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Éditorial

Éditorial | Dons et différenciations

Web-Rotonde
17 mars 2014

edito– Par Ghassen Athmni –

Dans le système économique actuel, il est indéniable que le cognitif, le savoir, l’effort intellectuel et organisationnel ont plus d’importance que la production matérielle. Il en découle que l’éducation soit une marchandise à laquelle s’exerce de plus en plus un rapport de contrôle et de valorisation. L’éducation est par ce fait soumise à l’économie ou plus précisément aux décideurs de l’économie. Cette soumission se fait par deux voies différentes, celle de l’octroi de financement privé ou par la pression étatique, qui elle aussi peut recourir au financement comme moyen pour s’exercer. Des étudiants de l’Université d’Ottawa ont eu la bravoure et l’abnégation de consacrer leur temps à démythifier ce mécanisme, ce que nous encensons sans façon. Pour appuyer cette besogne, il nous est paru nécessaire d’essayer de nous arrêter sur la manière dont ce mécanisme fonctionne.

L’industrie où tout converge

Il est communément admis parmi les étudiants et ceux qui les exhortent à étudier (la famille, l’État, les industries) qu’une éducation prépare à une carrière. Autrement dit, l’objet de l’éducation est d’intégrer le marché du travail. Pour bien intégrer un milieu, on a besoin d’être préparé. L’éducation devient donc, grossièrement, une préparation au travail. Une préparation aussi longue et aussi couteuse a une valeur particulièrement importante. Dans un système qui prétend avoir horreur de « la perte » et du « gaspillage » (pourtant…), essayer de contrôler un tel processus, afin de diminuer les risques d’avoir un produit qui ne s’intègre pas parfaitement à la structure, est un impératif.

Si des firmes d’une industrie donnée, des plus lourdes au plus volatiles, n’ont pas la main lourde quand il s’agit d’octroyer des dons aux institutions postsecondaires, ce n’est pas pour « encourager la science » ni pour « redonner à la communauté » mais bien pour essayer de contrôler l’avenir de leur industrie. La dépendance des institutions à l’argent les oblige à se soumettre à la volonté des industries.

Ce schéma peut ne pas impliquer de dons matériels. Il peut par exemple s’agir d’ententes avec une certaine firme qui offre des stages, des spécialistes ou même des enseignants, etc. Cette collaboration avec un nom de l’industrie permettra d’obtenir une certaine notoriété et d’être attractif proportionnellement à l’importance du nom. De cette façon, l’industrie et le marché s’invitent directement dans les salles de classe et mettent en œuvre leurs stratégies en contact direct avec les apprenants. La marchandisation du savoir le limite à ce dont on a besoin pour faire un travail donné selon ce que les acteurs du marché définissent comme étant leurs besoins.

« Se différencier » ou disparaitre

L’autre acteur principal à intervenir dans cette problématique est évidemment l’État. Il existe, historiquement, un enrégimentement de l’école dans un certain ordre (clérical, militaire, marchand) exercé par l’État.

L’Université de Guelph (UdeG) vient d’abandonner les deux campus qu’elle avait dans la région (Alfred et Kemptville). Les difficultés financières ont été citées pour justifier la décision. Il est légitime de se demander pourquoi le gouvernement provincial ne choisit pas de résoudre le problème vu que l’UdeG est une institution publique et que c’est la responsabilité de l’Ontario d’offrir une éducation accessible à ses citoyens.

Depuis que le gouvernement a adressé un rapport intitulé Cadre stratégique de l’Ontario pour la différenciation du système d’éducation postsecondaire, il est difficile de ne pas évoquer le lien entre adopter des mesures qui vont dans le sens de ce rapport et la question du financement. Le but est d’engager les établissements postsecondaires à dégraisser leur offre de programmes en éliminant ce qui ne constitue pas leurs « points forts ». Chaque établissement aura donc des disciplines phares à faire valoir auprès de Queen’s Park. Cette politique est une attaque contre le savoir. D’une part, éliminer des offres d’un établissement ou d’une région la rend inaccessible à certains citoyens. D’autre part, l’État privilégie ainsi ce que l’ordre marchand impose, c’est-à-dire la formation standardisée d’une certaine « élite », dans chaque domaine. Moins il y a de diversité et de décalages dans la formation, mieux c’est pour le passage au travail. L’ordre marchand établit également qu’il est impensable d’offrir du savoir sans que cela ne soit à des fins de productivité, c’est pour cela que l’État doit éliminer cette dépense désormais « superflue », celle qui donne du savoir avec une contrepartie à valeur insuffisante. Il s’agit d’une entreprise qui n’est pas « rentable ».

Cet état des choses est également entretenu, dans ce qui se rapproche plus du cercle vicieux que d’autre chose, par le fait que la répression économique oblige les étudiants eux-mêmes à demander une préparation au travail plus qu’autre chose. Ce modèle est pourtant en crise, avec la multiplication des changements de carrières, le chômage ou la pénurie de main-d’œuvre, le remettre en question est par conséquent plus que jamais obligatoire.

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