
Se déconnecter pour se reconnecter : j’ai abandonné mon téléphone pendant 72 heures
Crédit visuel : Camille Cottais – Rédactrice en chef
Chronique rédigée par Hai Huong Le Vu – Journaliste
72 heures sans 4G, 72 heures sans caméra et 72 heures sans les applications de navigation. Durant ces trois jours, j’étais séparée de mon cellulaire. Comme la fin d’une relation, c’était douloureux. En effet, la génération Z, dont je fais partie, est caractérisée par sa familiarité avec la technologie, voire sa dépendance à celle-ci. Pourtant, ce défi m’a permis de toucher de l’herbe et de me reconnecter avec moi-même.
Dès la matinée du premier jour, j’ai oublié de faire cette détox digitale. Ce n’est que lors du déjeuner, tout en utilisant mon téléphone, que je me suis rendu compte : « Ah zut, je dois faire le défi de 72 heures sans mon téléphone intelligent ». J’ai regardé l’heure : il était déjà 13 h 22. Finalement, je me suis laissée jusqu’à 13 h 30 pour passer mes derniers moments avec mon cher ami, et lui dire adieu.
Être esclave de son téléphone
Cette anecdote montre la dépendance téléphonique que je subis. Mon téléphone portable me divertit et me distrait de la perte de motivation. En effet, durant les jours précédents, je participais à une simulation interparlementaire d’une semaine, ce qui m’a fait me sentir vide par la suite à cause de l’insuffisance de simulations sociales et d’activités. En réponse à l’ennui ressenti, je passais encore davantage de temps sur mon téléphone pour me garder occupée.
Ma solitude m’avale, dans un monde digital interconnecté. Et ceci s’aggrave avec l’omniprésence des notifications et des médias sociaux, qui satisfont mon désir d’être connectée. Tout cela est alimenté par la FOMO, ou fear of missing out. Selon le journal Le Monde, ce terme désigne l’anxiété poussant de nombreuses personnes à rester connectées en permanence pour ne pas risquer de manquer un événement.
De plus, l’utilisation de mon cellulaire m’isole de ma propre réalité : je m’empêche de passer du temps avec mes proches, en passant plutôt ce temps avec mon cellulaire. Quotidiennement, je colle toujours mes yeux aux écrans.
Aux yeux de James Clear, auteur du livre Un rien peut tout changer !, le téléphone, tel un couteau de suisse, nous permet de réaliser toutes sortes de tâches. Or, ceci rompt avec la vision fonctionnaliste du sociologue Émile Durkheim, selon lequel chaque institution et pratique possède une seule fonction dans un but d’harmonie et de stabilité. Pourtant, le téléphone peut être associé à la fois au travail, à la communication et au loisir, ce qui rend davantage difficile de s’en éloigner.
Un défi avec des limites
Pendant les trois jours de cette expérience, j’ai apprécié davantage mon appareil téléphonique, qui me sert en effet pour tout : m’orienter, communiquer, prendre des photos, regarder l’heure, et la liste continue !
Ce défi a cependant compliqué mon orientation dans la ville, facilitée par des applications de navigation comme Google Maps et Transit. Durant ce défi, j’avais toujours accès à Google Maps sur mon ordinateur, mais, sans savoir où le bus était exactement, c’était difficile de trouver le bon temps pour aller à l’arrêt. En conséquence, j’ai souvent raté mon bus durant les trois jours de ce défi.
Cette épreuve m’a également empêché de communiquer rapidement avec mes proches. Une fois, j’étais en retard pour venir à une réunion, mais je n’avais pas le moyen d’en notifier mes collègues. Bien évidemment, j’avais mon ordinateur portable avec moi, mais ne vous sentiriez-vous pas bizarre de l’utiliser dans la rue ? J’ai pourtant dû le faire pour les informer de ma situation, en utilisant le wifi public d’un magasin.
Après avoir complété ce défi, je lui constate une autre faiblesse : le téléphone est loin d’être l’unique outil avec un écran qui nous donne accès à Internet. Durant ces 72 heures, cette faille m’a servi de mécanisme de compensation. En fait, j’avais toujours accès au wifi sur d’autres appareils, dont mon ordinateur et ma tablette. C’est leur taille et l’absence de 4G qui les rendent cependant moins pratiques à utiliser n’importe où. Ainsi, je me sentais toujours connectée au monde digital, mais moins fréquemment.
Une amélioration du mieux-être
Cette expérience a néanmoins eu le mérite de me pousser à redécouvrir mes passe-temps préférés. Tandis que je ne pouvais plus profiter de mon téléphone pour étudier sur Duolingo, je m’obligeais à amener le livre de Clear, que je n’ai d’ailleurs pas toujours terminé. En continuant ma lecture, je découvrais chaque jour des nouvelles leçons sur les routines, comme l’empilement des habitudes. Cet ouvrage m’a convaincu de lire plus souvent lorsque je me déplace d’un endroit à l’autre.
Finalement, vers les dernières minutes du défi, j’ai regardé l’heure, et je me suis dit : « ce défi n’était pas si terrible, et cela ne me dérangerait pas s’il était prolongé ». Durant ces 72 heures sans mon téléphone, j’ai passé plus de temps avec moi-même. J’ai appris à me connaître à nouveau, je me suis reconnectée avec moi-même, j’ai lu, j’ai parlé davantage avec mes colocataires, et j’ai apprécié mes promenades.
Dans l’ensemble, je pense que mon bien-être a été amélioré grâce à cette exposition décroissante à la lumière bleue. Je ne regardais plus mon cellulaire juste après m’être réveillée, ou juste avant d’aller dormir. Pour maintenir cela, je voudrais maintenant établir une meilleure routine dans ma vie quotidienne en réduisant mon temps sur les écrans.
En cette ère numérique, il est difficile d’imaginer notre vie sans les appareils technologiques. Quand on marche dans la rue, au moins une personne est en train de regarder son portable. Bien que le téléphone ait permis une meilleure connexion avec le monde, c’est comme si le monde numérique ne dormait jamais. En revanche, comme le dit Catherine Price, autrice de How To Break Up vite Your Phone : The 30-Day Plan to Take Back Your Life : « Nous n’avons pas le choix d’utiliser ou non des smartphones. Le choix réside dans la manière dont nous les utilisons. »