Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Éditorial collaboratif rédigé par Camille Cottais – Rédactrice en chef
Dans le cadre des difficiles négociations de leur nouvelle convention collective, les membres de l’Association des professeur.e.s de l’Université d’Ottawa (APUO) ont voté jeudi dernier massivement en faveur du déclenchement éventuel d’une grève. En tant que membres de la communauté universitaire, il est crucial que nous exprimions notre soutien indéfectible envers nos professeur.e.s et bibliothécaires, face à une Université qui s’écarte de sa mission première : assurer la qualité de l’enseignement que nous recevons.
Les négociations entre l’APUO – qui représente plus de 1200 bibliothécaires et professeur.e.s régulier.e.s – et l’administration de l’Université d’Ottawa (U d’O) ont débuté le 12 juin dernier. Leur convention collective 2021-2024 est en effet tombée à échéance le 30 avril dernier. Comme étudiant.e.s, nous sommes directement concerné.e.s par les propositions de l’APUO et devons les soutenir haut et fort. En effet, comme l’a rappelé Delphine Robitaille, présidente du Syndicat étudiant de l’U d’O, lors de l’Assemblée générale du 12 novembre, « [leurs] conditions de travail sont nos conditions d’apprentissage ».
Des négociations qui piétinent
Depuis le 12 juin, l’APUO a multiplié les stratégies pour mettre de la pression à la table des négociations. Dès la fin de l’été, l’Association a fait une demande de conciliation au ministère du Travail. Le 10 octobre, l’APUO a présenté lors d’une conférence de presse une pétition majoritaire, signée par 74,57 % des membres pour affirmer leur appui aux propositions. Le 30 octobre, l’APUO a manifesté à Tabaret, réunissant plus de 300 professeur.e.s, bibliothécaire, étudiant.e.s et travailleur.se.s du campus. Les 5 et 6 novembre a eu lieu la première séance de médiation avec le conciliateur du ministère du Travail, la seconde étant prévue du 15 au 17 janvier.
Malgré tout cela et après cinq mois, 45 heures et 22 rencontres de négociations, l’APUO n’a obtenu aucun résultat significatif sur ses 15 propositions principales, déplore Dalie Giroux, professeure titulaire en études féministes et de genre et négociatrice en chef. Des ententes provisoires ont été signées sur 22 de la soixante-dizaine de propositions, mais il s’agit majoritairement de propositions de l’Université et sur des sujets mineurs. « C’est le parcours du combattant. On travaille énormément pour très peu de résultats », résume Giroux.
La semaine dernière a été voté le mandat de grève, dont le résultat en faveur à 80.9 % a montré la détermination et l’union des membres du syndicat. Si une grève est déclenchée, ce qui est pour l’instant peu probable, celle-ci ne serait néanmoins pas avant début février 2025. En effet, le droit de grève est extrêmement encadré en Ontario. Giroux explique que pour déclencher une grève légalement, il faut avoir fait une demande de conciliation au ministère du Travail, puis déclarer un « no board », c’est-à-dire demander au ministère de remettre son rapport de conciliation. Après la réception du rapport, il faut attendre au minimum 17 jours avant de pouvoir déclarer une grève.
Or, puisque les deux parties ont réussi à commencer le travail lors de la première séance de médiation début novembre (quatre grands dossiers commençant à être discuté), elles se sont engagées à ne pas déclarer un « no board » avant la prochaine rencontre mi-janvier. Si Giroux est convaincue qu’une entente sera sûrement obtenue en janvier, dans le cas contraire, l’APUO pourrait déclarer le « no board » et entrer en grève la première semaine de février au plus tôt.
Mais qu’est-ce qui bloque tant l’avancée des négociations ? Et bien, comme toujours, il s’agit de l’argent. Giroux explique que si l’équipe de négociations de l’Université fait preuve de bonne volonté, elle est freinée par une enveloppe financière très limitée. C’est alors le Bureau des gouverneurs qu’il faudrait interpeller pour augmenter le montant dédié aux négociations, sans quoi celles-ci ne pourront avancer. Il ne s’agit pas d’« inventer de l’argent », précise la négociatrice en chef, mais de « revoir les choix budgétaires ».
Nous comprenons la frustration de l’APUO face à la mauvaise foi de l’administration uottavienne, et estimons qu’une grève des professeur.e.s serait on ne peut plus justifiée. Nos professeur.e.s méritent mieux, beaucoup mieux.
Des revendications raisonnables et légitimes
Si les frais de scolarité, eux, ne manquent pas d’augmenter chaque année, la qualité de notre expérience étudiante semble hélas suivre une courbe inverse. Nous ressentons ce déclin au quotidien. Nous avons des cours de première année avec 250 étudiant.e.s, mais si peu d’assistant.e.s d’enseignement que les évaluations se résument à des questions à choix multiples. Nous voyons des professeur.e.s visiblement en épuisement professionnel, accablé.e.s par une charge de travail croissante. Nous sentons que les coupes budgétaires dans les facultés compromettent la capacité de nos enseignant.e.s à assumer pleinement leur mission d’enseignement et de recherche. « L’université existe parce qu’elle doit remplir une mission. Et en ce moment, on est en dérive. On n’y arrive plus », résume Giroux. Cette situation pénalise tout le monde : professeur.e.s, étudiant.e.s, personnel de soutien, mais aussi la réputation même de notre université.
Face à ce bilan alarmant, les propositions principales de l’APUO sont d’autant plus importantes qu’elles touchent toute la communauté universitaire. Par exemple, l’une d’entre elles concerne l’instauration d’un plancher d’emploi, garantissant un nombre minimum de postes de professeur.e.s régulier.e.s. En entrevue avec La Rotonde, professeure Giroux développe : « Au cours des dix dernières années, il y a eu une forte croissance des effectifs étudiant.e.s (de 41 000 à 48 000), qui ne correspond pas à la croissance du personnel enseignant, ni d’ailleurs du personnel de soutien ». Un diagramme parlant illustre ce déséquilibre dans le Cahier des propositions de l’APUO :
L’APUO a ainsi évalué qu’il manquerait environ 300 professeur.e.s régulier.e.s pour maintenir l’U d’O dans la moyenne des autres universités du U15. Selon des chiffres de 2021, le ratio d’étudiant.e.s par professeur.e est de 29.4 dans les universités du U15, contre 35.4 à uOttawa, ce qui représente le troisième pire ratio en Ontario. Giroux note que le ratio serait aujourd’hui d’environ 37 étudiant.e.s par professeur.e.
Concernant les assistant.e.s d’enseignement, la négociatrice mentionne qu’il existait auparavant une garantie sur le nombre d’assistant.e.s par tranche d’étudiant.e.s dans chaque salle de classe, un droit qui a été supprimé unilatéralement il y a trois ans. En plus de priver les étudiant.e.s gradué.e.s d’une aide financière, elle rappelle que cette décision impacte gravement la qualité de l’enseignement et de l’évaluation, particulièrement dans les grands groupes. S’appuyant sur cet exemple, Giroux rappelle que l’APUO ne réclame pas des innovations révolutionnaires, mais plutôt le rétablissement de « droits qui étaient là, mais qui n’existent plus maintenant ».
Comment l’Université a-t-elle pu penser qu’il serait possible d’accroître sa capacité d’accueil de manière aussi drastique sans que les embauches de professeur.e.s et d’assistant.e.s à l’enseignement suivent la même tendance, et sans que cela ait une incidence négative sur la qualité de l’enseignement ? Pas besoin d’un doctorat en économie pour savoir que l’offre doit suivre la demande.
Parmi les nombreuses autres propositions, mentionnons la demande pour une université plus démocratique, c’est-à-dire qui consulterait ses usager.e.s (étudiant.e.s comme travailleur.se.s) pour prendre ses décisions, incluant les décisions d’ordre financier. L’APUO demande en ce sens deux sièges au Bureau des gouverneurs, une proposition qui ne coûterait pas un sou à mettre en place. Citons également la lutte pour le maintien d’un service de garde sur le campus. La destruction du Complexe Brooks, abritant la garderie Bernadette, est en effet prévue depuis 2021. Bien que l’Université se soit engagée à donner un préavis de six mois avant la démolition, aucun plan concret n’a été établi pour assurer la continuité des services de garde. L’APUO exhorte l’U d’O à s’y engager, sans quoi elle deviendrait la seule université du U15 à ne pas offrir un tel service sur son campus.
Économie au service du savoir ou savoir au service de l’économie ?
Face à ces propositions raisonnées, quels sont les contre-arguments de l’administration universitaire ? Il y en a en fait très peu, seulement deux, que l’Université répète en boucle comme un mantra.
Premièrement, on commence à connaître la chanson, les propositions de l’APUO coûteraient trop cher, or, l’Université serait en crise. Pour Giroux, « il est vrai qu’il y a une situation financière délicate à manœuvrer dans les universités en Ontario. Ceci dit, il y a des choix qui sont faits ». Par exemple, pourquoi avoir investi 50 millions de dollars dans la plateforme Workday, qui fait le malheur de tou.te.s les travailleur.se.s sur le campus, tandis que garantir les assistanats d’enseignement coûterait environ 2 millions de dollars par année ? Pourquoi effectuer de grosses coupures budgétaires dans les facultés, mais jamais dans l’administration centrale ?
Ce manque de transparence en matière de gestion financière est corrélé au deuxième contre-argument : le refus catégorique de l’Université de discuter des enjeux financiers avec ses employé.e.s, qui sont exclus de la gouvernance. Si nous, étudiant.e.s, n’avons aucun droit de regard sur la façon dont nos frais de scolarité exorbitants sont utilisés, la gestion hiérarchique et autoritaire de l’Université exclut également les professeur.e.s de la prise de décisions démocratique. Giroux rappelle pourtant que l’Université est un service public, dont la mission n’appartient pas aux administrateur.e.s, mais aux étudiant.e.s, professeur.e.s et autres travailleur.se.s.
Terminons sur une note optimiste. Ces négociations ont le mérite de favoriser un climat d’échange, de dialogue et de solidarité au sein de la communauté universitaire. Les syndicats PSUO, SÉUO, CUPE, GSAED, APTPUO ont tous affirmé leur soutien pour l’APUO. Professeur.e.s régulier.e.s, professeur.e.s à temps partiel, étudiant.e.s, personnel de soutien, assistant.e.s d’enseignement… : nous savons que nos intérêts sont liés et luttons ensemble pour défendre le patrimoine commun qu’est le savoir.