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Arts et culture

Être une artiste alors que tout s’effondre

Culture
7 octobre 2019

Crédit visuel : Andrey Gosse – directeur artistique 

Par Clémence Roy-Darisse – Cheffe du pupitre Arts & culture

Le 27 septembre dernier, j’ai mani­festé contre le réchauf­fe­ment clima­tique. Ce n’était pas une ques­tion de prin­cipe, mais une ques­tion de survie; survie de l’es­pèce humaine, de notre géné­ra­tion et pour le faible espoir d’avoir des enfants. La même journée je travaillais sur un nouveau texte de théâtre sur la thématique de l’amitié. 

Portée par le message d’une jeune femme de 16 ans et plusieurs autres de son âge d’ailleurs, je suivais la masse humaine se dressant devant le Parlement aux sons des cris du cœur. J’avais espoir. 

Le même jour, je me décide à aller sur le web pour en apprendre davantage. Je google: « va-t-on tous mourir ? ». Étran­ge­ment, j’ai la faible appré­hen­sion de trou­ver quelque chose de posi­tif. Très vite, j’au­rais dû comprendre que non.

« Nous allons tous mourir; l’apocalypse due aux changements climatiques aura lieu en 2050 » et « quand allons-nous mourir: les statistiques de l’extinction de l’espèce humaine » sont les premiers résultats qui s’affichent sur mon écran de verre. 

Je parcours ma chambre des yeux; mon calendrier de classe me semble obsolète. Je retourne à l’écran, poussée par l’adrénaline, la peur, mais aussi mon optimisme ou peut-être devrais-je dire; ma naïveté. 

Qu’est-ce que je peux bien y faire? 

C’est peu dire, une vague d’écoanxiété me prend. Je me dis; à quoi ça sert de vivre dans un tel monde, de donner la vie, de faire ses devoirs, d’al­ler à l’école, de me plani­fier un avenir alors que notre exis­tence même est en jeu ? 

Je relis le texte sur lequel je travaille; il trace le portrait de deux jeunes meilleures amies. Camille meurt du cancer et Laurence tente de survivre au deuil de cette dernière. Elles enchaînent monologue après monologue sur la difficulté de vivre l’une sans l’autre. Laurence tombe dans une profonde dépression et Camille, juchée au ciel, tentera de la faire changer d’avis. Leurs préoccupations me semblent anachroniques. Éprises dans leurs malheurs individuels, elles ne réfléchissent pas à la collectivité. 

Comment aujourd’hui, pouvons-nous réfléchir à l’avenir sans considérer le sort de la planète entière ? Bien sûr, nous allons toujours vivre le deuil de l’autre, peut-être même plus fréquemment, mais le sort de ce dernier changera, se multipliera. 

Il sera question d’un deuil collectif d’un mode de vie perdu. Pourquoi peindre ce monde s’il changera drastiquement dans les années à venir? Pour que ceux qui lisent mes textes s’y accrochent encore plus et se sentent davantage tiraillés lors de l’apocalypse ? Ne pas aborder le changement climatique dans mes textes me paraît, à la limite, climato-sceptique.

Je me projette dans les scéna­rios catas­trophes décrits, ramant dans une barque avec mes voisins pour fuir les inon­da­tions, trou­ver une terre viable suite à l’épui­se­ment des ressources; qu’est-ce que je vais faire ? Jaser ? Réciter des vers ? Répéter aux troupes « on peut le faire gang ça va bien aller ! », personne ne voudra d’une cheerleader. Mes cours de théâtre et mes manuels ne m’ont pas donné d’outils pour survivre.

Je me regarde dans le miroir : mon reflet n’a pas celui d’une Greta et je vois mal comment je pour­rais chan­ger les choses. Je me rappelle alors de cette phrase, à l’époque reçue légè­re­ment; « nous sommes en 2034, la situa­tion sur la terre est presque catas­tro­phique, la couche d’ozone a complè­te­ment été détruite par les gaz carbo­niques, les indus­tries chimiques et le poush poush en cacanne », du film Dans une galaxie près de chez vous. Le rap du Romano Fafard prend aujourd’­hui tout son sens; je ne pour­rai peut-être pas sauver le vais­seau, mais je peux chan­ter l’ave­nir, l’écrire, le dire, le rappe­ler, jouer le rôle du prophète.

Camille et Laurence pourraient bien crier leurs espoirs d’un monde meilleur, dénoncer l’inertie de la classe politique. C’est à moi de créer des personnages qui dérangent, de construire ce que j’aimerais voir dans ce monde et de brosser les contours de ce qui me bouscule, de ce qui nous bouscule. 

Art dans l’apocalypse

Le rôle de l’artiste est justement de ne pas rester seul dans son bateau, dans sa folie, d’en emporter d’autres qui sont épris de leur confort ordinaire. L’art doit plus que jamais revendiquer un discours politique. 

En ce sens, l’art autochtone adopte depuis longtemps un discours engagé, non seulement en dénonçant les ravages du colonialisme, mais aussi en exprimant une vision du territoire distincte que l’on gagnerait à écouter. Plusieurs peuples des premières nations expriment depuis longtemps une concep­tion de la vie humaine interdépendante des animaux, plantes, miné­raux et humains. Ce qui contraste avec notre organisation pyramidale des écosystèmes qui nous fait défaut.

C’est le cas de l’au­teure innu Nata­sha Kanapé Fontaine, origi­naire de Pessa­mit sur la Côte-Nord, qui dans son livre poétique « Manifeste Assi » écrit: « ma terre je la prendrai dans ma main, je la soignerai, avec un pan, ma jupe, essuiera ses larmes noires ». 

Peut-être que plusieurs artistes aussi préfèrent le goût du déni à celui amer de la peur. Ils préfèrent parler de soi plutôt que de nous, il prennent la scène pour un confessionnal de consolation. 

Je ferme la fenêtre de mon texte « Camille et Laurence » et j’en ouvre une autre. J’écris « Être une artiste alors que tout s’effondre ».

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