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Arts et culture

Dossier cinémas indépendants

Web-Rotonde
25 février 2013

– Par Lina Maret – 

Il semble qu’il devient de plus en plus difficile de produire et de montrer des films indépendants et alternatifs, en partie pour des raisons de profit minime contre des coûts toujours en augmentation. Les cinémas indépendants ne se trouvent pas dans une position facile de nos jours, comme le montrent notamment les déboires auxquels le Mayfair, cinéma ottavien alternatif, a dû faire face.

« Il faudrait faire des films que le monde veut voir, et moins de films lamentables, moins de drames. On a fait des sondages, on le sait: le monde veut voir des comédies, des films d’action, des films qui les distraient, et pas nécessairement se faire éduquer. ». Les propos de Vincent Guzzo et de Guy Gagnon, respectivement propriétaires de la chaîne de cinéma Guzzo et du distributeur Alliance Vivafilm, ont provoqué des réactions très fortes dans le milieu du 7e art, à la fois de la part des spectateurs et des réalisateurs. Beaucoup étaient en accord avec la position défendue par M. Guzzo et M. Gagnon, mais des voix se sont élevées contre cette conception du cinéma comme générateur de profit et non comme art. Le débat est en fait axé sur la tyrannie de la majorité, redoutée par le philosophe français Alexis de Tocqueville : la société moderne encourage l’uniformité et laisse peu de place à ce qui n’intéresse pas la vaste classe moyenne. Le divertissement de masse est omniprésent dans notre société, mais quelle place est faite à l’art pour l’art, aux œuvres alternatives, aux productions indépendantes de toute corporation? Est-ce que l’art qui n’est pas mainstream doit être encouragé, malgré le fait qu’il génère peu de profits? Ce sont des problématiques auxquelles les promoteurs d’art alternatif sont confrontés. Force est de constater que leur position n’est pas forcément aisée de nos jours.

Mayfair et Bytowne: la situation d’Ottawa 

« Notre situation est vraiment bonne, par rapport à l’endroit où nous sommes, à notre ancienneté », note Bruce White, propriétaire du cinéma ottavien Bytowne. « Mais dans d’autres cas, dans des villes plus petites, ou avec un emplacement moins avantageux, je pense que ça peut être vraiment difficile. Ottawa est une ville favorable aux cinémas indépendants, les habitants sont instruits et cultivés dans l’ensemble », estime-t-il. « Il y a une communauté internationale importante grâce à la présence du gouvernement, ce qui rend le fait de montrer des films étrangers plus facile », poursuit-il.

Le Mayfair, autre cinéma indépendant d’Ottawa, ne bénéficie pas de la même situation rassurante que le Bytowne. Les deux emplacements sur la rue Bank et à Orléans, bien que gérés séparément, ont connu une année mouvementée, qui s’est même conclue par la fermeture du cinéma d’Orléans, ouvert il n’y a pourtant que deux ans, en raison d’une fréquentation trop rare. Le Mayfair de la rue Bank, qui existe depuis 1932, a lui aussi frôlé la fermeture quand il a été annoncé que les films ne seraient plus produits en 35 mm mais exclusivement au format digital. Une vague de support a été générée chez les spectateurs, dont les dons ont permis au cinéma d’acheter l’équipement de projection nécessaire au nouveau format. « Notre audience est composée de gens qui vont au cinéma, qui aiment le cinéma », remarque Lee Demarbre, propriétaire du Mayfair de la rue Bank. « J’ai toujours considéré le Mayfair un peu comme une église, une cathédrale, et les personnes qui aiment les bons films vont venir à l’église ici. »

Qualité ou rentabilité ?

 « En tant que spectateur, je trouve qu’il est de moins en moins intéressant de voir les films au cinéma », soutient M. Demarbre. « Les prix des billets augmentent et la qualité visuelle des projections dans les chaînes de cinéma devient toujours plus médiocre. La qualité de chaque séance de grand cinéma à laquelle j’ai été ces dernières années était minable, ça me répugne. Et ce sont les personnes qui aiment le cinéma le plus qui en souffrent le plus ! », martèle-t-il.

Mais l’importance que M. Demarbre porte à la beauté visuelle que le cinéma peut apporter au spectateur averti, est contrée par des arguments de rentabilité par les grands producteurs et distributeurs. Dans un cercle vicieux de dégradation de l’esprit critique, les grandes corporations du divertissement ont réussi à orienter le goût des masses vers le divertissement facile, au détriment de la richesse visuelle et intellectuelle des œuvres, explique Michael Strangelove, professeur à l’Université d’Ottawa et spécialiste de la culture populaire contemporaine. Et aujourd’hui la rentabilité est dans les productions de la machine d’Hollywood, qui ne sont pas particulièrement reconnues comme de grandes œuvres.

« Quand on fait quelque chose il faut prendre tout en considération, la rentabilité, le côté art, le goût des clients… Et quand je travaille, ce que je joue dans les salles de cinémas ce n’est pas ce que j’aime voir, mais ce que je pense que mes clients vont vouloir voir », précise M. Guzzo dans une entrevue avec Richard Martineau à l’émission les Francs tireurs, pour expliquer son soutien aux grosses productions. « Il y a des films à grand déploiement qui sont bons! », assure M. White. « Le fait qu’un film est projeté dans une chaîne de cinéma n’en fait pas un mauvais film. Et le fait qu’un film est projeté dans un cinéma indépendant n’en fait pas un bon film non plus! », nuance le propriétaire du cinéma Bytowne.

Être un producteur indépendant

Étroitement liée aux problématiques des cinémas indépendants, la situation des producteurs et réalisateurs indépendants n’est pas fameuse non plus. Lee Demarbre, lui-même réalisateur, déplore les conditions qui rendent la parution des films indépendants compliquée, parfois même impossible. « Hollywood dépense jusqu’à 80 millions de dollars pour faire sortir un film en salle, c’est inimaginable qu’un producteur indépendant puisse faire de même », prétend-il. « C’est presque impossible de faire sortir un film indépendant en salle, le mieux qu’un réalisateur indépendant puisse espérer est un festival du film ou sortir un DVD. Notre époque est très difficile pour les réalisateurs indépendants, aussi à cause du téléchargement illégal! Il y a quelques exceptions bien sûr, mais en faire son gagne-pain est devenu impossible », déplore l’artisan du grand écran. Certaines organisations permettent de croire que la situation pourrait s’améliorer. C’est le cas du Front des réalisateurs indépendants du Canada (FRIC) qui travaille à favoriser le développement professionnel des réalisateurs et le rayonnement des œuvres francophones canadiennes.

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