Crédit visuel : Andrey Gosse – directeur artistique
Par Clémence Roy-Darisse – Cheffe du pupitre Arts & culture
Le 27 septembre dernier, j’ai manifesté contre le réchauffement climatique. Ce n’était pas une question de principe, mais une question de survie; survie de l’espèce humaine, de notre génération et pour le faible espoir d’avoir des enfants. La même journée je travaillais sur un nouveau texte de théâtre sur la thématique de l’amitié.
Portée par le message d’une jeune femme de 16 ans et plusieurs autres de son âge d’ailleurs, je suivais la masse humaine se dressant devant le Parlement aux sons des cris du cœur. J’avais espoir.
Le même jour, je me décide à aller sur le web pour en apprendre davantage. Je google: « va-t-on tous mourir ? ». Étrangement, j’ai la faible appréhension de trouver quelque chose de positif. Très vite, j’aurais dû comprendre que non.
« Nous allons tous mourir; l’apocalypse due aux changements climatiques aura lieu en 2050 » et « quand allons-nous mourir: les statistiques de l’extinction de l’espèce humaine » sont les premiers résultats qui s’affichent sur mon écran de verre.
Je parcours ma chambre des yeux; mon calendrier de classe me semble obsolète. Je retourne à l’écran, poussée par l’adrénaline, la peur, mais aussi mon optimisme ou peut-être devrais-je dire; ma naïveté.
Qu’est-ce que je peux bien y faire?
C’est peu dire, une vague d’écoanxiété me prend. Je me dis; à quoi ça sert de vivre dans un tel monde, de donner la vie, de faire ses devoirs, d’aller à l’école, de me planifier un avenir alors que notre existence même est en jeu ?
Je relis le texte sur lequel je travaille; il trace le portrait de deux jeunes meilleures amies. Camille meurt du cancer et Laurence tente de survivre au deuil de cette dernière. Elles enchaînent monologue après monologue sur la difficulté de vivre l’une sans l’autre. Laurence tombe dans une profonde dépression et Camille, juchée au ciel, tentera de la faire changer d’avis. Leurs préoccupations me semblent anachroniques. Éprises dans leurs malheurs individuels, elles ne réfléchissent pas à la collectivité.
Comment aujourd’hui, pouvons-nous réfléchir à l’avenir sans considérer le sort de la planète entière ? Bien sûr, nous allons toujours vivre le deuil de l’autre, peut-être même plus fréquemment, mais le sort de ce dernier changera, se multipliera.
Il sera question d’un deuil collectif d’un mode de vie perdu. Pourquoi peindre ce monde s’il changera drastiquement dans les années à venir? Pour que ceux qui lisent mes textes s’y accrochent encore plus et se sentent davantage tiraillés lors de l’apocalypse ? Ne pas aborder le changement climatique dans mes textes me paraît, à la limite, climato-sceptique.
Je me projette dans les scénarios catastrophes décrits, ramant dans une barque avec mes voisins pour fuir les inondations, trouver une terre viable suite à l’épuisement des ressources; qu’est-ce que je vais faire ? Jaser ? Réciter des vers ? Répéter aux troupes « on peut le faire gang ça va bien aller ! », personne ne voudra d’une cheerleader. Mes cours de théâtre et mes manuels ne m’ont pas donné d’outils pour survivre.
Je me regarde dans le miroir : mon reflet n’a pas celui d’une Greta et je vois mal comment je pourrais changer les choses. Je me rappelle alors de cette phrase, à l’époque reçue légèrement; « nous sommes en 2034, la situation sur la terre est presque catastrophique, la couche d’ozone a complètement été détruite par les gaz carboniques, les industries chimiques et le poush poush en cacanne », du film Dans une galaxie près de chez vous. Le rap du Romano Fafard prend aujourd’hui tout son sens; je ne pourrai peut-être pas sauver le vaisseau, mais je peux chanter l’avenir, l’écrire, le dire, le rappeler, jouer le rôle du prophète.
Camille et Laurence pourraient bien crier leurs espoirs d’un monde meilleur, dénoncer l’inertie de la classe politique. C’est à moi de créer des personnages qui dérangent, de construire ce que j’aimerais voir dans ce monde et de brosser les contours de ce qui me bouscule, de ce qui nous bouscule.
Art dans l’apocalypse
Le rôle de l’artiste est justement de ne pas rester seul dans son bateau, dans sa folie, d’en emporter d’autres qui sont épris de leur confort ordinaire. L’art doit plus que jamais revendiquer un discours politique.
En ce sens, l’art autochtone adopte depuis longtemps un discours engagé, non seulement en dénonçant les ravages du colonialisme, mais aussi en exprimant une vision du territoire distincte que l’on gagnerait à écouter. Plusieurs peuples des premières nations expriment depuis longtemps une conception de la vie humaine interdépendante des animaux, plantes, minéraux et humains. Ce qui contraste avec notre organisation pyramidale des écosystèmes qui nous fait défaut.
C’est le cas de l’auteure innu Natasha Kanapé Fontaine, originaire de Pessamit sur la Côte-Nord, qui dans son livre poétique « Manifeste Assi » écrit: « ma terre je la prendrai dans ma main, je la soignerai, avec un pan, ma jupe, essuiera ses larmes noires ».
Peut-être que plusieurs artistes aussi préfèrent le goût du déni à celui amer de la peur. Ils préfèrent parler de soi plutôt que de nous, il prennent la scène pour un confessionnal de consolation.
Je ferme la fenêtre de mon texte « Camille et Laurence » et j’en ouvre une autre. J’écris « Être une artiste alors que tout s’effondre ».