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Éditorial

Un appel à l’action pour mieux lutter contre l’itinérance

Rédaction
18 octobre 2021

Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe

Un éditorial rédigé par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef

Dans la Ville d’Ottawa, la crise du sans-abrisme est difficile à éviter. Pourquoi est-ce que ce problème persiste et s’aggrave ? Les mesures de la Ville sont-elles suffisantes ? Nous devons demander à nos leaders de repenser la façon dont ils.elles traitent et s’occupent des personnes sans domicile dans nos communautés.

Le nombre d’individu.e.s qui ont dormi dans les refuges et les rues en 2020 s’élève à 2500 et ce chiffre est stable depuis plusieurs années. C’est une indication claire de notre non-progrès sur cette crise persistante !

Tim Aubry, professeur titulaire à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa et chercheur sénior au Centre de recherche sur les services éducatifs et communautaires (CRECS), affirme que « [le sans-abrisme] affecte la qualité de vie de tou.te.s les habitant.e.s d’une ville, [il nous affecte de voir] la façon dont ceux et celles qui sont le plus dans le besoin sont traité.e.s ». Un paradoxe survient alors : comment se fait-il qu’un problème qui nous interpelle obligatoirement tou.te.s soit si mal géré et pratiquement marginalisé par nos dirigeant.e.s ?

Modèle à critiquer et à changer

Entre des programmes maladifs et les fonds investis aux mauvais endroits, il n’y a pas assez de progrès à Ottawa pour éradiquer concrètement le sans-abrisme. En effet, en 2014, la Ville d’Ottawa a mis en œuvre un plan visant à éliminer l’itinérance d’ici 2024. Nous pouvons déjà prédire l’échec de cet objectif.

Selon Aubry, un des problèmes majeurs est que ce plan est trop éparpillé en termes de stratégies. « [Le plan] inclut des services de crises, et pas assez de services [axés sur des] ressources dédiés à vraiment sortir des gens de l’itinérance et les placer dans les logements. [On n’insiste] pas assez sur la création de logements abordables », signale-t-il. En effet, à l’heure actuelle, les 12 500 personnes admissibles à un logement abordable vont devoir patienter au-delà de 12 ans avant d’accéder à une demeure qui leur est indispensable.  Quelle honte pour la capitale d’un pays faisant partie des sept puissances économiques du monde !

La Ville ne semble effectivement pas avoir de stratégies ni d’objectifs globaux pour combattre la crise. Elle est complaisante et elle s’acharne à garder un modèle existant qui ne fonctionne clairement pas, c’est-à-dire la dépense perpétuelle d’argent sur des solutions temporaires.

Mathieu Fleury, conseiller municipal de Rideau-Vanier et président de Logement communautaire d’Ottawa, précise que 38 millions de dollars ont été versés en 2020 dans les refuges d’urgence de la ville, et les dépenses ne cessent d’augmenter, mais sans succès.  Il dénonce notamment les mesures prises pendant la pandémie, soit la création de deux refuges d’urgence,  qui « démontrent les failles » de l’approche actuelle. « Pour moi, la Ville n’a pas appris que la solution, ce n’est pas d’ouvrir d’autres refuges », déplore-t-il.

Manque de volonté

Une modernisation des approches est donc à envisager, mais la motivation est-elle au rendez-vous à l’Hôtel de ville ? La réponse est non. Ce ne sont pas tou.te.s les conseiller.ère.s qui sont négligent.e.s, mais ceux.celles qui font partie du fameux « Club Watson » semblent résigné.e.s à la crise des sans-abri qui ravage notre ville.

Fleury souligne que « cette population [les sans-abri] est résiliente ». Elle doit l’être lorsqu’elle voit ses besoins complètement ignorés par la majorité des dirigeant.e.s au pouvoir.

À titre d’exemple, à la fin de 2020, les conseiller.ère.s municipaux.ales ont voté une augmentation de 13,2 millions de dollars du budget de la police d’Ottawa pour 2021. Cela signifie un budget de fonctionnement de 332,5 millions de dollars en 2021. En revanche, le financement disponible pour le logement abordable en 2021 représente un peu plus de 44 millions de dollars. Qu’est-ce que cela dit des priorités de notre ville ? Apparemment, les services de police d’Ottawa, qui ont la réputation de cibler les personnes marginalisées, sont plus valorisés que le logement abordable, qui représente une véritable solution pour sortir les gens de la rue.

Qui plus est, le mois dernier, l’Hôtel de ville a approuvé avec une écrasante majorité un « contrat social » avec un développeur pour la construction de « logements abordables » à Heron Gate, soit des logements qui seraient inabordables pour de nombreuses familles. Le réaménagement complet  prendra de 20 à 25 ans. C’est ça, se préoccuper des personnes vulnérables ? Passer des accords avec des développeur.euse.s avides de profits est sûrement le moyen le plus efficace de résoudre notre crise du sans-abrisme !

Enfin, notre valeureux maire, Jim Watson, a assuré en mai 2021 qu’un allègement fiscal de trois millions de dollars pour un concessionnaire Porsche serait une « manière innovante » de fournir plus d’argent pour des logements abordables.  Il doit sûrement vivre sur une autre planète en pensant que cette décision, clairement motivée par des considérations politiques, entraînera des changements structurels dans la ville.

Vers un futur sans itinérance

La lutte est loin d’être terminée, mais il faut écouter les expert.e.s ! Aubry est optimiste et croit qu’avec la volonté des politicien.ne.s, et les programmes et stratégies appropriés en place, un monde sans itinérance est réalisable.

Le point de départ de cet avenir serait la création de plus de logements abordables, selon Fleury et Aubry. Ce dernier a passé une grande partie de sa carrière à faire de la recherche sur l’initiative Housing First pour lutter contre le sans-abrisme. Housing First vise la mise à disposition d’un logement permanent à ceux et celles vivant le sans-abrisme. On peut notamment observer le succès de cette approche en Finlande.

Mais selon Aubry, cette approche doit être couplée « à des programmes de soutien pour répondre aux besoins des personnes éprouvant l’itinérance chronique ». Une perspective intersectionnelle qui prend en compte les réalités sociales de chaque individu.e itinérant.e doit être prise en considération dans le cadre des programmes de soutien.

La Ville d’Ottawa ne peut cependant y arriver seule, car le niveau municipal n’a pas les ressources nécessaires pour gérer une crise de l’itinérance d’une telle ampleur. Il faut se pencher sur la collaboration quasi inexistante entre les trois paliers de gouvernement sur cette question. Il y a une disjonction actuelle entre le fédéral, le provincial et le municipal : le logement est considéré comme une question exclusivement municipale, ce qui explique en partie pourquoi, en tant que société, nos plus vulnérables se retrouvent dans cet état déplorable. Les politicien.ne.s ont refoulé cette question depuis bien trop longtemps.

Le logement est un droit humain ; le sans-abrisme est donc une question de dignité humaine. Une chose est certaine, dans la capitale nationale, nous ne devrions pas avoir 2500 personnes qui dorment dans les rues chaque soir.

 

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