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Arts et culture

Être tout.e nu.e ou pas tout.e nu.e au théâtre ?

Culture
4 novembre 2019

Crédit visuel ; Loïc Gauthier Le Coz

Par Clémence Roy-Darisse – Cheffe de pupitre Arts et culture

Au théâtre, la trame narrative est portée par l’interprète. Son corps, sa voix et son habit deviennent outil au message visé. La nudité change-t-elle le message ? Facilite-t-elle sa transmission ou la trouble-t-elle ? Comment définir cette expérience distincte, des deux côtés de la scène ? 

Le corps est matière pour le metteur en scène. Il peut en explorer les dimensions par l’improvisation, la chorégraphie, l’entraînement ; les démarches sont multiples. Le mouvement peut aussi servir à plusieurs ambitions. Le metteur en scène André Perrier explique que dans l’un de ses projets de mise en scène, le mouvement agissait comme « expression de ce qui [était] caché à l’intérieur ». 

Au théâtre, le rapport direct entre le public et les comédien.ne.s teinte fortement l’expérience de la nudité. Le metteur en scène installe la forme de ce rapport. Perrier partage : « l’acteur que moi j’aime c’est l’acteur vulnérable ». Selon lui, c’est « dans la vulnérabilité de l’acteur que le public peut se reconnaître ».

Pour André Perrier, il s’agit d’un rapport de complicité : « j’aime pas le «choquer, juste pour choquer «»,  explique-t-il. « La nudité au théâtre […] ça m’ennuie lorsqu’on l’utilise pour choquer. Ça m’en prend beaucoup pour me choquer alors ça m’ennuie » ajoute le metteur en scène.

Expérience particulière 

Dans une expérience de nudité, la tâche n’est pas facile. Perrier explique qu’ « on se sent un peu ridicule […]. Un moment donné c’est vraiment une question d’humilité ». Il y aurait aussi « quelque chose de délicat en salle de répétition […]. Ça exige un grand respect de l’acteur qui se met de façon vulnérable sur scène » précise – t-il.

La comédienne Geneviève Dufour joue deux scènes nue dans M.I.L.F, spectacle du Théâtre du Trillium qui sera présenté à Montréal en 2020.

« Au tout début, j’étais réticente à cette proposition parce que je ne voyais pas la nécessité mais après de longues conversations avec le metteur en scène j’ai compris à quel point cette scène était essentielle à la pièce. Ensuite, je n’ai eu qu’un seul choix ; sauter », déclare-t-elle. 

Le vécu varie autant que l’individu. Louis-Antoine Chretien, étudiant au baccalauréat en jeu à l’Université d’Ottawa (U d’O), a eu l’expérience de jouer en sous-vêtement l’an passé dans le cadre de la pièce Faire l’amour.

Pour lui, « les premières répétitions, quand on commençait à enlever notre linge (…), j’étais un peu gêné (…). Je me sens confortable de présenter ça à une gang parce que je vais pas nécessairement leur jaser après mais quand tu le fais devant du monde que tu connais (…), ça te met un peu moins à l’aise».

Il raconte que l’expérience en salle de répétition fût plus ardue que la présentation sur scène. 

Geneviève Dufour explique avoir particulièrement aimé son expérience : « C’est satisfaisant de se mettre nue devant public. Ça me permet de me connecter instantanément à mon personnage; à sa souffrance et à sa beauté ».

« On ne peut rien cacher quand nous sommes nu.e. On est vulnérable (…), vrai.e » ajoute Dufour.

Fonction de la nudité

La place du phénomène théâtral se particularise dans sa pluralité. Dans une époque filtrée où toutes et tous vivent derrière un masque, la nudité sur scène peut agir comme mise à nu de soi, comme élimination du filtre complet.

Durant le spectacle MEATmarket et (trans)FIGURation, en janvier 2019, l’artiste Dana Dugan, imposait au public et aux acteurs de se déshabiller. La nudité devenait ainsi effacée et banalisée. La critique Catherine Lalonde, pour le journal Le Devoir, avait exprimé que cette expérience avait pour effet d’inclure le spectateur comme élément scénographique. Elle ajoutait que la nudité permettait de prêter une plus grande attention aux mouvements du corps. 

« La nudité au théâtre, ça sert à mettre l’acteur dans un rapport de vulnérabilité où le public, lui, est habillé », souligne André Perrier. Elle peut donc servir à célébrer la beauté des corps imparfaits, déconstruire les carcans. Pour Geneviève Dufour, la nudité apporte « un effet de compassion, de connexion, d’identification ».

Par rapport au public de M.I.L.F, la comédienne déclare ; « je crois et j’espère qu’ils se sentent nus, vulnérables, pendant cet instant et qu’ils s’offrent à vivre cette expérience avec nous ».

Dans un rapport festif comme le burlesque, la nudité peut prendre une autre signification. « Ce qui est absolument extraordinaire c’est l’euphorie que ça crée » expose Perrier. Il continue : « on est pas dans une provocation on est dans une célébration. […] Ça fait tellement de bien dans une société qui est assez restrictive ».

Selon lui, la sexualité gagne à être montrée, à la frontière de la pudeur et de la pornographie. Sans tomber dans les extrêmes, la métaphore sert ce genre de propos.

Les points de vues sur le phénomène artistique sont multiples. Un seul semble rester ; la nudité offre une expérience crue. 

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