Queerbaiting : les stars d’Hollywood surferaient-elles sur une « mode » queer ?
Crédit visuel : Camille Cottais – Rédactrice en chef
Chronique rédigée anonymement
À l’occasion de cette fin du Mois de la fierté, réfléchissons un instant à la normalisation d’une esthétique LGBTQ+ au sein de nos sociétés occidentales, voire à son instrumentalisation. Discutons du problème du « queerbaiting », ou de la pseudo-représentation queer.
Des normes de genre en transformation
Ma réflexion sur ce sujet a commencé avec la lecture d’un ouvrage de sociologie au titre pour le moins étrange : Libérés de la masculinité, Comment Timothée Chalamet m’a fait croire à l’homme nouveau. Dans son essai, Aline Laurent-Mayard, autrice et spécialiste du genre, utilise l’exemple de Timothée Chalamet pour décrire un autre type de masculinité. À l’heure où le patriarcat faiblit, et les badboys sont périmés, le jeune acteur et ses traits plus efféminés représenterait un renouveau du genre masculin.
Dans un entretien avec France Culture, l’autrice dit se baser sur la popularité de stars hollywoodiennes telles que Thimothée Chalamet, Harry Styles, ou encore Tom Holland pour affirmer l’avènement de nouveaux codes pour le genre masculin, aussi bien dans le comportement que dans l’apparence physique. À bas les smokings ennuyants, et dites bienvenue aux chemisiers transparents et robes en tout genre.
C’est pourtant l’apparence de célébrités comme Harry Styles et Jared Leto qui attireront les critiques de nombreux.ses membres de la communauté LGBTQ+ en les accusant de queerbaiting, ou, en d’autres termes, d’arborer les codes esthétiques d’une communauté sans en subir les stigmates. Car, oui, Harry Styles et Jared Leto n’ont jamais affirmé leur appartenance à ladite communauté.
Queerbaiting dans le cinéma
Le phénomène du queerbating n’est pas nouveau, loin de là. L’idée d’insinuer par des codes comportementaux ou visuels l’identité queer d’un personnage remonte au cinéma des années 30. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la représentation de personnages queers dans les films est tout sauf récente.
Il demeure cependant une différence flagrante avec les productions cinématographiques d’aujourd’hui : celle d’une position annoncée comme gayfriendly et inclusive des équipes de production. Une promesse, qui, souvent, ne sera pas tenue dans les salles sombres. Un exemple criant de ce genre de stratégies marketing paraît en 2021 avec la diffusion de la série The Falcon and the Winter Soldier par Marvel Studios. La relation des deux personnages principaux, Bucky et Sam, fait usage des mêmes codes comportementaux pour laisser place ici à une amitié étrangement étroite ou « bromance », trahisant par la même occasion beaucoup de fans de la licence Marvel.
Dans ce registre de fourberies, Marvel Studios s’avère être un cas particulièrement pertinent, car renommé pour son ignorance des personnages ouvertement queers de son univers. Cela fait plus de 20 ans déjà que le studio s’efforce de rester aveugle à toute représentation LGBTQ+ explicite. Malgré cette cécité inavouée, le studio n’hésite pas à jouer de l’identité et des interactions de ses personnages pour attirer un auditoire queer.
Par exemple, lorsque la question d’une potentielle bisexualité pour le personnage de Bucky a été exposée au scénariste Macolm Spellman, ce dernier n’a ni affirmé ni infirmé la proposition du journaliste. Marvel Studios, comme beaucoup, a ouvertement usé de ce genre d’ambiguïtés pour étendre la portée de ses œuvres cinématographiques à un public queer, tout en se protégeant des critiques d’un public potentiellement conservateur.
Entre acceptation et tolérence
Le point commun entre tous les cas mentionnés est la volonté de s’éloigner des conséquences réactionnaires qu’impliquerait l’appartenance assumée à cette communauté. L’objet de cette chronique n’est pas de diaboliser la pratique, mais seulement de comprendre cette attention portée à la sainteté de l’image publique, malgré l’usage de codes visuels clairement non hétéronormés. Nous pourrions penser que le queerbaiting ne concerne que le milieu des célébrités et du cinéma, une sphère restreinte où l’importance de l’image publique prime.
Cela concerne pourtant également les individus plus normaux, ceux à la vie banale, mais s’identifiant ouvertement comme queer. Je me base cette fois-ci sur les écrits d’une sociologue française du nom de Sylvie Tissot ayant mené une étude de cas poussée, dans deux quartiers gentrifiés et renommé pour leur acception des personnes LGBTQ+ : le Marais à Paris et le Park Slope à New York.
La sociologue fit le choix d’analyser le niveau d’intégration de cette communauté au sein de tels milieux bourgeois. Elle définit alors ce qu’on appelle la « gayfriendlyness », ou plutôt les limites de cette acceptation. Il existe en ces milieux un cadre de normes, basé sur un modèle familial traditionnel, mais surtout hétérosexuel, qui va déterminer l’image publique que ces personnes queers devront arborer si elles veulent se faire accepter. Pour le dire plus simplement, il est ici question de pudeur dans la manière d’être gay, tout en conservant le charme du quartier. On est allergiques aux couleurs de potentiels arc-en-ciels trop exubérants, mais nous acceptons les identités autres, avec modération. En retour, le quartier et ses habitant.e.s fortuné.e.s se vantent de leur progressisme affiché. En définitive, le narratif queer est encore une fois instrumentalisé. Au-delà de cette acceptation, Sylvie Tissot décèle, au bout de dizaines d’entrevues, une réelle différence entre sphère publique et sphère privée. Chez beaucoup, les personnes queers sont acceptées, tant que la famille de la personne interviewée n’est pas affectée.
C’est le constat d’une potentielle homophobie intériorisée qui m’aura fait réaliser les limites de la normalisation de la communauté. Des progrès ont été faits mais la revendication pose toujours problème, qu’elle implique l’image publique de célébrités, de studios de films, ou la vie quotidienne. Les narratifs LGBTQ+ et hétéronormés se transforment en apparence sans que les rapports de force ne changent, l’un demeurant aux dépens de l’autre.