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Colère et endeuillement au rassemblement contre la brutalité policière d’Ottawa

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19 mars 2022

Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe

Article rédigé par Stella Chayer Demers – Journaliste et Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Mardi dernier, à l’occasion de la Journée internationale contre la brutalité policière, une centaine de personnes se sont rassemblées devant le poste de police d’Ottawa sur la rue Elgin. Ce rassemblement pacifique avait pour but de commémorer les dizaines de personnes tuées par la police canadienne, mais aussi de proposer des alternatives à un système policier jugé violent.

Victoria Marchand, organisatrice de la manifestation, activiste algonquine et ancienne étudiante de l’Université d’Ottawa (U d’O), a accueilli les participant.e.s dans sa langue algonquine avant d’entamer une cérémonie de purification par la fumée, cérémonie spirituelle autochtone consistant à faire brûler de la sauge.

Un.e activiste a appelé a apporté des fleurs au rassemblement afin de commémorer la vie d’Anthony Aust, décédé durant un raid de la police d’Ottawa le 7 octobre 2020. Il était âgé de 23 ans.

Inaction du gouvernement

Edward Roué, aussi un ancien étudiant de l’U d’O et participant au rassemblement, affiche une pancarte portant d’un côté le message « Black Lives Matter » et de l’autre « Justice for Abdirahman », un homme de 37 ans mort en 2016 à Ottawa après une altercation avec la police. Il explique avoir fait cette pancarte en 2020 et regrette que « le message reste d’actualité aujourd’hui ».

Les parents de Regis Korchinski-Paquet, jeune femme de 29 ans décédée en 2020 lors d’une intervention de la police torontoise, durant laquelle elle est tombée du vingt-quatrième étage de son immeuble résidentiel, étaient présent.e.s à la marche. Son père, Peter Korchinski, a déploré que « personne, ni [le Premier ministre du Canada] Justin Trudeau, ni [le Premier ministre de l’Ontario] Doug Ford, ni [le maire de Toronto] John Tory, n’ait jamais tendu la main à [leur] famille ».

La mère de Regis, Claudette Clayton-Korchinski, a renchéri, reprochant au gouvernement Trudeau d’avoir agi face à la violence policière aux États-Unis, notamment suite au meurtre de George Floyd en 2020, mais non face à la violence policière canadienne.

En outre, le souvenir du « convoi de la liberté » est encore frais dans la mémoire des Ottavien.ne.s, un peu moins d’un mois après l’occupation bruyante de la capitale par des camionneur.se.s. Les participant.e.s ont vite fait de comparer les agissements des policier.ère.s face à cette manifestation et la répression dont pourraient être victimes les manifestant.e.s d’aujourd’hui : « Ils.elles ne ciblent pas les personnes qui manifestent pendant trois semaines, mais ils.elles pourraient nous traiter différemment parce que la manifestation que nous faisons aujourd’hui défie le système qu’ils.elles ont mis en place », a déclaré des orateur.ice.s.

Roué a lui aussi fait ce rapprochement : il affirme que la police a été trop « molle » face au « convoi de la liberté » mais qu’elle se montre également fréquemment trop « agressive ». Cela s’inscrit selon lui dans les « nombreux échecs de la police d’Ottawa ».

Alternatives à la police

« La police n’assure pas notre sécurité », « la police tue », « no justice no peace no racist police », pouvait-on entendre parmi les slogans clamés par les manifestant.e.s. Un des organismes organisateurs de la marche, Horizon Ottawa, a déclaré que le rassemblement était pour la réforme et même l’abolition du système policier : « Nous nous engagerons pour des alternatives à la sécurité communautaires qui n’incluent pas la police mais de vraies solutions comme le logement, le soutien à la santé mentale et les investissements dans les services sociaux. »

« Il faut se rappeler que la police n’est pas une réponse à tous nos problèmes », considère Roué, qui aimerait également que la police soit définancée pour investir dans des ressources alternatives intervenant de façon moins militaire, mais aussi qu’elle soit formée pour répondre aux personnes en état de crise de santé mentale, comme c’était le cas d’Abdirahman Abdi.

Jordan Clost, autre participant à la marche, est également en faveur d’un définancement et de mesures de réforme de la police. Il aimerait une police « qui vise à protéger plutôt qu’à attaquer ou intimider ». Selon lui, il faudrait enlever le droit des armes des policier.ère.s, et leur faire passer un test de santé mentale avant d’entrer en service.

Le discours des organisateur.ice.s semble plus radical : « La police est une pratique coloniale violente qui tue les membres de notre communauté et terrorise notre peuple », peut-on lire sur l’affiche du rassemblement partagée sur les réseaux sociaux par Marchand. Elle continue : « Le maintien de l’ordre est une pratique coloniale mis en oeuvre par l’État colonial canadien pour […] contrôler, exploiter, déplacer, déposséder et commettre un génocide contre les peuples autochtones et leurs terres. » Selon elle, nous pouvons lutter pour imaginer et créer un futur décolonial où tout le monde est en sécurité, en abolissant un système policier jugé intrinsèquement raciste et violent.

Des familles endeuillés

« Je suis solidaire avec les familles des personnes qui ont été assassinées par la police, c’est pourquoi je suis ici », a déclaré Catlin Gaffin, une participante au rassemblement. C’est un sentiment partagé par tou.te.s les participant.e.s, qui sont sorti.e.s de leur chez-soi une froide soirée de semaine, des fleurs dans les bras. Ils.elles se sont donné des câlins, ont offert leurs condoléances aux membres des familles. 

Certain.e.s avaient même les larmes aux yeux lorsque ces familles ont pris le micro pour partager leur deuil et leur colère.  Clayton-Korchinskiew a en effet prononcé un discours sur la mort de sa fille : « Je suis tellement en colère. Parce qu’à la fin de la journée, peu importe combien je peux parler, ma fille est toujours morte. Et personne ne fait rien à ce sujet. » Un silence a suivi ses paroles, la foule qui applaudissait ses mots a pris un moment de silence pour les digérer.

Plusieurs autres familles et proches des victimes n’ont pas pu assister au rassemblement et ont donc fait parvenir des déclarations sur leur deuil. Parmi eux, la famille de Jermaine Carby, homme de 33 ans tué par la police en 2014, ainsi que la famille d’Eishia Hudson, adolescente de 16 ans tuée en 2020 à Winnipeg.

Justice pour…

Une banderole portant les mots « Policing kills : kill policing » était affichée avec les noms et photos de 11 personnes tuées par la police canadienne ces dernières années : Jamal Francique, Regis Korchinski-Paquet, Riley Fairholm, Jermaine Carby, Gladys Tolley, Koray Celik, Anthony Aust, Jason Collins, Noam Cohen, Eishia Hudson, et Rodney Levi.

Les porte-paroles ont encouragé les participant.e.s à se renseigner sur leur histoire, « pour faire en sorte que leur héritage ne soit jamais oublié ». Selon Marchand, « ces meurtres nous rappellent que le maintien de l’ordre est intrinsèquement anti-Noir ». Elle rappelle qu’au cours du Mois de l’histoire des Noir.e.s de 2022, la police canadienne a exécuté Moses Erhirhie et Latjor Tuel, deux hommes noirs qui devraient selon elle encore être en vie parmi leurs familles, leurs proches et leurs communautés.

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