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L’École de traduction et d’interprétation menacée d’extinction

Ismail Bekkali
4 Décembre 2024

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Article rédigé par Ismail Bekkali Journaliste 

L’École de traduction et d’interprétation (ÉTI) de l’Université d’Ottawa (U d’O) fait face à une menace de fermeture ou de fusion avec d’autres départements. Cette décision, présentée par l’administration universitaire en réponse à des contraintes budgétaires et organisationnelles, suscite des inquiétudes au sein d’une partie de la population universitaire. 

Raúl Colón, représentant de l’ÉTI à l’Association des professeur.e.s à temps partiel de l’U d’O (APTPUO), souligne la place unique qu’occupe le département dans le paysage académique canadien. Le professeur confirme que l’institution est « la première du pays qui a commencé à offrir des cours de traduction en 1936 ». Selon lui, l’École aurait eu un rôle historique et stratégique dans le marché du travail : « le montant de traducteur.ice.s et de terminologues qui travaillent au Bureau de la traduction et qui sont des gradué.e.s de notre École est très important ». Le professeur poursuit en expliquant que cette décision entraînerait donc un frein non négligeable à un marché professionnel « en pleine croissance », face aux défis que représentent l’intelligence artificielle et les nouvelles approches de la profession. 

Entre interdisciplinarité et effacement 

La possibilité de groupement de l’École avec d’autres départements semble critiquée avant tout pour des raisons académiques. Présidente de l’Association des  Étudiant.e.s Diplȏmé.e.s de l’École de Traduction et d’Interprétation (AÉDÉTI), Els Thant dénonce la potentielle fusion de l’ÉTI avec l’Institut des langues officielles et du bilinguisme (ILOB), ainsi que le Département des langues et littératures modernes. D’après la doctorante en traductologie, cette possibilité ne pourrait qu’affecter négativement la qualité d’enseignement. 

Colón développe davantage la question d’un point de vue purement scolaire : « même si l’interdisciplinarité est souhaitable, le faire à partir d’une position de faiblesse signifie que la traductologie sera subordonnée, et au premier signe de difficulté, la réaction logique sera de s’en débarrasser, laissant les représentant.e.s de la discipline sans soutien ni avenir prévisible ». 

Thant souligne les lacunes structurelles qui résulteraient de cette décision : « enseigner la traductologie n’est pas la même chose qu’enseigner les langues ». La doctorante remarque une dynamique de démission au sein du corps professoral : n’ayant plus la garantie d’un soutien à long terme, des professeur.e.s spécialisé.e.s dans le champ de la traduction quittent l’établissement. Elle explique ainsi que le personnel académique fixe diminue, et qu’inversement, « il y a de plus en plus de professeur.e.s à temps partiel » qui sont chargé.e.s de plusieurs sections de cours, tout en étant inscrit.e.s au doctorat. « C’est une tendance qui n’est pas propre à mon département, on utilise les étudiant.e.s en doctorat. Ce que je ne comprends pas, parce qu’il y a toujours plus de demandes pour s’inscrire aux cours », dit la représentante.  

Un processus décisionnel fortement critiqué 

Thant soulève alors un paradoxe : selon elle, l’U d’O dit justifier ces coupures par un manque de fonds financiers, ainsi qu’un manque d’étudiant.e.s voulant s’inscrire à ces cours. Colón relate des arguments similaires dans le rapport du directeur de l’ÉTI, datant de janvier 2024. Entre « manque à gagner annuel de l’U d’O » et « gel d’embauche dans toutes les facultés », le professeur dénonce une gestion administrative des programmes motivée principalement par des impératifs financiers à « court terme », au détriment de la mission académique de l’Université et son rayonnement à « long terme ». 

Le représentant de l’APTPUO décrit un établissement agissant de plus en plus comme une entreprise commerciale, où l’équilibre budgétaire prime sur la qualité et la pérennité de l’enseignement. « Une université ne doit pas être gérée comme Walmart », affirme-t-il. Ce contexte de « crise » départementale illustre, selon lui, un problème plus large dans la manière « unilatérale » dont les décisions sont prises. 

Lorsque des précisions supplémentaires ont été demandées par La Rotonde à l’Université pour éclaircir le contexte, le Vice-Doyen des Programmes Académiques de la Faculté des arts, Joël Beddows, a déclaré : « la Faculté n’envisage pas la fermeture de l’École de traduction et d’interprétation […] Cependant, elle vit actuellement un moment de reconfiguration et de mise à jour de ses programmes, comme prévu au moment de la mise en pause de son programme de premier cycle qui ne répondait plus aux besoins du marché ». Aucune information additionnelle concernant une possible fusion n’a été communiquée.

Incertitudes et répercussions 

Thant insiste sur le manque de transparence manifeste de la part de l’établissement, ainsi que les enjeux que cela soulève. La disparition de l’identité propre du département entraîne une remise en question académique considérable pour les étudiant.e.s actuel.le.s et futur.e.s. La présidente poursuit en énumérant les répercussions matérielles de cette décision, telles que la perte des bourses spécifiques à l’ÉTI. Elle décrit un environnement anxiogène d’incertitude constante, où « tout peut changer à n’importe quel moment, parce que tout est décidé arbitrairement ». 

Thant dit ne pouvoir que recommander à ceux.celles voulant se spécialiser dans la traductologie d’éviter l’U d’O, parce qu’il n’est pas possible de « promouvoir un programme si on ne sait pas s’il sera enseigné ».

Colón évoque l’importance cruciale de la démocratie en milieu universitaire. À l’inverse, il affirme que le rôle des organisations syndicales doit être renforcé dans les décisions facultaires à venir. Ainsi, l’absence totale de représentant.e.s de l’APTPUO dans le processus d’élection du prochain recteur.ice serait, d’après lui, une preuve claire de la tendance exclusiviste de la présente administration.

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