Crédit visuel : Jessica Malutama (Co-rédactrice en chef), à partir de Copilot
Chronique rédigée par Sandra Uhlrich — Journaliste
Avec le récent climat politique mondial, marqué par des conflits et un recul des droits humains, la polarisation de nos sociétés n’a jamais semblé aussi forte. Les débats sont émotionnels, la nuance parfois absente. Pourtant, les discussions ouvertes sont, selon moi, ce qui permet de propulser nos sociétés vers l’avant. Alors, pourquoi cette tendance auto-destructrice ? Je crois qu’une partie des réponses se trouve dans la structure même de notre écosystème numérique.
Modelage de l’information : la recherche du sensationnel
Dans nos démocraties occidentales, il semblerait avoir une recherche presque obsessive du sensationnel. On cherche la vidéo avec le titre le plus accrocheur, on clique sur les articles relevant du scandale. Le youtubeur Mr. Beast a su attirer près de 420 millions d’abonné.e.s grâce à ses vidéos de plus en plus extravagantes.
Il y a d’ailleurs une technique de vente bien connue des médias : pour intéresser le public, il faut prendre en compte les quatre S — sexe, sang, sport et spectacle/scandale. Pensez au scandale du PDG d’Astronomer au concert de Coldplay qui a fait le tour des réseaux sociaux dernièrement, ou encore à l’ampleur du Megxit, il y a quelques années.
Finalement, ce qui fait parler, c’est ce qui ne nous touche pas directement. On connait sur le bout des doigts la politique américaine, mais presque pas notre politique municipale.
Selon moi, les algorithmes jouent un rôle non négligeable dans ce sensationnalisme, par leur principe même : ils nous proposent du contenu basé sur ce que l’on a déjà aimé par le passé.
L’infobésité : phénomène de notre époque
Nous vivons dans un monde hyperconnecté, où l’instantané est devenu la norme. Nous sommes bombardé.e.s d’informations et de contenus, à travers les réseaux sociaux et les notifications. Ce phénomène a un nom : l’infobésité.
Comme le souligne l’Office québécois de la langue française, l’infobésité « peut nuire à la hiérarchisation des données et au processus décisionnel, de même qu’elle peut rendre les informations crédibles et pertinentes difficiles à discriminer de celles qui le sont moins. » Cette dynamique est notamment couplée aux phénomènes des chambres d’écho des médias.
Cela signifie que les environnements virtuels dans lesquels nous évoluons ont tendance à renforcer nos opinions et croyances plutôt qu’à nous exposer à de nouvelles idées. Ainsi, les sujets importants se noient dans la masse.
Débat éclairé et nuancé : espèce en voie de disparition
Le réel problème des chambres d’écho, comme le souligne dans La Presse le professeur Jocelyn Maclure, titulaire de la chaire Jarislowsky sur la nature humaine et la technologie à l’Université McGill, c’est que « les visions concurrentes arrivent [dans ces chambres] préinterprétées et déjà discréditées, alors que les points de vue dominants sont constamment répétés et amplifiés ».
En d’autres termes, lorsqu’un point de vue divergent est présenté, le premier réflexe est de le rejeter plutôt que de s’y intéresser réellement. Plutôt que de se baser sur des argumentaires structurés et un respect mutuel, les débats s’enlisent bien souvent dans des échanges émotionnels. Chacun cherche à prouver à l’autre qu’il.elle à tort.
Pourtant, il est tout à fait possible de débattre sans chercher à se mettre d’accord. Le but de ces conversations devrait être, avant tout, la curiosité. Je peux comprendre ton point de vue, même si je ne suis pas d’accord avec toi.
D’après mon expérience personnelle, des échanges constructifs me permettent systématiquement de renforcer ma propre opinion. Souvent, je me rends compte que je prends position sans forcément l’appuyer par des faits, mais plutôt par des « je crois », « j’ai entendu dire », etc.
Est-ce le résultat d’une surcharge informationnelle ? À force d’être exposée à toute sorte de contenu de manière très brève et superficielle, j’ai l’impression d’être informée sans réellement l’être.
Je crois important de prendre le temps de s’arrêter parfois, pour se permettre d’approfondir un sujet et d’entrer dans les nuances. Sinon, nous risquons de voir les débats constructifs disparaître au sein de nos sociétés, ainsi que notre capacité à dialoguer. Nous nous retrouverons alors complètement submergées par la mésinformation et la désinformation.
Prisonnier.ère.s de nos tours d’ivoire
Nous vivons actuellement dans une société de divertissement, un mot dont l’étymologie veut dire « détourner » (l’attention). Rester sans rien faire pendant plus de cinq minutes nous paraît presque impossible, voire même relever de la torture. Nous avons tout de suite le réflexe d’allumer notre téléphone.
Pour faire une analogie, Blaise Pascal notait déjà au XVIIe siècle ce qui suit : « Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. »
Certes, l’introspection (de soi et de la société) n’est jamais facile, mais à force de vivre à mille à l’heure sans prendre le temps de se poser, on passe à côté de ce qui est réellement important.
Nous consommons tellement de contenus que nous en noyons l’essentiel. Notre société va à reculons, se bande les yeux et refuse d’avoir les discussions qui permettraient de la propulser en avant. Il faut impérativement descendre de nos tours d’ivoire et ramener l’échange au cœur de nos démocraties.
Il faut créer des espaces de rencontre, tant en présentiel qu’en virtuel, où chacun peut s’exprimer, nuancer ses idées et apprendre les un.e.s des autres. Cela pourrait se faire lors de cafés-discussions où, chaque semaine, les étudiant.e.s pourraient se rencontrer pour débattre sur un sujet en particulier. L’important est de créer un climat de respect et de curiosité.
C’est là où les établissements d’éducation ont, je crois, un rôle important à jouer. En plus de transmettre le savoir par les cours, je crois essentiel que ces institutions mettent à disposition ou facilitent la création d’espaces par et pour les étudiant.e.s.