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Arts et culture

Mettre en lumière le mouvement afroféministe

Culture
26 février 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Entrevue réalisée par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Cheffe du pupitre Arts et culture

Les Canadien.ne.s se sont rassemblé.e.s en ce mois de février pour célébrer l’histoire des communautés noires. Étudiante à la maîtrise en sociologie avec spécialisation en études féministes et de genre à l’Université d’Ottawa, Magalie Lefebvre est la coordonnatrice du Collectif de recherche sur les migrations et le racisme. Elle dresse ici le portrait du féminisme noir, une école de pensée qui veut lutter contre le racisme et le sexisme. 

La Rotonde (LR) : Qu’est-ce que le féminisme noir, et quels en sont les objectifs politiques et sociaux ?

Magalie Lefebvre (ML) : Ce courant est apparu au sein des mouvements militants dans les années 60 et 70 avec les luttes antiségrégationnistes. Comme dans plusieurs mouvements de gauche, il y avait une répétition des rôles de genre, et une reproduction des rôles de domination. Les femmes noires se sont retrouvées à vivre du sexisme au sein même des groupes militant.e.s noir.e.s [et ont réagi]. Son objectif premier est donc de combattre à la fois le racisme et le sexisme […]. Quand on lutte seulement contre l’un ou l’autre, tous les gens qui tombent dans la marge ne sont pas vraiment considéré.e.s.

L’exemple que j’aime donner est celui du mouvement dominant blanc des féministes des années 70 qui luttait beaucoup pour la justice reproductive. Les femmes [blanches] voulaient avoir la pilule contraceptive, le droit à l’avortement, et plus d’emprise sur leur sexualité. Les femmes noires, à l’inverse, ne pouvaient pas être représentées par un tel mouvement, car elles devaient justement se battre pour avoir le droit d’avoir des enfants. En effet, historiquement, elles avaient été stérilisées de force. Un mouvement afroféministe est ainsi important pour voir les spécificités que vivent les femmes noires.

LR : Comment les revendications du féminisme noires s’inscrivent-elles dans le cadre du mois de l’histoire des Noir.e.s ?

ML : Ça ne fait même pas longtemps qu’on féminise ce mois de célébration. Avant, c’était le mois de l’histoire des « Noirs », et c’était tout, mais on voit de plus en plus d’inclusif avec « Noir.e.s ». Tranquillement, on commence à mettre la voix des femmes au centre, ces même voix qui ont été marginalisées pendant longtemps. Et puis, l’étymologie du mot histoire, qui contient « His » [lui], révèle que le mot est avant tout masculin. Il est peut-être temps de parler de  « Herstory » !

Cela fait très longtemps qu’on parle de féminisme noir, mais, beaucoup de gens en ont parlé à notre place […]. À présent, les femmes noires sont beaucoup plus présentes dans des sphères de pouvoir, et on les entend s’exprimer davantage […]. Il faut continuer la lutte que les militantes noires ont commencée. 

LR : Comment est né votre intérêt pour ce mouvement ?

ML : J’ai fait un baccalauréat en anthropologie et un certificat en études féministes qui sont, telles qu’elles sont enseignées dans les universités, très universalistes. On a vu ces dernières années une ouverture aux différents courants du féminisme, mais les courants dominants restent ceux du féminisme blanc.

Cela ne me posait pas de problème au départ parce que je suis à moitié blanche, mais il y avait toujours comme un angle mort : on n’entendait jamais les voix des femmes de couleur, notamment des femmes noires. Le féminisme musulman, le féminisme autochtone, ou encore le féminisme noir sont toujours absents [de l’enseignement], ou alors on parle en dernier pour quinze minutes à la fin du cours. Ils ont beau exister, on ne leur donne pas de place [pour s’exprimer]. Ce n’est qu’au moment de ma graduation, que le tout premier cours d’afroféminisme a été donné à l’Université du Québec à Montréal, et j’ai décidé de faire la route juste pour y assister.

LR : Selon vous, comment les féministes non noir.e.s peuvent devenir de meilleur.e.s allié.e.s de ce féminisme ?

ML : Le travail des allié.e.s est un travail très précieux, mais aussi très difficile et on le sous-estime souvent. Tout le monde pense que c’est facile d’être allié.e, mais c’est très confrontant. Je pense que la meilleure façon de l’être c’est en acceptant de passer le micro ; de ne pas dire « moi, je sais de quoi il s’agit », mais de chercher quelqu’un qui sait de quoi il s’agit pour en parler. 

Les prises de parole publiques sont très importantes. Si toutes les femmes non noires parlent à la place des femmes noires, il ne leur reste plus de place pour s’exprimer. Lorsqu’on a des privilèges […], il faut faire le relais. [Être allié.e,] c’est un travail actif au quotidien.

[De nombreuses ressources sont disponibles afin d’en apprendre davantage sur le féminisme noir. Lefebvre recommande les  podcasts Woke o whateva, Jade Almeida et Kiffe ta race, et la lecture d’auteures telles que Robyn Maynard, Agnès Berthelot-Raffard, ou encore Délice Igicari Mugabo. Elle suggère également de suivre de près les actions et différents projets du Collectif Mwasi.]

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