Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique
Article rédigé par Marina Touré – Cheffe du pupitre Actualités
Le décès de la reine Élisabeth II ne m’a pas attristé. Pourquoi devrais-je regretter ce symbole de l’impérialisme ? Pourquoi les seules réponses appropriées seraient-elles le deuil ou l’indifférence ? D’où viennent ma colère et mon dédain ? Comment faire pour partager mes sentiments sans pour autant faire preuve de mépris pour la mort ? Qu’est-ce que cela veut dire, pour moi, de faire ce deuil en particulier ?
Le 2 juin 1953, la reine Élisabeth II se fait couronner Reine d’Angleterre. On peut voir sur sa couronne les joyaux Koh-i-norr, ainsi que le diamant Culinan II, originaires respectivement de l’Inde et de l’Afrique du Sud, des reliques de l’impérialisme et du pouvoir de la Couronne britannique. Élisabeth II sera pendant 70 ans la monarque d’un empire à la tête de 55 colonies et 70 territoires.
La face cachée de la Couronne
Pendant ses 70 ans de règne, la reine Élisabeth II s’est non seulement présentée comme la reine du Royaume-Uni, mais aussi la souveraine du Commonwealth. Il était donc de son rôle de visiter « ses sujets », ce qu’elle fera à plusieurs reprises.
Ses nombreuses visites ont été pour beaucoup d’habitant.e.s une preuve que le fantôme de la colonisation n’est jamais très loin. En effet, la reine ne s’est jamais empêchée de se rendre dans les pays décimés par la guerre civile, causée par l’impérialisme britannique. Elle visita le Kenya en 1952, à la veille de son couronnement, au commencement de l’insurrection Mau Mau. Les Mau Mau furent ensuite forcés par les Britanniques à déserter leurs terres pour la construction d’un chemin de fer, avant d’être exterminés par ces forces.
Je ne pense pourtant pas avoir entendu parler de cet évènement pendant les discours d’éloges suite à son décès. C’est là que réside pour moi le véritable problème : le silence. Les funérailles ainsi que les déclarations autour de la reine et de son rôle sont restées muettes sur ces événements historiques. Cela m’a ramené à ma question : pourquoi devrais-je me soucier de la mort du symbole d’un empire qui encore aujourd’hui ne reconnaît pas ses fautes et base toute sa richesse sur les pillages du colonialisme ?
Deuil pour qui ?
Ce serait oublier le monde dans lequel je vis. Un monde où il est normal d’être attristé par la mort de la reine peu importe l’histoire et un monde où on défend sous couvert de la liberté académique l’utilisation du mot en N, par exemple.
Vous vous demandez quel est le lien ? Et bien à l’annonce de la mort de la reine, la professeure Uju Anya partage sur la plateforme Twitter ce message : « I heard the chief monarch of a thieving raping genocidal empire is finally dying. May her pain be excruciating, ». Ce gazouillis a maintenant été supprimé pour langage haineux et l’Université Carnegie Mellon où elle enseigne a annoncé n’avoir aucun lien avec ce message. Ici, pas de ralliement de professeur.e.s pour protéger la liberté académique ou d’expression.
Je ne peux pas oublier la pétition et la lettre écrites par près de 30 professeur.e.s de l’Université d’Ottawa pour défendre l’utilisation du mot en N. Un mot dont on connaît l’origine dérogatoire et qui n’a pas sa place dans les salles de classe. Mais pour le cas de Anya, son message était considéré comme une abomination, que plusieurs ont dénoncée.
Je me suis retrouvé dans le message de la professeure Anya : la reine Élisabeth II était plus qu’une reine, c’était le symbole de l’Empire britannique. Sa mort ainsi que les célébrations qui taisent le passé de la couronne et de ses actions montrent qu’encore aujourd’hui, la souffrance et l’histoire des personnes racisées ne comptent pas.
Une pensée qui ne m’a pas quittée en regardant le discours de Justin Trudeau. Un discours qui tait toute l’histoire de la colonisation et de l’impérialisme au Canada et qui ne fait que des éloges de la reine. Un discours qui me rappelle que nos souffrances, les miennes et celles des autres personnes racisées, ne veulent rien dire et qu’elles seront tues dans ces moments où elles devraient le plus être mentionnées.
Ce qui ressort des gazouillis, des messages, des photos, des déclarations, c’est la colère, l’indignation, le sentiment d’être effacée. Mais aussi le sentiment de connaître une vérité que beaucoup ont le privilège de ne pas connaître. Un privilège que la plupart d’entre nous, personnes racisées, n’ont pas.
Et maintenant ?
Cela m’aurait fait plaisir d’écrire qu’il y aura une solution à cela. Dans un monde plus juste, la Couronne britannique ferait une déclaration, s’excuserait, paierait des réparations aux colonies et leur rendrait les reliques de la colonisation. Cela a pris quelques jours pour que le gouvernement Trudeau mette en place un congé fédéral pour la mort de la reine. Pourtant, la Journée nationale de vérité et réconciliation n’est devenue un congé fédéral qu’en 2021.
Je ne suis pas non plus d’avis que le roi Charles III différera de sa mère, il sera sûrement comme elle un symbole, tout aussi silencieux devant les demandes des populations des anciennes colonies. Il est donc temps de s’éduquer sur la véritable histoire de l’Empire britannique, et de tous les anciens empires coloniaux. Nous devons créer un monde dans lequel les communautés pourront parler de ces histoires et les dirigeant.e.s ne pourront plus éviter ces discussions.