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Vers une culture de la voix des étudiant.e.s

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3 novembre 2020

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Par Aïcha Ducharme-Leblanc – Journaliste

Le scandale du mot en « n » à l’Université d’Ottawa (U d’O) nous a tou.te.s choqué.e.s au cours du mois passé. Ne pourrait-il pas être le symptôme d’un problème plus vaste au sein des universités, ce problème étant le manque de voix des étudiant.e.s ? À mon avis, un changement profond au niveau des relations professeur.e.s-étudiant.e.s est primordial. 

J’ai parlé de l’incident Lieutenant-Duval à d’innombrables personnes, notamment mes ami.e.s, ma famille, et mes collègues de travail. Au travers de ces conversations, je me suis rendue compte que, même si la voix étudiante semble être mieux entendue, les étudiant.e.s sont encore très impuissant.e.s sur le campus et dans la salle de classe. 

Hautes tensions

Il est indéniable qu’une tension entre professeur.e.s et étudiant.e.s s’est installée sur les campus universitaires, y compris à l’U d’O. Les débats féroces et notoires sur le « politiquement correct » et sur les contenus enseignés dans les universités canadiennes reviennent souvent, comme avec la polémique sur l’utilisation des pronoms non-binaires provoquée par Jordan Peterson à l’Université de Toronto en 2016.

Selon moi, ces débats ont alimenté ce qui semble être une image dépréciative des étudiant.e.s aujourd’hui, comme étant des snowflakes, des jeunes dorloté.e.s et trop sensibles. C’est exactement la façon dont je dirais que les étudiant.e.s uottavien.ne.s sont représenté.e.s par Isabelle Hachey dans sa chronique pour La Presse, publiée le 15 octobre dernier. 

Les professeur.e.s manifestent une espèce de peur des étudiant.e.s, affirmant qu’ils.elles marchent sur des coquilles d’oeufs, et se sentent menacé.e.s par la possibilité que les étudiant.e.s se plaignent ou soient offensé.e.s par le contenu de leurs cours. Notez cette lettre publiée dans Le Devoir la semaine passée, intitulée Faut-il avoir peur de nos étudiant.e.s ? Ridicule, si je peux me permettre de le dire. 

Étudiant.e.s réduit.e.s au silence

Si je considère les dynamiques actuelles de pouvoir sur le campus, ainsi que les récentes luttes des étudiant.e.s pour améliorer leur environnement d’apprentissage, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi les professeur.e.s, qui détiennent le plus souvent un pouvoir absolu, se sentent si déconcerté.e.s par ces demandes étudiantes. Pendant mes trois années à l’U d’O, années qui m’ont beaucoup apprises, j’ai vu de nombreux.ses uottavien.ne.s et organisations étudiantes essayer de provoquer des changements significatifs ; mais en vain.

L’exemple le plus récent et le plus marquant de ce manque de voix étudiantes, est l’activisme constant pour des espaces antiracistes à l’U d’O. L’administration, bien que tardivement, a reconnu le racisme au sein de l’institution, mais a apporté peu de changement à ses pratiques. À l’U d’O, les étudiant.e.s s’expriment peut-être, mais il semble qu’ils.elles restent peu entendu.e.s. Il en va de même à l’intérieur de la salle de classe ; j’ai entendu parler, et j’ai été témoin à plusieurs reprises, d’un exercice inapproprié du pouvoir du.de la professeur.e pour museler les étudiant.e.s aux opinions et idées divergentes.

Si les étudiant.e.s avaient le sentiment que leurs idées comptaient, ils.elles n’auraient pas l’impression que leurs commentaires sur l’Évaluation de l’enseignement et des cours (EvaluAction) à la fin de semestre ne signifient rien si le.la professeur.e du cours est déjà titulaire. Si nous formons la prochaine génération de professionnel.le.s et d’intellectuel.le.s, pourquoi nous, les étudiant.e.s, n’avons-nous pas davantage notre mot à dire sur ce qui se passe en classe ? 

Dynamique à changer

Dans le cadre de la controverse du mot en « n », l’accent a été mis quasi exclusivement sur la question de la liberté d’expression, et sur le fait que les étudiant.e.s soient trop exigeant.e.s et délicat.e.s. Cela détourne l’attention d’un autre enjeu crucial : la population étudiante est  toujours défavorisée dans la relation de pouvoir professeur.e-étudiant.e. Les salles de classe, pour autant que nous voulions les qualifier de démocratiques, ne sont pas des espaces égalitaires. 

Dans sa collection d’essais Apprendre à transgresser, la théoriste féministe afro-américaine bell hooks invite les professeur.e.s universitaires à éduquer pour pratiquer et exercer la liberté. Selon elle, il faut « défier et changer la manière dont tout le monde pense le processus pédagogique », et ainsi inclure le droit à la parole critique des étudiant.e.s.

Les malentendus, les conflits, les débats, comme celui de l’utilisation d’un langage douteux, auraient beaucoup moins de chances de se produire, si les salles de classe étaient des espaces où les idées des étudiant.e.s sont réellement accueillies et prises en considération. Je pense que réfléchir sur la dynamique de pouvoir en salle de classe, ou encore sur la véritable valeur attribuée aux propos étudiants, constituerait un bon début pour fomenter un milieu où la voix étudiante peut finalement se faire entendre. 

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