Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Critique pièce de théâtre : Déluge, d’Anne-Marie White

Actualités
1 octobre 2012

– Par Caroline Ramirez –

 

Une Solange monotone oscillant entre souvenirs et folie

 

Alors qu’il s’installe dans les gradins, le spectateur découvre une scène au décor minimaliste : à gauche, deux chaises métalliques pliables et dépliées; à droite, un matelas, sans draps, à même le sol; par terre, une grosse enregistreuse noire qui égrènera les titres des neufs « tableaux » de la pièce; et, en fond de scène, un grand toit de longues tuiles de couleurs différentes, sur lequel seront projetés des films de jeux d’enfants. Le sol est recouvert d’une moquette, déchirée par endroit, qui, par grands lambeaux, laisse apparaître les planches de la scène. Celle-ci monte depuis le côté jardin vers le côté cour, de gauche à droite, dans notre sens de lecture, dans le sens de nos frises du temps, dans le sens de la vie. On sait déjà qu’il sera difficile d’avancer dans cette pièce, de lutter contre la pente si l’on veut aller vers son futur : on aura tendance à glisser vers son passé, vers ses souvenirs.

Et puis le noir se fait. La pièce commence. Déluge, c’est l’histoire que nous raconte Solange, grande blonde aux cheveux épars et aux yeux écarquillés, sur des talons hauts compensés et dans une robe courte, à motifs imprimés colorés. Elle parle beaucoup, mais rarement sans cohérence, et ses positions sur scène sont toujours très inconfortables. La plupart de ses mouvements sont assurés par un homme déguisé en hamster qui, représentant la folie qui la ronge, la porte comme un fétu de pailles. La bête aura une influence maléfique sur elle tout au long de la pièce, ses cris perçants et inattendus la contraignant à tomber au sol ou à s’agiter furieusement.

Geneviève Couture, qui interprète Solange, nous offre une prestation au bilan mitigé. On peut ainsi reprocher, comme l’ont fait certains spectateurs, une certaine monotonie à ses mouvements tremblants, à ses expressions inquiètes, et à sa voix hésitante et sans cesse étonnée. Mais l’absence de changement de ton et de rythme, ainsi que la permanente précarité de ses jambes nous invitent aussi à lire le personnage comme en quête d’un refuge ontologique, d’une règle comportementale, quitte à ce qu’elle soit monocorde et traînante. Solange demeure pourtant pour ceux qui l’entourent une « estie d’folle », qui avance à tâtons, testant le réel sur la base de ses maigres souvenirs.

Car le passé est le seul repère du personnage principal. Solange analyse chaque situation en fonction de ses souvenirs d’expérience similaire et, si elle n’en trouve aucun, se contente de vivre avec passivité ce qui lui arrive. Les scènes de sexe sont presqu’alors des scènes de viol, car Solange se laisse faire, inerte comme une poupée et en même temps maniable à souhait. Son univers est bouleversé le jour où une voisine pénètre dans son appartement pour lui confier son fils, avant d’aller rendre visite à sa mère, à l’hôpital. Avant de partir, la voisine lui lance une question qui s’avèrera prophétique : « Est-ce que ça vous est déjà arrivé de perdre quelqu’un de proche? » La présence de l’enfant amène Solange à se questionner sur son instinct maternel. Se rappelant de la chèvre dont elle avait la garde lorsqu’elle était petite, elle se met à comparer systématiquement l’animal et l’enfant, enfant qui finit d’ailleurs par s’enfuir. Solange s’étonne alors d’éprouver de l’inquiétude : « Je pense avoir ressenti une émotion maternelle ». Elle le cherche, le retrouve, mais il la distance à nouveau. Elle le poursuit : « Mon propre enfant refusait mon affection. » Il s’arrête finalement au bord d’un canal, où Solange imagine un instant se laisser couler avec lui, « comme dans le ventre de nos mères ».

Si le scénario est pesant, noir, angoissant parfois et, surtout, nous présente un personnage sujet à un terrible engourdissement, à une forme d’impuissance et d’invalidité, il se révèle aussi par moment éclatant d’humour et révélateur de clichés hilarants. Peu à peu, se dessine chez Solange le seul ange d’innocence, le véritable enfant : elle oublie de se nourrir, se crée un personnage imaginaire, joue à la maman, s’endort n’importe où, et se fait même dessus lorsque frappe sa foudre intérieure, lorsque gronde son déluge délirant. Pourquoi avoir fait le choix du prénom « Solange »? D’après Anne-Marie White, metteure en scène et directrice artistique et générale du Théâtre du Trillium : « Le nom des personnages arrive comme ceux d’un enfant. Il s’impose éventuellement, sans qu’on ne sache trop pourquoi. »

D’après l’un des spectateurs, « la mise en scène aurait pu faire le choix d’une prestation solitaire, ou presque. Car la plupart des personnages secondaires (ndlr : toujours interprétés par les deux mêmes comédiens, Nicolas Desfossés et Isabelle Roy, ce qui crée parfois une confusion mal maîtrisée par la scénographie dans l’esprit du spectateur) auraient pu être animés par le jeu de Geneviève Couture seule », Solange, laissant souvent parler ses voix intérieures ou décrivant en détails les actions des autres qui s’agitent, autour d’elle. « Il y a toujours différentes façons de raconter une même histoire… Mais ce serait une toute autre mise en scène alors », répond Mme White à ce commentaire.

Par ailleurs, de l’avis d’un spectateur ayant assisté à la Première, « la projection de films sur une partie de la scène peut perturber le bon suivi de la pièce, le spectateur se laisse parfois déconcentré par les images. » Ces images aident pourtant le déroulement de l’intrigue. L’ensemble de l’action repose sur la résolution d’une tension que l’on sent monter et dont on devine très vite l’aboutissement. L’action ne brille cependant pas par son originalité et présente même un léger caractère de scénario policier simpliste, dont on se serait passé. La fin est terrible, mais très prévisible. Cherchant à « fuir le présent, retracer le passé », Solange voit ses souvenirs rattraper la réalité au point de la travestir et de lui faire commettre l’irréparable. À deux reprises.

La metteure en scène a-t-elle vu dans cette pièce l’occasion d’une catharsis? D’après Anne-Marie White : « Pas du tout. Aucunement catharsisant. Ludisme pendant l’écriture. Aucunement autobiographique. C’est juste un cauchemar, comme on en fait endormis. Sauf que, celui-là, il est en trois dimensions. »

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire