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Arts et culture

Labyrinthes | Conseils pour mauvais poète

Web-Rotonde
2 mars 2015

Comme les lecteurs de La Rotonde sont tous aguerris, il est inutile d’annoncer que le département des lettres françaises tiendra son concours annuel de création littéraire dans un mois.  Une pénible goutte m’empêchera moi-même d’y participer cette année, mais j’ai jugé utile d’offrir à nos braves concurrents une liste (non exhaustive) de contre-exemples que je leur conseille fortement d’éviter. Voyez-vous, que ce soit en poésie ou en prose, notre position d’écrivain nous oblige à sublimer notre écriture, et ce qui apparait potable ou superbe à nos yeux, s’avère en fait un ramassis de médiocrité. J’espère montrer au lecteur, cette semaine, un miroir possible de ses propres illusions (d’où ces « arnaquantes »), de sorte qu’il pourra corriger son tir poétique, en vue de remporter le prix – que je lui souhaite chaudement d’ailleurs.

Nullité poétique  1 – Arnaquante prophétie

quand les paons mangeront les aigles
exploseront des bombes d’avant-garde
des anses plombées de chants d’aout
grisées par les airs errants
connus des miroirs élancés
des ailes de la vanité frêle
qui par d’ignobles ivres vers
chasseront divers ailleurs

quand les paons mangeront les aigles
serpentera le pinceau mécanique
escroc du croquis du vide
héraut machinal
bavant d’altitude
la hauteur d’un original
cet ancien défunt que sonnera sans répit
le glas des nouvelles plumes

alors quand les paons mangeront les aigles
je boirai mes veines
pour éclair-cils l’œil vert
du sang de mon ciel bleu

Commentaire : Pourquoi ce mauvais enchainement d’images ? Le lecteur se perd dans ce lyrisme lénifiant et « machinal ». Le topo de l’artiste (l’aigle) aliéné par la multitude (les paons – ici narcissiques) est l’un des plus banals et des plus stéréotypés.  J’attends avec impatience le post-mortem dudit oiseau et dudit je.

Nullité poétique  2 – Arnaquante nonovation

Je cocassais familièrement avec une autruche sur les vertus de l’onanisme quand un crapaud bavasqueux vint nous interrompe. « Moi je crois qu’il faille attendrir la bouilloire avant que ne se salisse le perchoir. » Je saluai ce trait regallourdi par une rottaille nébuleuse. Offusquée, l’autroune s’épingla le plumouille dans le croître sépulcrale. La crapule déblatoura davatange : « L’ovipare s’omlettise ! Quelle fentise ! » Vomissant la rissure, je m’acclaffai à me rompre l’orbite angulaire. Après ces blagouches, j’occultai exhibément mon crocodile. « Quelle écaillure ! », ironisa l’autrichienne. Le fait est que je croquai dans le pigème (et dans le thé) que la moinelle me débouchait : enjoué du priape, je tendis la corde et entamai mon vers si court : « Quand il plaute à votre valérille, Mousset se transforme boislourd.» ,et sans tar mon cantateur se chauvisa. Le crapuce voulut se boefiser mais l’autrioche objecta qu’un seul prébandant pouvait se rastifouiller la fontaine. Famélique je m’engoinfrai la langue à l’âcreté de la situation, embarrassé, tandis que la crapante rampallait ses couilles vers l’horloge dont mes cymbales frappaient la cadence de tic sans grand tac. Puisque je divaguais de bon bain, l’autrogne se joignit à mon concert et l’eau flotta de sa gorge lèvreuse : « Mal armé titanesque, superbe Apollon linéaire. » Cette interlopade me fit l’effet d’une douche freudienne. Cyprine, stratège à l’affut, s’apprêtait à s’abreuver quand trois triangles arrivèrent. « Nous cadrons des chevaux. », clamèrent-t-ils. Et voyant que nous restions de marbre (à l’exception d’autruche qui séchait à la base et à la hauteur divisées par deux de ces nouveaux comparses), ils retournèrent les talons pour noircir leurs sommets. Nous, ferrés rouges, n’en croyions pas le blanc de leurs smegmants.

Commentaire : Seuls les psychanalystes prétendront trouver une certaine valeur à ce non-sens de poème en prose pullulant d’inutiles et de mauvais néologismes. Trop souvent, les jeunes talents pensent épater la galerie en faisant l’étalage de leur piètre imagination. Mon avis : derrière l’innovation on fomente du vide.

Nullité poétique  3 – Arnaquante patrie

Son pays git dans le mégot de l’ennui
Et son marcheur s’égare d’enracinement
Comme l’hiver s’éternise
Sans nulle autre légende
Que sa terre sourde.
Immobile, son habitant délaisse son fardeau
Lourd, très lourd de repos
Et s’enfouit dans la froide réalité d’ici
Pour ne pas fondre tous ses rêves
Et respirer tout ce neuf
Bientôt soufflé sur ses plaines.
Il n’y a plus rien qui vaille, ici
Rien
Sa musique ne l’écoute plus
Et le foyer de ses rêves
Repose sur des notes de cendres
Soufflées par les murmures d’un peuple
Qui marche trop vite.
Et il meurt
Comme il n’a jamais voulu mourir
La douleur profonde, le cœur solitaire
Derrière le cri de son enfant avorté.
L’horizon est petit, ici
Comme la neige de ses rêves
Son vent n’inspire plus personne
Le soleil de l’été brûle son hiver
Et il meurt
Comme un siècle de marche
Sans nulle autre légende
Que sa tête sourde
Et sa farce solaire.

Commentaire : Peuple, hiver, légende, nord, habitant, marcheur etc. : cette poésie qui ressasse la même mythologie (l’homme soi-disant dépourvu d’une métaphysique qui trouve un principe transcendant dans l’Héritage) avec la même nostalgie tenace depuis quelques décennies mérite amplement le nom de « poésie tranquille », tant elle indiffère et endort le lecteur aujourd’hui.

Nullité poétique  4 – Arnaquantes amours

Moi pis toé, tsé, on était faite l’un pour l’autre : tu me charriais de la misère que j’étranglais en sanglots entre deux vers de gin, pis moé je te sacrais des remords plus que t’en pouvais digérer.

Pis on s’aimait, ivre d’illusions, jusqu’à s’en vomir la face pis s’en couper les veines. Amour hangover à se pendre ; t’en souviens-tu seulement, toé ?

Moé pis toé, tsé, on était faite pour s’haïr l’un pis l’autre : je traînais sur toé ma peine, pis tu m’aimais en calvaire, à coup de crisse.

Pis on s’aimait gelés de blessures, jusqu’à se couvrir de bleus pis de cicatrices. Mon amour pendu hangover ; tu peux-tu seulement encore te souvenir de moé, toé ?

Commentaire : Les poèmes amoureux crient souvent d’authenticité, et c’est ce qui fait leur charme et leur intérêt. Celui-ci, avec son tragique outré, ne l’est pas.

Nullité poétique  5 : Arnaquante facilité

chaque dimanche
fidèle dans les églises
des soirées bingo

célébration de Pâques
journée pieuse
à manger du chocolat

Commentaire : Temps de rédaction : 24 secondes. Pourquoi fétichiser la banalité ?

Nullité poétique  6 – Arnaquante salissure

Intime moi-même, je chie cette putréfaction tenace qui veut que je croisse dans l’ombre de ton cul, ce merdier fangeux de conscience dégoulinante.

Brûle, brûle, papier éploré, ô suaire de mes fesses ! Lave ces cons, typés scatophiles, ces tumeurs inspirées ; salive ma graine poissonneuse créatrice ; stigmatise le smegma de mon génie ! Mais attends! entends les borborygmes pulsatifs du mon pus, déglutine le jus exquis de cette pourriture.
Pu capable, incapable de tremper dans la diarrhée de ton marasme puant de sueur narcissique autoflagellatoire ? Alors vomis ! vomis de nouveaux marécages ! Exècre et change d’abîmes!

Le temps d’un vide et je retrouve mes vices errant, là, nus, ca…cavalièrement. Bonjour Moi! Quoi? encore cet irrassasiable lèche-cul? De l’air! de l’air enfoiré de faïence! Et le sphincter d’obéir bien dur, hélas! pas qu’un chouïa de pet sur ce misérable foutre-moi. Puis me revoilà à m’emmerder avec cet enculé sans le moindre digestif pour m’essuyer. Une insomnie de marde. À suinter de dilatation ! À se saigner d’odeur !

Commentaire : On développe rapidement la fâcheuse impression que l’auteur s’amuse à cuver sa poésie dans un champ lexical. Ce maniérisme renié n’est rien que factice et éclate du premier mot au dernier point. Ce goût du trash (propre, malgré tout) est puéril et m’indiffère, ne me choque nullement (au malheur du texte), et l’auteur gagnerait tout à aérer sa plume avant de nous asphyxier par ses formules insipides.

Ainsi s’achève notre premier survol. Prenez note, néophytes scribouilleurs, le comité du concours est impitoyable ! Enfin, je m’excuse auprès du lecteur connaisseur qui seul a jugé cette mauvaise poésie à sa juste valeur : la nullité.

– Mademoiselle Fifi

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