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Éditorial

Convoi de la liberté terminé : quel bilan en tirer ?

Miléna Frachebois
28 février 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Un éditorial rédigé par Miléna Frachebois – Co-rédactrice en chef

Après trois semaines de manifestations, qualifiées d’« occupation illégale », le convoi de la liberté prend fin. Si ce mouvement ne faisait pas l’unanimité auprès des Ottavien.ne.s, il a tout de même été capable de faire son bout de chemin, presque sans embûche. Trois semaines laissent des traces : Que peut-on tirer comme conclusions sur le convoi ? Que dit-il de nos gouvernements ?

Le convoi de la liberté était à l’origine un mouvement organisé par les camionneur.euse.s canadien.ne.s contre la vaccination obligatoire de la COVID-19. Cependant, la revendication a vite perdu son sens, d’autres personnes se ralliant à la cause pour des raisons plus extrêmes. Cette manifestation a rapidement dérapé : pollution sonore, violences verbales envers les piéton.ne.s, profanations de monuments nationaux, utilisation des enfants comme moyens de protection… Au dépend des résident.e.s de la capitale nationale.

Ottawa est fatiguée

Trois semaines, c’est très long. Cela a donc logiquement fatigué Ottawa de différentes façons. Tout d’abord, cette occupation illégale a tanné les Ottavien.ne.s. Ceux et celles qui habitaient dans le centre-ville et qui ont dû supporter sans cesse les bruits de klaxon, ainsi que les agressions verbales liées au port du masque. Ceux et celles qui ont dû étudier ou travailler malgré ce brouhaha infernal. Ceux et celles qui ont dû exercer leur métier essentiel, tels que les ambulancier.ère.s, ou encore les pompier.e.s, et qui ainsi n’ont pu accéder à certaines parties de la ville.

Il faut appeler un chat un chat : ce mouvement, dépourvu de son sens original, était d’extrême droite et raciste. Il va sans dire que les personnes racisées ont aussi été grandement affectées par l’occupation de la ville. Surtout quand on sait que certain.e.s manifestant.e.s brandissaient fièrement des drapeaux confédérés ou nazis.

Ne parlons même pas des commerces du centre-ville, d’abord fermés en raison du confinement, puis autorisés à rouvrir sans pour autant pouvoir le faire. Pour certains commerces, ouverts ou non, c’est le vandalisme qui les a touchés. C’est le cas de Happy Goat sur la rue Elgin, dont la vitrine a été cassée.

La ville dans son ensemble a souffert de cette occupation. La souffrance est bien exprimée dans les chiffres : la facture s’élève à environ 30 millions de dollars, selon le directeur général de la Ville, Steve Kanellakos.

Gestion de crise défaillante

D’après Gilles Levasseur, professeur de gestion et de droit à l’Université d’Ottawa, lors d’une gestion de crise, il faut prendre des décisions et agir rapidement pour arriver à des fins rapides. En l’occurrence, comme l’explique Levasseur, la Ville et la province ne savaient pas comment s’y prendre, et voulaient éviter la force. En faisant cela, le gouvernement provincial et la Ville ont toléré la manifestation. 

Le convoi étant d’abord local, c’est à la Ville d’Ottawa qu’a été lancée la responsabilité de gérer la crise. Celle-ci n’était pas préparée. Bien qu’étant la capitale nationale, Ottawa n’a pas l’habitude de gérer des manifestations aussi grosses, avec autant de camions, souligne Levasseur. 

Ottawa n’avait ni le matériel nécessaire ni le nombre de policier.ère.s suffisant.e.s. Ou bien Ottawa avait-il des policier.ère.s complaisant.e.s et complices ? Cette question se pose d’autant plus quand on sait les moyens qui sont déployés face à d’autres manifestations, souvent concernant des minorités raciales, comme celles de Black Lives Matter ou celles en solidarité avec le peuple Wet’suwet’en ?

Ce qui est certain c’est que personne ne savait comment gérer cette crise, et que tout le monde se renvoyait la balle. Le provincial a réagi seulement quand d’autres manifestations, moins conséquentes, se sont propagées à son niveau et ont affecté les échanges commerciaux avec les États-Unis, comme à Windsor. Ce que cela révèle, c’est que l’argent occupe une grande place dans le cœur de notre Premier ministre Doug Ford. Au même moment où le Parlement, symbole de la démocratie canadienne, était souillé, où était le gouvernement provincial ? Doug Ford était-il encore vaillamment en train de déneiger des voitures ?

Alors que ni Watson, son club de conseiller.ère.s municipaux.ales, et sa clique policière, ni Doug Ford et ses copain.ine.s businessman et businesswoman n’agissent, le gouvernement fédéral tire la sonnette d’alarme en mettant en vigueur la Loi sur les mesures d’urgences. Vu comme le dernier recours à mettre en place, celle-ci est tout de même à questionner. Elle est en réalité le résultat de la pauvre gestion de la crise. Si les différents gouvernements avaient arrêtés de dévier le problème et agi plus rapidement, aurions-nous vraiment eu besoin d’avoir recours aux mesures d’urgence ?

Ce qu’il faut en retenir

En dehors de nos politiques décousues et des effets que cela a eu sur notre ville et les habitant.e.s, que faut-il prendre en note de cette manifestation ? Tant qu’à souffrir trois semaines, autant y « apprendre » des choses, ou en tirer des points saillants sur notre ville et notre pays.

Premièrement, le mouvement d’extrême droite est largement sous-estimé au Canada. Même si l’extrême droite n’a pas beaucoup de voix lors des élections, elle est bel et bien présente et semble très organisée. Elle a toujours été présente, même avant la manifestation, et continuera probablement de l’être après. Le convoi a juste été pour ce mouvement une mise en lumière de leur présence, pour ceux et celles qui en doutaient encore. Même si le convoi n’a finalement pas aboutit (ici encore on pourrait se poser la question) à une victoire, l’extrême droite a tout de même gagné en visibilité, et a favorisé les conditions pour justifier l’idée d’un État dictatorial, qui réprime les libertés individuelles, notamment avec les mesures d’urgences, et le droit de manifestation.

Pourtant, là est le paradoxe puisque le Canada donne beaucoup de libertés individuelles. C’est ce qui lui a fait défaut ces dernières semaines : notre pays démocratique donne énormément de droits individuels, puisqu’il permet à une occupation non démocratique et violente de durer trois semaines. Cela montre aussi qu’un certain nombre de Canadien.ne.s ignorent beaucoup de leur système juridique. Beaucoup de ces manifestant.e.s mettent sur la table la question de la liberté individuelle, la percevant comme absolue. Celle-ci dépend du bien collectif, c’est pour cette raison que la Constitution doit trouver un équilibre entre les deux. 

Enfin, sur une note plus comique, il y a une chose qu’on devrait tou.te.s retenir : les Ottavien.ne.s se plaignent d’Ottawa comme étant une ville « boring », mais en réalité aiment qu’Ottawa soit « boring ». Apprécions le calme et profitons de notre ville si plate.

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