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Pour une pride politique et radicale, contre le règne du capitalisme arc-en-ciel

Camille Cottais
18 juin 2022

Crédit visuel : Archives

Chronique rédigée par Camille Cottais – Journaliste

Les marches de fiertés sont de plus en plus sponsorisées par diverses banques et entreprises. La corporatisation de ces évènements pose alors plusieurs questions : Quelles sont les raisons d’être de ces marches aujourd’hui ? Sont-elles des célébrations ou des manifestations ? L’engagement des entreprises en faveur des droits LGBTQ+ est-il sincère ? Finalement, ne faudrait-il pas redonner à la pride son caractère politique, radical et contestataire ?

Aux origines de la pride

La marche des fiertés puise ses racines dans la protestation et le militantisme radical, ses origines remontant aux émeutes de Stonewall, s’étant déroulées à New York en 1969. Le matin de ce 29 juin, neuf policiers sont entrés dans le bar gay du Stonewall Inn pour une descente afin d’arrêter les client.e.s, dont beaucoup ont résisté, se révoltant face aux violences policières, aux arrestations et aux raids. Des affrontements violents se sont alors engagés entre des milliers de personnes LGBTQ+ et la police, ceux-ci continuant durant six jours.

Un an plus tard furent organisées les premières marches des fiertés à New York, et à Los Angeles, San Francisco et Chicago. Au Canada, il fallut attendre 1973 pour que les premières prides soient organisées, à Vancouver, Toronto, Ottawa, Montréal, Saskatoon et Winnipeg, et 1981 pour qu’ait lieu la première marche autorisée par la ville, à Vancouver.

La pride est donc éminemment politique : c’est une marche pour résister, pour lutter pour les droits LGBTQ+. Pourtant, aujourd’hui, elle ressemble davantage à un mois de célébration que de revendication.

Commercialisation de la pride et pink washing

Plus de 50 ans après Stonewall, la marche des fiertés a été normalisée dans les pays occidentaux, si bien qu’elle est aujourd’hui sponsorisée par de nombreuses entreprises : Coca Cola, Samsung, Starbuck, Adidas, H&M, Nike, Levi’s, PwC, Skyy Vodka… À cela s’ajoutent même des banques, telles que Chase, TD Bank et Mastercard. Certains événements de la pride sont également parfois payants, excluant ainsi les personnes les plus précaires et vulnérables. La pride serait-elle alors devenue trop corporative ?

C’est ce qu’estiment de nombreu.x.ses membres de la communauté, dont certain.e.s organisent des marches alternatives, radicales et anticapitalistes, comme la Queer Liberation March du groupe Reclaim Pride. Ces groupes s’opposent à la mainmise de la marche des fiertés par les entreprises, la police et les politicien.ne.s, et souhaitent un retour aux racines radicales du mouvement.

En effet, beaucoup de ces marques ne soutiennent les droits LGBTQ+ qu’au mois de juin, et semblent ainsi profiter de la pride pour se donner une bonne image et s’enrichir en s’appropriant les luttes queers : c’est le pink washing. La participation à la pride par ces grandes entreprises est très souvent un geste commercial calculé, une occasion financière et publicitaire pour séduire une communauté dont le pouvoir d’achat dans le monde est estimé à 2,5 trillions de dollars.

Il est important d’interpeller les entreprises qui vendent des produits multicolores et cherchent à se présenter comme des alliés, mais qui ne respectent pas les droits humains et qui polluent la planète. Par exemple, Adidas et H&M sponsorisent régulièrement des prides et sortent des collections spéciales pour le mois de juin, mais sont accusés d’utiliser le travail forcé des ouïghours pour fabriquer leurs produits.

Nos problèmes et nos expériences doivent aller au-delà du discours pour s’étendre aux actions concrètes, et ce, au-delà du mois de juin. Les sociétés sponsorisant la pride pourraient par exemple reverser une partie, voire la totalité, de leurs bénéfices à des associations LGBTQ+ ou directement aux personnes de la communauté. Cependant, même lorsqu’ils le font, cela crée une forme paresseuse d’activisme, aussi appelé slacktivisme : il s’agit d’une façon facile, mais peu efficace, de soutenir une cause.

En dépit des avancées des dernières années, il y a peu de revendications politiques dans le fait d’agiter un drapeau multicolore un jour de l’année, ce geste ne mettant en rien en avant les discriminations que nous vivons toujours en 2022 en tant que personnes queers. Pire, cela dissimule sous un drapeau multicolore faussement consensuel tous ces enjeux moins discutés, moins glamour que le droit au mariage ou à l’adoption

Déradicalisation et dépolitisation des mouvements queers

La culture et l’identité queer étaient auparavant marquées par la marginalisation et la criminalisation. Mais aujourd’hui, quelle est la pertinence d’une pride devenue ancrée dans le capitalisme ? Des millions de personnes participent aux marches, mais le message politique se perd. La lutte pour l’égalité, l’acceptation et la normalité s’est déroulée au prix de la déradicalisation et de la dépolitisation de nos luttes. 

Cette dépolitisation pourrait être acceptable si les mouvements LGBTQ+ n’étaient plus nécessaires, mais c’est loin d’être le cas. Ces prides capitalistes et apolitiques sont de plus en plus détachées des véritables préoccupations des membres de la communauté LGBTQ+. Beaucoup de personnes cisgenres et hétérosexuelles se rendent à la pride afin de faire la fête et de prendre des photos pour mettre en scène sur les réseaux sociaux leur militantisme performatif. Toutefois, ils.elles ne remettent pas en cause leur propre homophobie et transphobie.

Plus largement, il y a eu une déradicalisation des mouvements queers, qui se sont focalisés à partir des années 2000 sur les droits civils, notamment le droit de se marier, d’adopter et de servir dans l’armée. En somme, le droit de ressembler aux hétéros. 

Pourtant, les manifestant.e.s de Stonewall se battaient pour la révolution, pas le conformisme ni l’égalité au sein du statu quo. Nous sommes devenus des « hétéro-homos » résume le militant Peter Tatchell dans The Guardian : des esprits hétéros dans des corps homos, colonisés par la mentalité hétéronormative.

Cette politique de la respectabilité (il faudrait que les groupes marginalisés se conforment pour être acceptés) va à l’encontre de l’histoire et de la raison d’être des mouvements queers. Être queer, ce n’est pas seulement une question d’identité de genre ou d’orientation sexuelle, c’est aussi une résistance politique aux normes cis-hétéronormatives.

Les mouvements radicaux des années 70 visaient bien plus que la réforme des lois : ils défendaient un véritable programme de transformation sociale, de remise en cause de l’hétéronormativité mais aussi des rôles de genre, du racisme et du colonialisme. Aujourd’hui, les prides établissent rarement des liens avec d’autres luttes pour la justice sociale. Les mouvements queers mainstream manquent de diversité et d’inclusion, car dominés par les hommes blancs cisgenres et homosexuels et souvent peu accessibles aux personnes handicapées.

Ainsi, en ce mois de juin, disons les choses clairement : je me moque si Nike a sorti une collection de baskets multicolores ou si H&M vendra des chandails « love is love ». Ce que je veux, c’est que mes adelphes trans arrêtent de dormir dans la rue, que mes sœurs travailleuses du sexe arrêtent de mourir, que mes ami.e.s gays et lesbiennes arrêtent de se suicider, que les enfants intersexes arrêtent d’être victimes de multilations forcées. Ce que je veux, c’est la révolution queer, pas le capitalisme arc-en-ciel.

 

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