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Sports et bien-être

Les effets de la modernité sur notre rapport au travail

Rédaction
10 février 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Entrevue réalisé par Thelma Grundisch – Journaliste

Se sentir en colère, et fatigué.e face à ses accomplissements professionnels porte un nom, celui de l’épuisement. André Samson, professeur d’orientation scolaire et professionnelle à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa (U d’O), s’intéresse tout particulièrement à ce phénomène. Allant de l’employé.e face à son métier jusqu’à l’étudiant.e dans son choix de programme, l’expert en études de santé mentale explique que tout le monde peut en être victime.

La Rotonde (LR) : Qu’est-ce que l’épuisement, et comment en expliquer les causes principales ?

André Samson (AS) : Il s’agit d’un concept relativement nouveau, car jusqu’au début des années 1950, le travail était essentiellement vu comme un moyen d’assurer sa survie financière ; il n’y avait pas d’attente qu’il nous rende heureux.euse, ou qu’il participe à notre réalisation personnelle. Mais le rapport au travail a beaucoup évolué, si bien qu’aujourd’hui, il est considéré comme un facteur de bien-être […], si tant est que l’activité professionnelle soit le reflet de qui on est.

Généralement, on détermine son travail idéal selon trois facteurs : ses intérêts, donc ce que j’aime faire, ses aptitudes, c’est-à-dire ce en quoi je suis bon.ne, et enfin ses valeurs, ce qui est important pour moi. Si ces trois aspects ne se reflètent pas dans mon choix de travail, c’est là que peut apparaître l’épuisement professionnel, car je consomme beaucoup de mon énergie, et je ne suis pas épanoui.e.

Ce phénomène est aussi souvent lié à des attentes irréalistes concernant le travail. Cela est notamment visible chez des personnes qui cherchent à sauver le monde en exerçant des métiers infirmier.ère.s, travailleur.euse.s sociaux.ales, et enseignant.e.s. Il n’y a rien de plus frustrant que de vouloir sauver des gens qui ne veulent pas être sauvés, et cela peut causer l’épuisement. 

LR : Comment expliquer et comprendre l’épuisement chez les étudiant.e.s ?

AS : D’après mes recherches menées sur plus de 1000 élèves qui terminent leurs études secondaires en Ontario, 49 % souffrent d’insécurité vocationnelle. Dès leur arrivée à l’université, les étudiant.e.s de première année ne savent pas vraiment pourquoi ils.elles sont là. Plongé.e.s dans cet univers complètement nouveau et anxiogène, ils.elles ont déjà choisi leur programme d’étude sans avoir pris le temps d’y réfléchir sérieusement. L’épuisement intervient alors lorsque la motivation s’estompe, alors qu’on ne sait pas trop ce qu’on fait ni pourquoi on se tue à le faire, sans savoir où cela va nous mener […].

Ces étudiant.e.s doivent, à l’université, entamer des réflexions qui auraient dû être faites au secondaire déjà ; il faut davantage sensibiliser les jeunes à bien se préparer avant d’arriver aux études supérieures. Le problème en Ontario est d’ordre structurel, car il n’y a pas de conseiller.ère.s d’orientation spécialement formé.e.s.

Et puis je pense que c’est normal d’avoir des doutes et des inquiétudes sur notre choix de profession, parce que l’on vit dans une économie mondialisée qui a précarisé le travail. Avant, on gardait le même emploi pendant toute sa vie, ou à peu près. Mais avec la mondialisation de l’économie, les sociétés sont en compétition permanente, et il faut souvent changer d’emploi. On ne peut plus planifier quoi que ce soit pour sa vie entière, alors on planifie pour les quatre ou cinq ans à venir. Il est important d’être conscient.e de la réalité économique d’aujourd’hui.

LR : En quoi ce phénomène est-il à distinguer de la dépression ?

AS : Le sentiment dominant chez une personne qui vit de l’épuisement professionnel, c’est la colère. Les victimes souffrent d’un déficit au niveau de la reconnaissance des autres par rapport au travail qu’ils.elles font, et cette frustration finit par siphonner la personne de toute sa motivation. 

Environ 65 % des personnes souffrant de dépression vont éprouver une profonde tristesse comme sentiment dominant associé à leur souffrance, alors que l’épuisement est plutôt lié à la colère. La dépression reste également un diagnostic en tant que tel, tandis que la fatigue professionnel n’est pas encore reconnu comme un trouble psychologique par la classe médicale.

LR : Quels sont les meilleurs moyens de lutter contre cette colère et cette frustration ?  

AS :  Il ne faut pas hésiter à consulter un.e psychologue, un.e intervenant.e en santé mentale, ou même un.e médecin [en cas de malaise quant à sa situation]. Il faut aussi prendre du recul parfois, et repenser son rapport au travail, mettre au point des attentes réalistes par rapport à sa profession. Oui, le travail est idéalement là pour me rendre heureux.euse, mais il ne fera pas forcément de moi le.la sauveur.euse du monde : il faut apprendre à accepter ses propres limites. 

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