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Arts et culture

Repenser son rapport aux choses et à l’Autre en agissant localement

Crédit visuel : MECavett

Chronique rédigée par Sandra Uhlrich — Journaliste

Le modèle de croissance infinie issu du capitalisme a profondément transformé notre manière de consommer, mais aussi notre rapport au monde qui nous entoure. Ce modèle mérite d’être remis en question, tant il est enraciné dans notre quotidien. Au-delà de l’idée d’amorcer une décroissance, il est essentiel de conscientiser sa manière d’être au monde. 

Notre rapport au matériel 

Le capitalisme est intégré dans tous les aspects de notre vie, que ce soit dans la manière dont nos villes sont organisées, dans notre perception du temps ou dans celle du succès. Il est très difficile de se dissocier complètement de ses logiques, de ses mécanismes et de ses attentes. Nous nous retrouvons dans une logique du « toujours plus », qui peut être aliénante.

L’aliénation, comme pensée par Karl Marx, désigne un état où l’individu devient étranger à lui-même. Il n’est plus complètement maître de ses actes et de ses pensées, notamment dans le cadre du travail, où il ne reconnaît plus ce qu’il produit. Il ne s’épanouit pas ; ses relations deviennent marchandes et utilitaires. L’individualisme prend alors le dessus, au détriment des liens collectifs. 

Notre rapport au monde matériel est le plus impacté : on achète par automatisme plus que par nécessité. La fermeture de mon sac à dos est cassée : j’en achète un autre plutôt que de le réparer. Consommer devient même une manière de répondre à ses émotions : je suis triste, je vais m’acheter un latté ou une autre paire de baskets

Et bien évidemment, il faut tenir compte de l’impact environnemental que cette surconsommation ou mal-consommation engendre.

Il serait nécessaire de repenser complètement la manière dont notre société s’organise, si l’on souhaite s’extraire du joug du capitalisme. Cependant, face à un tel projet, il est commun de se sentir démuni.e et impuissant.e. C’est après tout un chantier à entamer collectivement. Par contre, plusieurs actions sont possibles à titre individuel pour amorcer ce changement global. 

Cela passe notamment par conscientiser son rapport aux choses en reconnaissant ce qui a vraiment du sens dans nos vies. En soi, acheter et consommer n’est pas toujours nécessaire. Pourquoi ne pas emprunter ou réparer? 

Ottawa Tool Library : catalyseur de partage

Récemment, j’ai découvert les Cafés des réparations, lancés par la Ottawa Tool Library (OTL). Initiative complètement gratuite, elle mobilise chaque mois près de  40 bénévoles qui réparent petits électroménagers, bijoux, vêtements, mobilier, et bien plus encore. Ce mois-ci, je suis allée au Café pour faire réparer un de mes pantalons. 

Les Cafés redonnent une seconde vie aux objets qui finissent trop souvent à la poubelle, alors qu’ils pourraient être réparés. Bettina, cofondatrice de la OTL, observe que la culture de l’obsolescence programmée est bien présente. Elle m’explique que, pour pouvoir réparer des électroménagers, il faut sans cesse investir dans du nouveau matériel et dans la formation. Malheureusement, c’est la seule manière de contrer les tactiques des grandes entreprises qui cherchent à pousser à la consommation. Elle s’oppose fermement à ces dernières et insiste : « Nous avons un droit à la réparation ». 

C’est Mary, une bénévole impliquée depuis près de 6 ans au Café, qui a su raccommoder mon jean. Elle me confie : « On peut faire beaucoup de choses si l’on a les outils et les compétences. Si je peux contribuer de cette manière, j’en suis heureuse ! » Elle ajoute qu’elle aime venir au Café, pour son esprit de communauté et d’entraide. Cette dernière idée m’est restée. Cela résonne avec ce que Bettina me disait : « Notre mission s’inscrit dans le cadre de l’économie circulaire et de l’économie de partage »

La OTL est un bel exemple de cette économie de partage. Elle met à la disposition de ses membres une variété d’outils et des espaces de travail. Elle propose aussi différents ateliers et formations pour rendre le bricolage et la réparation accessible au plus grand nombre. 

Ces rencontres m’ont inspirée, car ces personnes croient sincèrement en leur pouvoir d’agir pour la communauté d’Ottawa et pour la planète. Cela m’amène un autre questionnement : sous-estimons-nous la portée réelle de l’altruisme ? Peut-être, ne somme-nous pas autant à la merci du monde capitaliste que je le croyais.

Réinventer la communauté dans un monde individualiste  

Des témoignages de l’humanité des gens, il y en a partout autour de nous : mon chum qui repart avec une pizza gratuite après une simple conversation ; un cycliste qui me voit avec mon vélo crevé et qui m’aide à le réparer. Pourtant, je trouve que ces gestes sont davantage devenus l’exception que la norme. 

Il me semble que ma grand-mère a gardé cette ouverture à l’Autre que notre monde en mouvement tend à effacer. Dire bonjour au chauffeur de bus, sourire à un passant. Engager la conversation à un arrêt de bus. Je crois qu’au milieu du brouhaha de la vie, il est nécessaire de refaire de la place pour l’Autre, les échanges et le partage. 

Rien que dans notre communauté universitaire, on voit des initiatives issues de cette économie de partage et de ce sens de communauté. La Gratuiterie, située au 100 Thomas More, est bien le seul magasin sur le campus où sortir sans payer est totalement légal !  Portez aussi attention aux Little Free Libraries sur le campus, et aux alentours.

Dans le même principe que la OTL, je suis tombée sur la Ottawa Outdoor Gear Library, où on peut emprunter du matériel de randonnée ou de camping gratuitement. L’application Club Partage part du même principe et permet d’emprunter au sein de ta communauté. Il existe également une variété de pages Facebook, telles qu’Ottawa Freestore

J’aime me rassurer, peut-être naïvement, que le sens de communauté est encore bien présent bien que plus discret. Rencontrer l’équipe de la OTL m’a conforté :  la surconsommation,  la croissance infinie et  l’individualisme aliénant ne sont pas des fatalités. Rappelons-nous que nous pouvons être acteur.ice.s de changement, à notre échelle. 

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