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Éditorial

Survivant.e d’agression sexuelle, te croit-on vraiment ?

Rédaction
18 janvier 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Éditorial rédigé par Caroline Fabre – Rédactrice en chef

Il y a eu Gilbert Rozon, Éric Salvail, et Maripier Morin. Il y a eu Éric Lapointe, Edgar Fruitier, Gilles Parent et Jian Ghomeshi. Il y a eu Guy Cloutier, Marcel Aubut, Luck Mervil, et Julien Lacroix. Des agressions sexuelles, il y en a eu des centaines dans le milieu du showbiz. Et pourtant, bien trop souvent, les victimes n’obtiennent pas réparation. Est-ce là une traduction d’un système juridique défaillant, ou des avantages liés à la célébrité ?

Le 12 janvier dernier, l’humoriste et comédien Julien Lacroix a publiquement présenté ses excuses sur son compte Facebook après un long silence de plus de six mois. Le 27 juillet dernier, Le Devoir partageait les témoignages de neuf femmes qui accusaient Lacroix d’inconduites sexuelles, allant de baisers non consentis, à des relations non consentantes. 

Six mois, c’est long. C’est très long, et encore plus lorsqu’il s’agit de présenter des excuses à des personnes dont la vie se retrouve grandement affectée. Lacroix avait-il autre chose à faire avant ? A-t-il attendu de s’entourer de la meilleure équipe d’experts en relation publique pour pouvoir présenter les excuses les plus plausibles ? Est-ce la peur de perdre son public qui l’a forcé à poster ce message après six mois de silence radio ?

Et qu’espère-t-il ? Prendre la température de son public pour préparer son prochain spectacle et éventuellement tenter de faire un retour sur la scène artistique ? C’est d’ailleurs ce que semble signifier l’humoriste : « Par soucis de transparence, particulièrement pour les plus jeunes qui m’ont suivi depuis des années, je partage une infime partie de mon cheminement qui est loin d’être terminé. »

L’expert en relations publiques et professeur à l’Université Laval, Bernard Dagenais confiait au Journal de Québec que ce processus d’excuses « fait partie d’une stratégie reconnue en relations publiques et en relations humaines : faute avouée est à moitié pardonnée. Il veut donner une image de repentant. » C’est justement cette dernière mention qui pose ici problème. Faute pardonnée par qui ? Le ou la juge, et donc la société, ou la personne agressée ? Laquelle des deux est plus à même de porter les traces de telles agressions tout au long de sa vie ? Certainement pas la société.

Reconnaître, c’est admettre ?

Dans sa publication, Lacroix se dit « très nerveux à l’idée de [nous] parler », sa carrière étant déjà grandement affectée. Épargnez-nous donc les larmes de crocodile. Si le comédien assure avoir rédigé cette publication pour « présenter [ses] excuses aux personnes [qu’il a] profondément blessées », il ne mentionne jamais le motif des multiples accusations qui pèsent contre lui.

Quel est donc l’objectif de ce message, si la véritable nature des faits n’y est même pas mentionnée ? Ces omissions traduisent-elles une certaine timidité ? Ou admettre qu’il a violé et agressé sexuellement est trop insoutenable pour sa conscience ? Il semblerait que ce soit cette deuxième option, puisque le comédien préfère d’ailleurs s’excuser d’avoir bu, de s’être drogué, et d’avoir … Trop travaillé. L’alcool et la drogue ont bon dos dans cette confession digne de la plus grande des tragédies grecques. 

Lacroix espère d’ailleurs pouvoir, un jour, « parler de la place de l’alcool et la drogue dans notre univers social […], cette discussion est essentielle et doit être faites sans tabou. » Les reproches qui lui sont faits ne concernent ni l’alcool, ni la drogue, mais bel et bien le viol et la notion de consentement.

« Je suis un alcoolique et je me rétablis, un jour à la fois. » C’est admettre la chance qu’il a de pouvoir se rétablir, et de surmonter ses addictions à son rythme. Mais qu’en est-il des survivantes de ses actes ; bénéficient-elles d’un soutien similaire, voire même d’un soutien tout court ? La célébrité de Lacroix lui permet-elle d’être épaulé dans cette « dure période », alors qu’il n’est pas victime de cette situation, mais bien le coupable ?

Célébrités épargnées

Au-delà du cas de Lacroix, plusieurs autres personnalités ont également été épinglées pour inconduites sexuelles ces dernières années. Souvenons-nous notamment des cas d’Éric Salvail et Gilbert Rozon, tous deux acquittés durant l’année 2020. 

Mais aujourd’hui nous sommes en colère. En colère qu’un énième artiste reçoive le soutien de son public, sous prétexte qu’il faille distinguer l’homme public de l’homme privé. En colère parce que différencier les deux, c’est tolérer et donc défendre ce qui a été fait. En colère parce que la célébrité de ces personnes leur permet de passer entre les mailles du filet ; une personne dite lambda n’aurait peut-être pas eu les mêmes opportunités concernant sa défense. 

Mais surtout, en colère parce que ces situations posent la question de la reconnaissance de la voix des survivant.e.s dans les accusations de viols et d’agressions sexuelles. « Croire la victime à tout prix comme dans le mouvement #MoiAussi n’a pas sa place en droit criminel », s’est prononcée Mélanie Hébert, la juge de la Cour du Québec chargée de l’affaire Rozon.

Or, la question n’est pas de croire à tout prix le ou la survivant.e, la présomption d’innocence a sa place dans notre société. Mais lorsque neuf femmes témoignent contre une seule personne, ou même quatorze dans le cas de Rozon, le doute s’impose, et encore plus lorsque l’acquittement est de rigueur. Nous croyons à ces dénonciations publiques.

Solidarité clé

Le mouvement #MeToo, ou #MoiAussi en français, est arrivé des États-Unis en 2017, et vise à libérer la parole concernant les agressions sexuelles et les viols. Il a, en 2020, connu un regain d’intérêt à l’international lorsque des manifestations ont été organisées dans plusieurs grandes villes à travers le globe, notamment à Québec et à Montréal. 

Marie-Lou Ville­neuve Hobbs, inter­ve­nante en droits de la personne et préven­tion de la violence sexuelle pour le Bureau des droits de la personne à l’Université d’Ottawa, avait partagé en 2019 que les mouvements comme #MoiAussi contribuaient à démocratiser la question du harcè­le­ment sexuel. Propos validé par Lacroix dans son statut Facebook, dans lequel il affirmait que « c’est ainsi que se font les révolutions et que s’opèrent des changements nécessaires. » Des agresseur.euse.s qui valident les mouvements qui punissent leurs propres actions… La société ne cessera-t-elle donc jamais de nous impressionner ?

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