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Quand l’extrême devient ordinaire 

Crédit visuel : Ismail Bekkali — Journaliste

Chronique rédigée par Ismail Bekkali — Journaliste 

Dès son investiture, le nouveau président des États-Unis a offert au monde un aperçu de son règne à venir. Entre les visages inquiets de ses opposant.e.s et la réjouissance de ses partisan.e.s, Donald Trump enchaîne les décrets à un rythme effréné. Les remous sur les réseaux sociaux qui suivirent ce couronnement m’ont amené à questionner la portée de la parole publique et la droitisation croissante de la politique occidentale.

La succession d’événements politiques du même ressort au cours des derniers mois ne fit que confirmer ce constat troublant. Alors que le résultat des élections européennes de juin exprimait déjà une hausse de l’extrême droite dans les instances dirigeantes en occident, les États-Unis parachèvent cet effrayant paysage en novembre dernier en mettant à sa tête le plus conservateur des républicain.e.s. 

Ces épisodes n’en sont que les exemples les plus évidents, mais au-delà des programmes des politicien.ne.s concerné.e.s, l’exploration de l’actualité à travers des plateformes comme X ou Reddit m’a fait réaliser à quel point les échanges d’opinions peuvent s’intensifier. Qu’il s’agisse de droite ou de gauche, la radicalité des divers événements politiques auxquels on assiste semble s’insérer insidieusement dans la sphère publique et le vocabulaire de chacun.e.

En novembre 2024 surgit une polémique dans les médias français quant à l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal par les autorités algériennes. Si de nombreux médias dénoncent cette arrestation, beaucoup évitent d’aborder ou justifient les prises de position du romancier. Lors d’une entrevue avec le journal Frontières, Sansal fait une critique de l’Algérie et son passé, réduisant le pays à un « petit truc sans histoire », et décrit un Islam prosélyte imposant sa foi « de gré ou de force ». Dans le contexte de son emprisonnement, toute remise en question de ses propos se heurte rapidement à des accusations de complaisance avec l’injustice, alimentant un clivage idéologique où la dénonciation de ses discours entraîne un lynchage médiatique.

De la controverse au chaos sur les réseaux 

Ne voulant davantage m’attarder sur cette affaire, elle illustre cependant une tendance dans le discours public faisant que lorsqu’il s’agit de politique, la radicalité des avis est de plus en plus normalisée. Une radicalité qui semble se déplacer de la sphère médiatique jusqu’aux réseaux sociaux, pour aboutir à une standardisation de la violence. Le réseau X en devient l’exemple le plus criant, depuis que Elon Musk a racheté la plateforme en 2022. Qu’il s’agisse d’attaques ouvertement transphobes, misogynes, ou racistes,  la popularité ponctuelle de « threads »  en tendance propulse la violence verbale sur le devant de la scène tout en révélant son caractère « buzzogène ». 

Peut-être serait-il possible, de ce fait, de comprendre la notoriété de personnages comme Trump, en dépit des abus de ses déclarations. Au-delà des personnes simplement scandalisées, d’autres continuent de manifester une véritable sympathie pour ces esprits audacieux. Lorsqu’elles sont prononcées par une figure d’autorité, les insultes perdent de leur gravité, gagnent en légitimité, et incitent à faire usage de violence lorsqu’on se sent menacé.e.s.

Politiques et polémiques

Ainsi nous vivons dans une douce époque, où les responsables siégeant dans les plus hautes fonctions font plus que jamais preuve de bonté d’âme. Le président étasunien a arbitrairement pardonné les crimes de centaines de citoyen.ne.s, le directeur d’un département gouvernemental a fièrement rendu à son public un « salut romain », tandis que les foules se plaisent à l’idée de vivre dans un régime de plus en plus autoritaire.

Il s’agirait toutefois d’appeler un chat un chat, et de pouvoir juger un président lorsqu’il se rapproche du tyran. Croyez-le ou non, il s’avère que les mots aient un sens auquel il faudrait accorder davantage d’importance. Le « salut romain » ne peut pas s’apparenter à un geste anodin lorsqu’en réalité, il s’agit explicitement d’un hommage au régime nazi.  

Je comprends les réticences à émettre des conclusions trop hâtives, et j’admets que ce genre de comparaisons puisse nécessiter plus de nuances, mais il subsiste des faits qu’il n’est pas possible de répudier. L’épisode de l’Assaut du Capitole en 2021 illustre d’ailleurs cet argument. Au lendemain des élections présidentielles, le dirigeant nouvellement déchu, Trump, conteste la victoire de son opposant et incite ses fidèles à l’émeute. 

Le recul et les investigations qu’ont apporté les quatres années qui suivirent ont permis l’analyse de l’événement comme une étude de cas sur la violence collective. Les résultats « soutiennent largement » l’affirmation des médias comme « un moyen de communication instantané » associé à la violence sur le terrain, et posant la question de la responsabilité de chacun.e quant à ce qui l’a poussé à commettre de tels actes. En dépit de la violence commise, ces personnes seront finalement graciées par l’homme les ayant incité à passer à l’action.  

Malaise dans la culture politique 

En m’intéressant plus amplement à l’investiture de Trump, je ne pu m’empêcher de sourire en observant les visages des personnalités politiques l’ayant entouré. Entre l’inquiétude profonde qu’affiche Barack Obama ou le chagrin qu’exprime Kamala Harris, c’est les photos de Melania Trump qui ont pourtant suscité le plus d’émoi. Au milieu de toutes ces têtes à découvert, la première dame se pare d’une sombre armure bloquant toute interaction sociale. À l’instar d’un Inspecteur Gadget en mission secrète, Melania Trump détourne son regard de celui des caméras, comme si elle ne voulait plus être associée au politicien qui lui sert d’époux, alors que son expression stoïque et son manteau rigide sont à l’image du point de vue conservateur de son mari. 

Bien que ça n’en soit pas initialement l’intention, ce choix vestimentaire traduit à mes yeux un sentiment de honte face à l’absurdité de l’actualité politique, et je ne peux que compatir avec les adeptes de cette approche. À défaut de pouvoir inverser le résultat des élections présidentielles, ou de rétablir un semblant de modération sur X, j’incite chacun.e à interroger sa relation aux réseaux sociaux et les influences qu’ils peuvent partager. Que l’on adhère ou non à une opinion différente de la nôtre, il faudrait au moins communiquer avec respect, puisse la remise en question et la honte servir de barrière assez solide pour contrer l’incivilité.

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