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Les corps des femmes ne vous appartiennent pas

Nisrine Nail
3 octobre 2023

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Direction artistique 

Chronique rédigée par Nisrine Nail — Cheffe du pupitre Actualités

À travers le monde, le taux de natalité est à la baisse. Plusieurs articles et rapports ont été publiés, pressant les gouvernements d’intervenir afin d’éviter « l’effondrement » de l’économie mondiale. Alors que certains pays comme la Corée du Sud blâment le féminisme d’avoir engendré ce phénomène, d’autres comme la France prennent une approche moins antagonique en misant sur des politiques publiques familiales

Je l’admets. Ce sujet me met mal à l’aise. Plus je fais mes recherches, plus je découvre des questionnements de nature assez embêtante. Le dénominateur commun de l’inquiétude envers la décroissance de la natalité dans tous les pays est l’économie. Cette inquiétude repose essentiellement sur la question suivante : qui remplacera la main-d’œuvre vieillissante ? 

Futurs bébés, futurs employé.e.s

J’apprends que le vieillissement de la population n’est pas un phénomène propre au Canada, mais un phénomène mondial. Ceci est un enjeu pour les gouvernements de plusieurs pays, car le vieillissement génère des coûts importants au niveau de la santé et de la retraite. Dans les prochaines années, il sera attendu notamment qu’il y ait des hausses d’impôts, des taxes à la consommation et des réformes augmentant l’âge de retraite (ce qui n’a pas été reçu avec bras ouvert en France, c’est le moins qu’on puisse dire). En d’autres mots, puisque la population vieillit, en plus de ne pas pouvoir être remplacée en raison de la baisse de natalité, on travaillera plus longtemps et la vie nous coûtera plus cher. 

Formidable. 

Il faut avouer que c’est ironique. Au point que c’est un peu marrant. Ces pays, comme l’Italie, la Chine, la Grèce, le Japon, la Hongrie, le Singapore (et j’en passe) s’inquiètent pour leur économie en raison du manque de bébés (autrement dit, futur.e.s salarié.e.s)… Pourtant, les femmes évitent de procréer principalement parce qu’elles se soucient de leurs finances. De ne pas être capables de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Peut-on vraiment les blâmer ? Le climat économique d’aujourd’hui n’en est-il pas la preuve ? 

Sachant que les coûts augmenteront et que les gouvernements seront de plus en plus endettés, je ne pense pas que cette réalité va encourager les individus à bâtir une famille. 

Violations et politiques natalistes

Bien entendu, les gouvernements s’attendent à ce que leurs citoyen.ne.s soient réticent.e.s à l’idée de fonder une famille pour des raisons économiques. C’est pourquoi plusieurs pays, entre autres ceux mentionnés ci-haut, investissent sur des politiques natalistes comme des primes afin d’inciter leur population à avoir des enfants. Seriez-vous surpris.e.s d’apprendre que ces politiques n’aboutissent pas aux résultats qu’ils souhaitent ? Effectivement, ces expert.e.s et des études soutiennent que ces mesures n’ont pas d’effet. Pourquoi ?

Si l’on ne plonge pas dans les causes économiques, comme la crise du logement, on se tourne vers les causes sociales. Eh oui, remarquez qu’on ne parle que très rarement des hommes sur cet enjeu. C’est ce qui m’intrigue le plus dans cette conversation, sachant que les rôles de genre font indéniablement partie de cette affaire. Les femmes ne veulent pas être en charge de toutes les tâches ménagères, en plus de s’occuper des enfants, et de devoir participer au marché du travail, comme décrit la professeure de sociologie à l’Université Harvard, Mary Brinton. 

Certains rapports préviennent que certaines mesures de soutien à la natalité risquent la violation des droits des femmes. Plusieurs États mettent l’accent, ou du moins insinuent, le « devoir patriotique » de procréer pour la « sécurité » de leurs pays. Gênant à lire, je sais, mais c’est vrai. On peut penser à l’Iran qui a banni les contraceptifs ou la Chine qui demande le remboursement d’une somme si un couple divorce. Devrais-je relever l’interdiction et les restrictions de l’avortement dans certains états aux États-Unis, pays dont le taux de natalité est aussi en baisse ?

L’immigration versus la nation  

Oui, le taux de natalité canadien décroît, mais cet enjeu n’est pas notable. Surtout en raison des politiques d’immigration de notre pays. Alors, pourquoi j’en parle ? L’immigration est présentée comme une solution à la décroissance du taux de natalité. Néanmoins, elle n’est pas une solution viable à long terme selon des expert.e.s, puisque le vieillissement de la population continuera à croître, que cette dernière soit immigrante ou pas. Se fier à l’immigration créerait donc un paradoxe. 

Le discours de l’immigration comme alternative à la natalité diffère selon le pays. Par exemple, en France, François Bayrou, maire de Pau, sous-entend que leur nation ne devrait pas dépendre des immigrant.e.s. Selon lui, le déclin de la natalité affecte « le contrat social » du pays, alors la « clé » de ce problème serait au sein même de leur État. Drôle manière de dire que les Français et Françaises ont la responsabilité de forniquer entre eux et elles. Il est possible que je lis trop entre les lignes.   

La Hongrie est moins subtile. Le premier ministre hongrois Viktor Orbán avait déclaré sans ambages : « Au lieu de nous contenter de chiffres, nous voulons des enfants hongrois. Pour nous, l’immigration est une reddition ». Et bien, il faut apprécier son franc-parler.

Responsabilité des femmes

Il est important de parler de ces enjeux maintenant, afin d’être informé et de comprendre comment les États répondent et réagissent au déclin du taux de natalité. Bon. Quelle est la solution? Quelles sont les alternatives? Avec toute franchise, je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que la couverture « apocalyptique » de ce phénomène m’irrite. Profondément. Les femmes ne sont pas responsables de vous procréer des ouvriers pour l’économie de votre pays et du monde. Elles ne sont pas responsables de féconder pour « conserver » votre identité nationale. Parler des femmes à travers ces rôles de productrices et reproductrices est tellement aliénant… On pourrait facilement dire « objectivant ». 

Je vous garantis que, contrairement aux propos de certains proclamant que l’espèce humaine va disparaître, les êtres humains seront sur Terre bien longtemps après avoir causé l’extinction de maintes espèces animales et végétales. Peut-être qu’on aurait dû y penser deux fois avant de rendre notre espèce dépendante à la croissance et à l’accumulation exponentielles. Lorsqu’on discute de la question de la natalité, ne devrions-nous pas miser sur l’égalité des sexes plutôt que remettre en cause le féminisme ?

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