Surreprésentation des hommes en politique : à quand la parité à la Chambre des communes du Canada ?
Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique
Chronique rédigée par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités
Justin Trudeau a placé la barre haute en 2015 en nommant le premier Cabinet paritaire de l’histoire du Canada et en attribuant des ministères importants aux femmes. Malgré l’évolution des mœurs, les femmes restent toujours minoritaires à la Chambre des communes comme dans les chambres législatives des provinces. Ce manque de femmes parmi nos élu.e.s pose la question de la nécessité des quotas pour atteindre la parité et une véritable transformation du champ politique.
102 femmes ont été élues députées lors des élections du 20 septembre dernier, soit un record, avec quatre femmes de plus qu’en 2019. Ces dernières ne représentent pourtant que 30,2 % du total des député.e.s de la Chambre des communes, classant le Canada au 56ème rang mondial seulement en termes de parité. Seul le Nouveau Parti démocratique a réussi à atteindre la parité dans le nombre de candidat.e.s, mais pas dans celui des élu.e.s.
L’importance de la parité en politique
Manon Tremblay, professeure de sciences politiques à l’Université d’Ottawa et spécialiste de la question des femmes en politique, affirme qu’il s’agit tout d’abord d’une question de démocratie : « Les femmes étant assujetties aux lois, elles devraient pouvoir participer à parité à la définition de ces lois ».
Tremblay évoque plusieurs visions de la représentation politique : la représentation descriptive, la représentation substantielle et la représentation symbolique.
La première renvoie à l’idée que les institutions représentatives devraient être le reflet de la société : diversité de genres, mais aussi d’orientations sexuelles, de « races », de milieux sociaux, etc. Ainsi, puisque les femmes constituent environ 51 % de la population canadienne, les institutions représentatives devraient compter environ une moitié de personnes s’identifiant comme femmes, et non seulement 30 %. Au contraire, il y a actuellement une surreprésentation en politique des hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels et d’une cinquantaine-soixantaine d’années. Ces derniers ne sont pas nécessairement incompétents, avance Tremblay, mais ils occupent une part trop importante dans les institutions politiques qui décident du vivre ensemble.
La représentation substantielle renvoie quant à elle à l’idée selon laquelle les expériences particulières vécues par les femmes pourraient influencer leurs opinions et leurs décisions. En sous-représentant les femmes et autres minorités, la gouverne politique se priverait donc de ressources et d’expériences précieuses, notamment en ce qui concerne l’adoption de politiques publiques touchant lesdites minorités.
Finalement, l’argument relatif à la représentation symbolique avance l’importance de la présence des femmes en politique, champ du pouvoir par excellence. Cela envoie selon Tremblay un double message : aux filles et aux femmes, qu’il est possible pour elles d’occuper le pinacle du pouvoir d’État, et aux hommes cisgenres et hétérosexuels, qu’ils n’ont pas le monopole de celui-ci.
Un mal nécessaire ?
Les débats sur la parité, que ce soit en politique, dans l’administration publique ou ailleurs, rejoignent souvent ceux sur les quotas, ces mesures contraignantes visant à forcer l’entrée des femmes en politique. Beaucoup de féministes considèrent que les quotas sont un mal nécessaire : imposer par la force ce qui devrait par la suite devenir naturel, devenir une évidence.
Selon Tremblay, les États-Unis et le Canada sont allergiques aux quotas, « mais dans les faits, il y a des quotas partout », notamment dans l’administration publique fédérale canadienne. On les appelle cependant des groupes cibles et non des quotas, car ce mot ferait trop peur. L’administration publique doit ainsi être relativement représentative de la population canadienne en termes de proportion de femmes et d’autres groupes marginalisés.
Les quotas restent une méthode très controversée. Certain.e.s de ses détracteur.ice.s avancent par exemple qu’ils seraient antidémocratiques, voire même qu’ils seraient de la discrimination inversée. Au contraire, la parité est essentielle à la démocratie représentative, et la discrimination positive permet de répondre à une injustice, de corriger une inégalité. Les lois sur la parité ont porté leurs fruits dans certains pays pour contrer ce phénomène, comme en Norvège et en France.
Ce principe d’adopter des mesures favorisant un sexe pour corriger les inégalités de départ s’inscrit en fait dans une démarche d’équité. L’instauration d’une inégalité formelle se substitue à une inégalité de fait. En imposant ces lois, on cherche à fournir aux hommes et aux femmes les mêmes droits et opportunités, bien que ces quotas ne s’attaquent pas à la racine du problème.
Beaucoup jugent en effet que les inégalités ne se résoudront pas par des lois, mais par l’éducation, la sensibilisation et le dialogue, et ce afin de déconstruire les schémas mentaux ancrés dans les esprits depuis des années. La parité traite la conséquence, mais pas nécessairement le problème, en ce qu’elle n’apporte pas une solution aux mécanismes de reproduction des inégalités femmes-hommes. La mise en place de ces quotas est donc une mesure dont l’efficacité même est controversée.
Le mythe de la méritocratie
Beaucoup de personnes critiquent les quotas en affirmant qu’ils pousseraient à choisir des femmes uniquement parce que ce sont des femmes, et non parce qu’elles sont compétentes. Néanmoins, comme par hasard, ce sont toujours les hommes (blancs) qui sont jugés compétents, comme si ces derniers étaient naturellement plus compétents que les femmes. La compétence est située dans un contexte social, rappelle Tremblay. Les personnes qui définissent la compétence le font selon des critères qui les avantagent, qui les confortent dans leur position hégémonique, et qui excluent les autres en les présentant comme incompétent.e.s.
Cet argument de la compétence pourrait être pertinent si nous étions dans une société méritocratique. Mais cette méritocratie est un mythe : encore aujourd’hui, les individus ne démarrent pas leur vie avec les mêmes opportunités selon leur statut de genre, de race, de classe, etc.
Les quotas ne mènent pas à choisir des personnes incompétentes. Au contraire, le boys club actuel en politique est néfaste, en ce qu’il alimente une vision androcentrique de la réalité. La diversité est un atout : elle permet de renouveler et de diversifier la classe politique.
Une parité nécessaire, mais pas suffisante
Les quotas ne sont pas une mesure miracle pour amener à l’égalité entre les sexes. Ils ne suffisent pas à éradiquer le sexisme, bien qu’ils puissent être un très bon outil. Par exemple, les quotas ne changent rien à la division sexuée du travail ni ne traitent le problème plus global que sont les normes masculines, voire viriles existant en politique.
Il ne suffit pas de faire entrer plus de femmes en politique pour améliorer la condition des femmes, pour développer un féminisme d’État ou pour faire adopter des mesures favorables aux droits des femmes. L’étiquette partisane est donc importante à prendre en compte. Certains hommes de gauche sont ainsi plus favorables à l’égalité femmes-hommes que des femmes conservatrices.
Par ailleurs, il ne suffit pas d’obtenir une égalité dans le nombre de candidatures, puisque, dans les pays où des lois sur la parité sont en vigueur, beaucoup de partis investissent des femmes dans des circonscriptions où elles sont certaines de perdre, afin de reconduire leurs élus masculins sortants. Les femmes sont également très peu souvent présentes en tête de liste et obtiennent fréquemment des postes considérés comme féminins (par exemple au ministère de la Santé ou de l’Éducation) et non les postes régaliens, monopole des hommes.
Finalement, il ne faut pas oublier que les mesures de discriminations positives ou de quotas bénéficient aux femmes blanches déjà privilégiées, notamment en termes de classe sociale et de race. Une femme blanche et bourgeoise n’est pas nécessairement à même de comprendre la réalité d’une femme pauvre ou racisée.
La parité en politique n’affecte en rien la réalité des femmes gagnant le salaire minimum, ou encore la surféminisation des métiers des soins, toujours sous-payés et dévalorisés. Le genre ne doit donc pas être pris comme variable unique : il faut aussi considérer d’autres marqueurs sociaux comme l’origine ethnique, la classe sociale, l’orientation sexuelle, etc. La parité a été l’une des revendications principales du féminisme libéral, un courant qui a peiné à tenir compte des différences existant au sein même de la classe des femmes.
La parité permet d’apporter une solution radicale à la fameuse question du plafond de verre, mais le plafond de verre est une problématique qui touche des femmes très privilégiées. Comme l’écrivent Cinzia Arruzza, Nancy Fraser et Tithi Bhattacharya dans leur manifeste Féminisme pour les 99% : « Nous n’avons aucun intérêt à briser le plafond de verre si l’immense majorité des femmes continuent d’en nettoyer les éclats ».