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Éditorial

Soustraire la culture du viol coûte moins cher

Web-Rotonde
19 janvier 2015

– Par Marc-André Bonneau –

La haute gouvernance de l’Université d’Ottawa (l’U d’O) semble être plus préoccupée par la réputation de l’Université plutôt que par la culture du viol, qui n’est toujours pas reconnue par cette dernière.

En effet, en refusant systématiquement d’utiliser les termes « culture du viol », l’Université refuse d’admettre l’ampleur réelle du problème. Sa réputation est importante pour que les nouveaux clients continuent d’affluer et, surtout, pour une récolte optimale de dons du secteur privé. Toutefois, ces considérations ne font que reporter une conversation sur la violence sexuelle que l’U d’O n’a jamais réellement entreprise. La suspension de l’équipe de hockey masculine pour 2015-2016 n’est qu’une conséquence supplémentaire de cette approche.

La première suspension de l’équipe ne tentait pas d’attaquer la culture du viol, mais visait à maintenir une vision de l’U d’O comme un endroit sécuritaire et dirigé par des principes fermes. Or, cette suspension n’a pas fait un campus plus sécuritaire, même si la décision était nécessaire en temps de crise. Elle cherchait plutôt à rassurer étudiants et futurs clients.

La réputation avant tout

Après cet effort superficiel, une discussion substantielle devait être mise en place par l’entremise du « Groupe de travail sur le respect et l’égalité », refusant encore une fois d’utiliser le vocabulaire approprié. Attendues pour novembre dernier, les recommandations du Groupe sont toujours absentes.

Alors que l’U d’O a lamentablement échoué à attaquer le problème que pose la culture du viol, des anciens joueurs de l’équipe d’hockey intentent maintenant un recours collectif de six millions de dollars contre l’institution. Peu importe l’issu du recours, les étudiants paieront cette bataille juridique, un coût qui s’ajoute à ceux qu’entraîne l’inaction de la gouvernance. Jeudi dernier, Allan Rock a expliqué à La Rotonde en quoi consisterait la réponse de l’Université suite au recours collectif : nos avocats s’en chargeront. Ainsi, l’U d’O continue de refuser de reconnaître la complexité du problème et d’entreprendre une réflexion à l’échelle de la communauté universitaire, y préférant une réponse unilatéralement judicaire.

Le Groupe ne réunit aucun individu impliqué dans la gouvernance universitaire. La haute gouvernance a choisi de rester dans « une dimension uniquement judiciaire », ce que Michaëlle Jean, la chancelière de l’U d’O, craignait en août dernier. Cette dernière recommandait un soutien beaucoup plus fort, centré sur le counseling. Pourquoi refuser une approche si proactive? Discuter et tenter de comprendre implique des compromis, ce qui a été refusé pour que l’institution demeure synonyme de rigueur et de fermeté.

Parler de la culture du viol, ne serait-ce qu’admettre son existence, aurait déjà été un premier dialogue. Mais l’U d’O a eu d’autres objectifs.

Son approche permit toutefois de réduire les répercussions sur la réputation de l’U d’O, du moins temporairement. Cette stratégie assure que les inscriptions ne baissent pas et, surtout, que les donateurs continuent de donner. L’important, pour elle, c’est qu’elle montre qu’elle a le contrôle. Dommage, car ce ne sont pas les recteurs qui connaissent la vie des étudiants et ses enjeux quotidiens. Ce sont les étudiants qui vivent et peuvent témoigner de cette culture nocive.

Les conséquences

Alors que l’attention est rivée sur l’équipe et sa suspension, il est dangereux d’oublier les premières victimes, à savoir celles qui ont souffert d’agression sexuelle. C’est notamment ce que Lucia Lorenzi rappelle dans un article publié dans Rabble, tout en soulignant que ces dernières souffrent des coûts faramineux des procédures judiciaires.

Simultanément, nous rappelle l’auteure, les centres de soutien pour les victimes manquent de fonds. Plus près du campus, six millions de frais de scolarité seraient mieux dépensés à soutenir un meilleur appui pour les étudiantes et étudiantes victimes de violence sexuelle.

Que des anciens joueurs doivent entreprendre cette poursuite est une chose malheureuse, mais c’est la lamentable réponse de l’U d’O qui l’a entraînée. Leur recours est légitime et ne doit pas être réduit en rappelant des soupçons pour lesquelles ils ne sont pas coupables. De plus, évitons de tracer un faux dilemme entre leurs rêves d’hockeyeur et les conséquences douloureuses que la victime doit surmonter. Il est possible d’offrir son soutien aux deux.

Maintenant

Préserver l’image de l’institution semble avoir a été le plus grand souci de l’U d’O. Maintenant, on lui demande de reconnaître la culture du viol et de présenter ses excuses aux joueurs innocents.

Bien qu’on espère que les recommandations du Groupe de travail soient enrichissantes pour la communauté universitaire, le dialogue qui vise à déconstruire la culture du viol ne doit pas simplement rassembler les étudiants et un regroupement mandaté pour prendre la chose au sérieux.

L’étendue des problèmes qu’entraînent les cas de violence sexuelle doit être reconnue et étudiée du haut de la pyramide de la gouvernance. Dommage qu’on y trouve autant de gestionnaires animés par des soucis pécuniaires et, du même coup, préoccupés par l’image de l’U d’O. Bien sûr, ils veulent bien que les étudiants apprennent dans un environnement sain. Cependant, c’est l’approche qu’on critique, non l’intention.

Sans doute, ce souci de réputation serait le même dans les autres universités canadiennes, qui dépendent de plus en plus du financement du secteur privé. L’argent donne forme à l’espace universitaire. L’influence mercantile ne modifie pas simplement l’orientation de la recherche, mais aussi l’ensemble des décisions que pose l’Université. L’oublier, c’est de devenir l’étudiant qui peut accepter n’importe quoi, alors que celui qui doute est plus que jamais nécessaire.

 

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