Pauvreté au Canada : quand les conditions de vie parlent plus que les revenus
Crédit visuel : Camille Cottais – Rédactrice en chef
Article rédigé par Ismail Bekkali – Journaliste
La pauvreté est un phénomène complexe qui va bien au-delà de la simple question du revenu. Un récent rapport publié par Banques Alimentaires Canada en mi-juin offre une nouvelle perspective sur les conditions de vie des populations au Canada. Geranda Notten, co-autrice de ce rapport, explique l’importance de cette approche pour mieux comprendre la pauvreté touchant les groupes les plus vulnérables, tels que les étudiant.e.s.
Un nouvel indice pour mesurer la pauvreté
Le rapport tire son originalité du moyen par lequel la pauvreté est mesurée : l’indice de privation matérielle, ou IPM, qui vise à mesurer un niveau de vie en dessous du seuil de pauvreté. Geranda Notten est professeure titulaire en politiques publiques comparatives à l’Université d’Ottawa, et une des principales autrices de ce rapport. En entretien avec La Rotonde, elle explique plus en détail le but de sa recherche : « Les mesures traditionnelles utilisées au Canada sont des mesures de pauvreté basées sur le revenu […] Ce qui est différent avec notre étude, c’est qu’on tâche de mesurer une situation basée sur les conditions de vie des personnes ».
La professeure et ses collègues discernent souvent un décalage entre le revenu d’un foyer et le niveau de vie de ce dernier, même si ce revenu n’est pas sous le seuil de pauvreté. En interrogeant un large échantillon de personnes sur leurs habitudes de consommation, il est possible selon la chercheuse d’avoir « une série de situations factuelles » sur leurs conditions de vie. « Une des questions demande par exemple si une personne peut maintenir sa maison à une température confortable tout au long de l’année ». En accumulant des réponses positives à ce genre de questions, un foyer peut être considéré comme privé matériellement.
Au-delà de ces découvertes, la chercheuse mentionne qu’il existe des groupes démographiques qui sont particulièrement touchés par la privation matérielle. Mentionnés dans le rapport, il s’agit notamment des personnes autochtones, des personnes en situation de handicap, des personnes noires, des personnes en recherche d’emploi, et des personnes dépendantes du versement d’un transfert. Selon Geranda Notten, les étudiant.e.s feraient aussi partie des populations les plus touchées, avec 30% des jeunes de 18 à 30 ans qui seraient dans une situation de privation matérielle.
L’impact de la privation matérielle sur les étudiant.e.s
Grâce ces recherches, il est possible d’avoir un aperçu concret de comment se manifeste cette privation matérielle, en observant notamment les habitudes alimentaires des personnes étudiées, dont les étudiant.e.s. Une des questions posées aux participant.e.s de l’étude est par exemple « Pouvez-vous manger de la viande chaque jour ? », informe la professeure. En effet, l’alimentation est révélatrice du niveau de vie. Un constat similaire peut être déduit en observant les activités d’un organisme local : le service de la Banque alimentaire du Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa.
Abraham Tabo, coordinateur de la Banque alimentaire, affirme que les demandes pour ce service sont en hausse depuis qu’il est à ce poste : « Depuis 2022, les chiffres ont doublé », confie-t-il. Si la pandémie est selon le coordinateur la principale cause de cette hausse, d’autres facteurs pourraient pour lui expliquer cette augmentation fulgurante, comme l’inflation du coût de la vie, comprenant alimentation, loyer, et éducation. Interrogé quant à l’identité des consommateur.ice.s de ce service, le coordinateur estime qu’il s’agit principalement des étudiant.e.s internationaux.ales, en raison de frais de scolarité beaucoup plus élevés et de l’augmentation de ces derniers.
Ces facteurs d’augmentation de l’insécurité alimentaire rejoignent les explications énoncées par Geranda Notten. Selon cette dernière, le coût de la vie a augmenté beaucoup plus que l’indice des prix à la consommation. La chercheuse développe ses propos en montrant que le salaire des personnes à faible revenu n’est aujourd’hui plus en mesure de suivre le taux d’inflation. D’autre part, selon la chercheuse, les premiers facteurs pouvant expliquer la précarité étudiante restent les frais de scolarité des étudiant.e.s internationaux.ales et le manque d’aide de la part de l’État canadien.
Pour faire face à cette hausse exponentielle du nombre de ses consommateur.ice.s, la Banque alimentaire du Syndicat s’efforce d’améliorer ses services en agrandissant son espace de stockage et en augmentant la quantité de nourriture distribuée, notamment grâce à l’augmentation récente de son budget. Le coordinateur conclut que le service reste hautement dépendant de l’aide de ses bénévoles, sans qui la Banque alimentaire ne serait pas aussi opérationnelle. La Banque alimentaire demeure en effet un système basé sur l’entraide entre les étudiant.e.s, Syndicat, employé.e.s et bénévoles compris, pour faire face à l’insécurité alimentaire grandissante de la population étudiante.