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Arts et culture

Transphobie de J.K Rowling : boycotter ou ne pas boycotter le jeu-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom ?

Camille Cottais
9 février 2023

Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Rédactrice en chef

Chronique rédigée par Camille Cottais – Secrétaire de rédaction

Le jeu Hogwarts Legacy : L’Héritage de Poudlard sort sur consoles et PC le 10 février prochain, après plus de trois ans d’attente. Premier RPG Harry Potter d’une telle ampleur et bénéficiant d’un tel budget, il s’agit de l’un des jeux vidéo les plus attendus de 2023. Une question se pose néanmoins : après les nombreuses polémiques ayant visé J.K Rowling, est-ce qu’acheter un jeu affilié à son univers participe à la propagation de ses idées transphobes ? Que faire lorsque l’on est fan tout en étant transgenre ou tout en voulant être un.e allié.e de la communauté ?

Un peu de contexte…

Pourquoi J.K Rowling, l’autrice à l’origine de l’univers Harry Potter, est-elle devenue une figure si controversée ? Tout a commencé en 2019 par des tweets prenant la défense de Maya Forstater et fustigeant la soi-disant théorie du genre. En 2020, elle fait également polémique sur le réseau social en se moquant de la formulation « personnes à menstruations », puis en faisant la promotion d’un magasin vendant de la marchandise transphobe, comme des épingles « transwomen are men » ou « f*** your pronouns ».

J.K Rowling est ainsi ce qu’on appelle une TERF (Trans-exclusionary radical feminist), soit une féministe excluant les personnes transgenres, souvent à travers des arguments essentialistes (une femme serait définie par ses organes sexuels). Les TERFs vont même jusqu’à considérer les femmes trans comme des hommes déguisés en femmes pour agresser les femmes cisgenres dans des lieux qui leur sont réservées (comme les toilettes pour femmes).

Si cela semble ridicule, c’est bien ce que prétend J.K Rowling, dans des tweets, dans des interventions publiques, et même dans un livre ! En effet, son ouvrage Trouble Blood, écrit sous un pseudonyme masculin – l’ironie est belle – met en scène un tueur en série se déguisant en femme pour commettre ses meurtres. Sa transphobie est donc aujourd’hui loin de se limiter à quelques tweets.

Pourtant, avant cela, J.K Rowling était connue pour ses positions progressistes, notamment sur l’homosexualité. Même si cela relevait souvent de l’opportunisme (comme lorsqu’elle a révélé l’homosexualité de Dumbledore en 2007 sans que cela ne soit mentionné dans ses livres), elle semblait être une alliée de la communauté. Malheureusement, Rowling semble s’être limité aux trois premières lettres de l’acronyme LGBTQ+.

À qui appartient Harry Potter ?

Si Rowling a créé l’univers du célèbre sorcier à lunettes, son œuvre est aujourd’hui loin de se limiter à sa personne. On pourrait même dire que son œuvre l’a dépassée, et qu’elle appartient désormais non plus à l’autrice mais aux fans, qui y contribuent à travers des fan fictions, des théories, des courts métrages, des headcanons… Sans compter les acteur.ice.s, scénaristes, réalisateur.ice.s, ingénieur.e.s, développeur.se.s, programmeur.se.s ayant travaillé sur les films, les jeux ou encore les nombreux produits dérivés.

En outre, malgré certaines représentations problématiques dans les livres (comme les clichés antisémites incarnés par les gobelins ou le manque de représentation des personnes racisées), Harry Potter véhicule des valeurs sociales. Après tout, il s’agit littéralement d’un petit garçon sortant du placard… La fanbase est d’ailleurs composée d’énormément de personnes progressistes et militantes, qui ont été d’autant plus déçues par le comportement de Rowling. Autre ironie du sort, J.K.R était auparavant fustigée et boycottée par les anti-wokes pour son soi-disant progressisme, alors qu’elle est devenue aujourd’hui l’une de leurs figures de proue face au « transactivisme » et à la « théorie du genre ».

Cela étant dit, il n’est pas question de « séparer l’œuvre de l’artiste ». Ce serait trop facile, on ne peut pas ignorer les propos haineux de Rowling simplement car cela ne nous arrange pas. La réalité matérielle ne peut être niée : acheter Hogwarts Legacy ou autres produits dérivés d’Harry Potter, c’est donner de l’argent, et donc de l’influence, à Rowling, même si celle-ci n’est nullement impliquée dans le développement du jeu. Elle a d’ailleurs explicitement affirmé dans un tweet que l’argent qu’elle gagne est une preuve que les gens partagent ses idées sur les personnes transgenres, ou du moins, que celles-ci ne les dérangent pas.

De plus, sa vision politique, ses opinions et surtout son ignorance sont omniprésentes dans Harry Potter. Pour ne citer que quelques exemples, la seule personne asiatique s’appelle Cho Chang, l’unique personnage ouvertement juif est Anthony Goldstein, et les personnes noires se comptent sur les doigts d’une main. Sans parler des elfes de maison dont l’esclavage est constamment légitimé par des arguments essentialistes. Le jeu Hogwarts Legacy reproduit également des stéréotypes antisémites, l’un des grands objectifs du scénario étant de mettre fin à une révolte de gobelins.

Un dilemme moral

En tant que personne autiste ayant un intérêt spécifique sur Harry Potter, mais aussi en tant que militante féministe queer souhaitant soutenir les personnes trans, ma position est difficile. Harry Potter représente une part essentielle de ma vie et de mon bien être mental, et ce jeu incarne les fantasmes de tout.e fan de la saga. Il est facile pour moi de boycotter la Coupe du monde de soccer au Qatar, car je n’apprécie pas particulièrement ce sport, mais il est moins confortable de boycotter un intérêt aussi obsessionnel qu’est pour moi Harry Potter.

Une piste de solutions peut être de pirater le jeu plutôt que de l’acheter, et ce afin d’éviter que Rowling reçoive de l’argent de votre part. Une autre alternative est de streamer le jeu, c’est-à-dire de ne pas y jouer directement, mais de suivre des let’s play via YouTube ou Twitch, par exemple. Ce sont néanmoins des solutions loin d’être parfaites, le problème n’étant pas tant l’argent – Rowling est déjà milliardaire depuis longtemps – mais l’influence culturelle et sociale de l’autrice. On ne peut nier que consommer son travail cautionne indirectement ses idées.

De plus, il faut avouer que le plaisir est loin d’être le même. Ainsi, j’ai choisi une autre solution. Après des mois de tiraillements, j’ai décidé d’acheter le jeu, tout en reversant le même montant d’argent à une association locale venant en aide aux personnes trans. Je vous recommande les associations Trans Lifeline, BTFA Collective, ou encore SAEFTY Ottawa. J’évite également de parler du jeu aux autres, pour ne pas contribuer à lui donner une aura culturelle. Honnêtement, cela reste un compromis très loin d’être satisfaisant. J’ai honte de finalement préférer mon plaisir personnel à mes valeurs. 

Est-il possible de continuer à faire vivre l’univers d’Harry Potter tout en se détachant de J.K Rowling ? Un premier pas dans cette direction a été pour moi de développer un rapport moins consumériste à Harry Potter, en privilégiant les sites d’occasion comme Kijiji et Marketplace pour satisfaire mes envies de potterhead. Je ne suis néanmoins pas prête à faire le deuil de cet univers, et je ne pense pas qu’il soit bon de prétendre que le boycott soit un acte si facile.

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