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Presse en temps de guerre : des journalistes perdu.e.s

Nisrine Nail
23 janvier 2024

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Direction artistique

Article rédigé par Nisrine Nail — Cheffe du pupitre Actualités

D’après les enquêtes du Comité de protection aux journalistes (CPJ), au moins 83 travailleur.euse.s des médias ont été tué.e.s depuis le 7 octobre 2023 dans le cadre de l’affrontement entre Israël et le Hamas, dont 76 Palestinien.ne.s. Le CPJ rapporte que c’est le conflit le plus meurtrier enregistré pour les journalistes. Cette situation a incité l’organisation Reporters sans frontières à déposer des plaintes devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. L’inquiétude pour la protection des journalistes se répand.

La presse au point de mire

Marie-Joëlle Zahar, professeure titulaire de sciences politiques à l’Université de Montréal et experte en médiation auprès de l’Organisation des Nations unies, confirme que l’immunité des journalistes est une norme reconnue à l’international, mais qu’elle n’est pas toujours respectée. « En temps de conflit et de violence, aucune règle n’est vraiment suivie », concède Bhanu Bhakta Acharya, professeur à temps partiel en études de l’information et en communication à l’Université d’Ottawa. Il développe que le rôle des membres de la presse est d’exposer les faits, ce qui les place souvent dans une position vulnérable.

Aimé-Jules Bizimana, professeur en sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais et spécialiste en journalisme de guerre, estime qu’il est « très difficile » de déterminer si des journalistes sont ciblé.e.s dans le cadre de conflits. Dans le cas de Gaza, des observateur.rice.s du conflit ont suggéré que des journalistes ont été ciblé.e.s, selon Zahar. « Leur mort est souvent, mais pas toujours, un acte volontaire pour les empêcher de faire leur travail », explique la professeure en sciences politiques.

L’experte en médiation atteste que Israël a historiquement limité l’accès des journalistes à la couverture d’évènements dans différentes zones en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Elle prend comme exemple la journaliste palestinienne, Shireen Abu Akleh, qui a été tuée par des troupes israéliennes lorsqu’elle suivait un affrontement en Cisjordanie en mai 2022. « La presse reste le seul moyen dans des conflits d’essayer de se faire une opinion plus ou moins indépendante », témoigne Zahar. C’est pourquoi elle soutient que les membres de la presse devraient reporter les conflits sans contrainte, intimidation ou violence.

Être la voix des populations : une mission

Acharya rappelle que la liberté de la presse est intrinsèquement liée à la liberté d’expression. Le professeur en études de l’information indique que toute personne a le droit d’exprimer ses pensées, ses préoccupations et ses mécontentements aux autorités. Il raconte toutefois qu’en raison de facteurs socioculturels, socioéconomiques ou sociopolitiques, des individus peuvent hésiter à se faire entendre ou sont dans l’incapacité de le faire. Delà l’importance de la presse, selon lui, en tant que voix du public.

La professeure en sciences politiques souligne que, dans le cadre de conflits, des acteurs affirment représenter des populations civiles alors qu’ils n’agissent pas de manière qui concorde avec cette « soi-disant représentativité ». Les journalistes agissent alors comme témoins des souffrances et des problèmes, observe-t-elle.

Bizimana et Acharya rappellent l’importance de l’accessibilité aux technologies pour reporter ces situations. La collection de l’information, son partage, sa vérification et sa crédibilité sont « transcendés » via des moyens technologiques, selon le professeur en études de l’information et en communication. Le spécialiste en journalisme de guerre questionne alors comment faire du journalisme lors de longues périodes de coupures des communications, situation récurrente à Gaza, et sans endroits sécurisés. « C’est une question de survie. C’est crucial de pouvoir connaître les risques et prévenir les populations pour des fins de sécurité », insiste Acharya.

Scruter les journalistes sur le terrain

Le professeur en sciences sociales dénonce que la presse internationale n’ait pas la permission de couvrir ce qu’il se passe à Gaza. Bizimana assure comprendre l’invocation du danger et de la sécurité de la part des militaires. Il atteste néanmoins qu’il est nécessaire de pouvoir reporter la belligérance afin d’être informé et d’intervenir.

Zahar mentionne que des journalistes à Gaza ont été remis.e.s en question par plusieurs médias, incluant certains médias canadiens, en raison de leur identité palestinienne. Bizimana énonce que ce questionnement tire son origine d’une association présumée de la presse palestinienne au Hamas. « Il ne faut pas oublier que ceux qui ont véritablement témoigné de la guerre à Gaza, ce sont des journalistes palestiniens travaillant généralement pour de grandes agences », considère le spécialiste en journalisme de guerre.

L’experte en médiation relate de ce biais inconscient et appelle à ce que les médias internationaux reconnaissent et restituent la valeur, la dignité et les droits de ces journalistes locaux.ales, en tenant compte de leur courage à travers la situation actuelleLa liberté de la presse est un droit protégé par les Nations Unies. Sans elle et le bien-être des journalistes, l’ONU reconnaît la gravité des répercussions sur la démocratie, le respect du droit et les droits de l’homme.

 

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