Le Laboratoire de la République.
La défense de la laïcité, ou plutôt d’une certaine vision de celle-ci, est un autre point commun entre le contexte politique québécois et français. À travers le projet de loi 60 puis la loi 21, les gouvernements péquiste puis caquiste ont implicitement visé les femmes portant le hijab, tout comme l’a fait la Loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises de 2004. Ce n’est pas le bouddhisme ou le christianisme qui ont été visés par ces lois, mais bien l’islam, construit comme une menace pour le Québec, la France et une culture « occidentale » fantasmée.
Finalement, la prolifération d’un discours anti-immigration et anti-multiculturalisme est palpable au Québec comme en Europe de l’Ouest depuis une dizaine d’années. Alors même que les sociétés nord-américaines subsistent grâce à la main-d’œuvre peu chère fournie par les personnes migrantes et plus largement racisées, les personnes immigrantes au Québec sont de plus en plus présentées comme des Autres indésirables, profitant du système, volant le travail des nationaux et refusant de parler la langue française.
Nationalisme et racisme
L’historien Jean Baubérot parle d’une « lepénisation de la laïcité » : la laïcité est devenue une politique d’extrême droite, même lorsqu’elle est énoncée par des partis de gauche. Ce discours populiste sur la laïcité alimente le nationalisme, créant des frontières figées entre les Québécois.e.s et les groupes construits comme extérieurs à la nation.
Si le nationalisme québécois était autrefois plutôt ancré à gauche et dans les luttes pour la justice sociale, il s’agit aujourd’hui d’un nationalisme raciste et de plus en plus à droite. Dans leur ouvrage Les Nouveaux Visages du nationalisme conservateur au Québec, les politologues Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture distinguent au Québec un nationalisme progressiste et pluraliste d’un nationalisme conservateur, en renaissance notamment depuis la crise des accommodements raisonnables de 2006-2007.
Sans même aborder la question des peuples autochtones – l’idée même de nationalisme paraissant problématique sur un territoire non cédé -, il est frappant de constater que le nationalisme québécois soit devenu si réactionnaire et que le racisme en soit devenu l’un des éléments consubstantiels. Le mouvement, particulièrement depuis le projet de la Charte des valeurs québécoises, s’est replié sur lui-même, prenant un virage identitaire. Ayant troqué la lutte pour l’émancipation politique et économique du Québec à celle contre le voile et l’immigration, il s’agit aujourd’hui d’un nationalisme ethnique et chauviniste, dont le projet est explicitement hostile envers l’Autre immigrant, musulman, racisé ou étranger.