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Éditorial

Un meilleur classement pour une meilleure éducation?

Web-Rotonde
11 octobre 2013

– Par Ghassen Athmni –

Nous avons appris cette semaine que l’Université d’Ottawa (U d’O) a obtenu un « bon » rang au classement du Times Higher Eductaion, surnommé « THE ». L’U d’O est, selon ce classement, parmi les meilleures universités au Canada et parmi les 200 premières universités au monde. Les décideurs de l’U d’O, qui ne cachent pas leur satisfaction à l’égard de cette « distinction », planifient d’atteindre le « Top 5 » national. Ce serait grâce à Destination 2020, un plan stratégique à plusieurs objectifs qui permettrait d’accélérer l’accession de l’établissement aux plus hauts rangs canadiens et mondiaux. Ils choisissent donc d’appliquer une stratégie qui apportera plus d’un changement majeur à plusieurs niveaux, dans le but de se voir attribuer une certaine note. Cette note permettant vraisemblablement d’acquérir de la notoriété et de s’assurer un « rayonnement » plus important.

Cette entreprise est donc intrinsèquement motivée par des considérations plutôt étrangères à l’Université elle-même, et qui ont surtout à voir avec des questions de concurrence avec d’autres institutions, au Canada et ailleurs.

Ce type de Rankings, est assez courant, le « THE », celui de l’Université de Shanghai, ou encore celui de l’École des mines de Paris en sont des plus célèbres. Même le magazine Newsweek a son propre classement. Nombre de ces évaluations sont publiées chaque année et deviennent systématiquement une source de fierté et surtout de légitimité pour les universités bien classées. Ce qui les caractérise, c’est la tendance à limiter les critères à ce dont l’industrie a besoin, ou du moins à accorder plus de pondération aux volets qui intéressent le plus les conglomérats et les institutions financières. Par exemple, certains établissements qui publient ce type de classement basent leur évaluation sur le nombre d’anciens étudiants devenus dirigeants dans les 500 plus grandes entreprises au monde. D’autres, comme le Times Higher Education, consacrent une bonne partie des points à la recherche de pointe en hautes technologies. Il est indéniable que ce secteur est à encourager et à mettre en verve, mais lui donner autant d’importance dans le processus de notation c’est un peu comme piétiner la majorité des étudiants qui ne prennent pas part à ses activités et ne pas les prendre assez en considération. De même, cette tendance fausse le classement vu que les universités anglo-saxonnes s’adonnent beaucoup plus à des travaux de recherches pointus comparativement aux universités européennes continentales par exemple. Cette différence est due au fait que dans plusieurs pays, la recherche se fait surtout dans des établissements qui y sont consacrés et qui ne dépendent pas d’établissements postsecondaires. Plusieurs classements s’attardent au nombre d’étudiants primés dans des compétitions telles que le prix Nobel et autres. Cela suggère que le devenir d’une petite élite d’étudiants nous renseigne sur celui de la majorité écrasante de leurs compères de la même institution. Le but déclaré de la multiplication de ces évaluations et de leur adoption autant par les médias que par les universités, est de créer une compétition qui permettrait aux universités de ne pas se reposer sur leurs lauriers et de toujours essayer d’être meilleurs. Sauf que la réalité est toute autre, d’abord parce qu’il y a très peu de mobilité dans le classement, vu que pour différents facteurs, quelques établissements concentrent toutes les caractéristiques nécessaires à l’obtention d’un haut rang. D’autre part, les universités qui ont dans l’idée de prendre part à cette compétition se doivent d’avoir un budget conséquent et d’en réserver une part importante à certains domaines et à certaines activités, c’est-à-dire à une minorité d’étudiants et d’employés. Pour espérer faire partie du gotha mondial, les universités doivent avoir un budget de un à deux milliards de dollars. L’U d’O s’approche du premier chiffre, dont 15 % sont prévus pour la recherche selon le budget 2013-2014. Or, le souci est d’un côté qu’un tel budget est bien supérieur à ceux de plusieurs pays dans le monde, d’un autre que pour l’alimenter, il faut aller chercher l’argent dans des coupures à la santé ou au logement, vu qu’on ne peut couper dans le militaire.

Le pullulement de ces classements est en premier lieu le reflet d’une réalité dans laquelle les conglomérats dictent les politiques à appliquer dans les universités. Ainsi, l’établissement qui s’attèle à suivre au mieux les directives, se verra récompensé par la meilleure position. Par ailleurs, l’écrasante prévalence de la recherche industrielle est une expression de la frénésie du phénomène de l’hyper-technologicisation qui affecte tous les domaines et dont la croissance effrénée discrimine une majorité d’étudiants (mais aussi un certain nombre de citoyens) en forçant l’attribution de fonds importants à certains types de recherche, ceux qui répondent le plus aux besoins du marché.

L’U d’O, comme un grand nombre d’autres universités, a choisi de s’engager dans cette voie qui lui assurera peut-être une plus grande notoriété et un rang plus « honorable », mais ne présente pas de garantie tangible quant à la qualité de l’éducation. Suite à la multiplication du nombre d’étudiants qu’elle a connue ces dernières années, les plaintes (informelles) des étudiants concernant les modes d’enseignement se multiplient, les chargés de cours à leur tour ne sont pas des plus enchantés, et alors que le besoin de professeurs se fait pressant, l’U d’O semble choisir de limiter à une élite encore plus restreinte les privilèges de la recherche en scindant en deux le corps professoral, en chercheurs et en enseignants, chose qui va définitivement installer plus de barrières entre l’étudiant lambda et des objets de dépenses très conséquents. En empruntant ce chemin, l’U d’O confirme, tout comme les autres établissements bien classés, que comme pour une entreprise ou une franchise de LCF, le ranking est un objectif en soi, ce qui évidemment, est contraire à la vocation première de l’université.

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