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Arts et culture

Raconter son histoire dans ses propres mots avec Katia Café-Fébrissy

Eve Desjardins
3 mars 2023

Crédit visuel : Ali Rodriguez

Entrevue réalisée par Eve Desjardins — Cheffe du pupitre Arts et culture

Katia Café-Fébrissy a présenté son one-woman-show « Ça rime avec vinaigre ? » au festival Fringe d’Ottawa. La pièce raconte l’histoire vécue de Katia, qui lutte en 2017 au nom de son jeune fils, Donny, victime – parmi tant d’autres – de racisme systémique au sein du conseil des écoles catholiques anglophones de Toronto. Katia s’est entretenue avec La Rotonde pour discuter de sa pièce.

La Rotonde (LR) : Peux-tu commencer par décrire un peu ta pièce ?

Katia Café-Fébrissy (KCF) : Ma pièce, Ça rime avec vinaigre, est un monologue à plusieurs voix, qui raconte l’expérience de mon garçon dans le système scolaire catholique anglophone de Toronto. C’est une pièce qui est à la croisée du TED Talk, du jeu dramatique et aussi de la poésie slam.

LR : Pourquoi as-tu pris la décision de faire de ton expérience une pièce de théâtre ?

KCF : J’ai décidé de raconter cette pièce sous forme de pièce de théâtre parce que le théâtre est pour moi le médium le plus approprié à ce type de revendications. Je pense que le théâtre permet de porter un regard sur notre société, et si ce regard n’est pas critique, cela ne sert à rien. Il y a différents types de théâtre, et cette pièce-ci s’inscrit dans le théâtre de revendication.

LR : C’est ton histoire. C’est ta performance. Mais, est-ce que lors de l’écriture, il y avait une ligne pour toi que tu ne pouvais pas dépasser ? Quoi dire, quoi ne pas dire ?

KCF : Dans la pièce, les dialogues avec tous les personnages, les appels téléphoniques, les lettres, sont vrais. Toutes les conversations que mon fils a eues avec ses amis également. En fait, tout est vrai dans la pièce. La pièce est composée en trois sections : le ressenti et le vécu du petit garçon, les échanges des adultes avec le système et, entre les deux, la poésie slam, qui est un vrai commentaire sur mon vécu.

On parle souvent de racisme systémique, mais peu nombreuses sont les personnes qui savent à quoi cela ressemble. C’est le système qui est honteux. Je veux pointer le doigt sur le système. Je parlais beaucoup des catholiques, parce que c’est là qu’il y a le plus grand nombre de problèmes d’homophobie, de racisme, de discriminations, alors que c’est censé être des gens de foi, qui « love thy neighbour ». Je ne pointe pas le doigt sur des personnes, mais bien sur ce qu’elles incarnent.

LR : J’ai remarqué que la pièce de théâtre était très bilingue, est-ce que c’était pour que les discours et les propos soient transmis le plus véritablement possible ?

KCF : Oui, au départ j’avais fait le choix de tout traduire en français, sauf que ce n’est pas la vérité. Tous les échanges ont été en anglais, mais toutes mes réactions ont été en français. Étant francophone, au tout début, je parle de comment j’ai réagi aux commentaires de l’enseignante. J’aurais pu lire les courriels en anglais, mais ce n’était pas vrai. Moi, j’y ai pensé en français. C’est pour ça que c’était bilingue. Une autre raison, c’est que mon fils parle vraiment le « franglais », il a toujours parlé franglais, parce qu’il allait à une école anglophone, mais à la maison c’était en français, donc il jouait en anglais, mais il vivait en français. Le choix de la langue a été organique par rapport aux situations et par rapport à la réalité de mon fils.

LR : De ce que j’ai pu comprendre de la scénographie de la pièce, il y avait différentes zones pour chaque personnage dans leur milieu propre. Est-ce qu’il y avait un besoin pour cette démarcation claire pour ne pas confondre les personnages, puisque c’était seulement toi sur la scène ?

KCF : Oui, exactement ! Puisque j’étais seule sur scène et que j’interprétais tous ces personnages-là, il fallait leur donner un monde. Alors d’un côté, il y avait la maison, de l’autre côté il y avait l’école et le conseil scolaire, et au milieu, c’était moi.

LR : Parfois, quand tu regardes des one-woman-shows, l’actrice parle et ensuite se tourne rapidement pour faire une réplique comme si elle était quelqu’un d’autre. Cela vient du fait que le.la spectateur.ice ne peut pas rentrer dans la pièce de théâtre. Je trouve que c’était très bien fait la manière dont tu prenais l’espace, tu occupais la scène pas forcément physiquement, mais émotionnellement, à travers l’ampleur de tes personnages.

KCF : Merci ! Parce qu’au début — comme on est encore en train de tester certaines choses, le texte n’est pas fini — j’étais très consciente que j’avais mes feuilles. J’ai dû faire des choix, est-ce que je garde mes feuilles, mais je donne vie aux personnages, ou bien est-ce que je me force à apprendre 60 pages et je me trompe ? On n’a eu que deux semaines de répétitions, donc ce n’était pas un choix très difficile. 20 heures de répétitions, ce n’est pas beaucoup pour un spectacle de 1 heure 20.

Le choix de créer ces espaces, surtout avec la lumière et pas beaucoup de décors, était intentionnel. Même dans la scénographie finale, il y aura peut-être un ou deux jouets, peut-être une ou deux tables d’école, mais je n’en suis pas certaine. Pour moi, quand je vois une seule personne sur scène avec plein de décors, je suis distraite. Je ne sais plus où regarder. Je crois que ce qui fait la force d’une seule personne sur scène, c’est de créer ce monde et de faire appel à l’imaginaire du ou de la spectateur.ice. Dans la scénographie finale, il y aura des accessoires pour illustrer les personnages comme moi je les conçois. Je dois faire appel à l’émotion chez les spectateur.ice.s pour qu’ils.elles puissent se l’imaginer. Pour un one-woman show, I wanted this naked, le plus raw possible. Qu’on oublie que j’ai mes feuilles et qu’on se focalise sur les personnages.

LR : Quelles sont les prochaines étapes pour la pièce ? Que souhaites-tu accomplir dans le futur proche ?

KCF : Ce qui m’a motivé à écrire cette histoire, c’est que le monde ne le croyait pas. Moi-même quand j’ai écrit la pièce et que j’ai pu remarquer toutes les étapes par lesquelles je suis passé en 2017, je me suis dit : « on [mon mari et moi] a pu faire front à ce système ». Mais, qu’est-ce qui se passe pour les gens qui ne savent pas quoi faire ? Surtout, quand on est immigrant.e, on se dit « ah ben non, on ne va pas faire de bruit ».

Ce qui s’est passé avec mon fils, ce n’était pas anodin, parce que dans mes recherches, j’ai rencontré d’autres personnes qui ont vécu encore pire, mais qui n’ont rien fait parce qu’elles ne savaient pas qu’elles avaient le droit. Justement, quand on parle de racisme systémique, on ne se met pas à l’idée qu’on a des droits peu importe notre nationalité ou notre couleur de peau. Mon objectif avec cette pièce, c’est de sensibiliser les gens à ce qu’est le racisme systémique en milieu scolaire. Et aussi «to empower people », de leur dire que tu peux te défendre, tu as le droit. Donc la prochaine étape, pour moi, c’est de continuer à développer le projet pour faire en sorte que je puisse le produire, et ensuite faire des tournées partout au Canada.

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