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Sports et bien-être

Lever le voile sur le sentiment d’imposture : entrevue avec la professeure Thérèse Bouffard

Jessica Malutama
4 décembre 2023

Crédit visuel : Courtoisie — Thérèse Bouffard

Entrevue réalisée par Jessica Malutama — Journaliste

Le sentiment d’imposture ne relèverait pas de la réalité, mais de la perception, selon Thérèse Bouffard. Dans un entretien avec La Rotonde, la professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) démystifie le caractère du ressenti subjectif, les facteurs liés à son émergence dans l’enfance ainsi que les possibilités d’y remédier.

La Rotonde (LR) : Pourquoi avez-vous décidé de vous intéresser au syndrome de l’imposteur ?

Thérèse Bouffard (TB) : Dans les années 2000, j’ai commencé à m’intéresser au phénomène de l’illusion de compétence et au syndrome de l’imposteur par le biais d’études longitudinales faites auprès d’un échantillon composé d’enfants en milieu scolaire. Avec mon équipe, nous cherchions à mieux comprendre l’évolution dynamique de ce phénomène ainsi que l’effet de certaines pratiques et rétroactions parentales dans le développement de la perception de compétence des élèves. À l’époque, nous avons découvert que certains enfants avec un QI élevé avaient une perception que leurs compétences étaient vraiment faibles. Lorsqu’ils.elles arrivaient en cinquième année du primaire, ces mêmes enfants ne fonctionnaient pas à la hauteur de leurs capacités. Ils.elles se mésestimaient et se disaient convaincu.e.s que tout le monde les trouvait incompétent.e.s, y compris leurs parents.

Ce sentiment vient donc détériorer leur fonctionnement scolaire et leur bien-être psychologique. Vers l’âge de dix ans, les enfants commencent à faire des petits travaux de recherche en classe qui demandent un peu plus d’efforts. Ils.elles commencent donc à formuler des énoncés dépréciatifs qui mettent en doute leurs capacités et leurs compétences. L’école est un milieu où l’on est toujours évalué.e.s. Pour ces enfants, il s’agit donc d’une situation très anxiogène.

LR : Qu’est-ce que le syndrome de l’imposteur et comment se caractérise-t-il ?

TB : Il s’agit du sentiment que ressentent les personnes qui ont l’impression d’être surévaluées par autrui. Le vrai sentiment d’imposteur est chronique et il se vit clandestinement. Il se caractérise par le fait de se sentir inauthentique. Les individus atteints ont l’impression de tromper les gens de leur entourage et vivent dans la peur d’être démasqués à tout instant, et donc, de perdre leur estime. Pourtant, ces personnes ne sont pas objectivement inférieures aux autres. Les adultes qui ont un sentiment d’imposture présentent souvent une faible estime d’eux.elles-mêmes, un perfectionnisme et des humeurs négatives.

LR : Pourriez-vous expliciter ce qu’est le cycle de l’imposteur ?

TB : Le cycle de l’imposteur ou la « prophétie autoréalisatrice  » est un mécanisme qui s’enclenche quand les individus avec un sentiment d’imposture se trouvent face à une situation donnée. Chez les enfants concerné.e.s et doté.e.s d’un haut QI, la procrastination ou la préparation excessive sont deux stratégies employées pour éviter de révéler au grand jour leur « incompétence ». Dans le premier cas, la méthode revient à se mettre au travail à la dernière minute pour que les parents, en cas d’échec, attribuent la faute au manque de temps. Avec la deuxième stratégie, les enfants travaillent beaucoup pour garantir leur succès, mais ces réussites ne sont pas intériorisées. Les individus qui ressentent un sentiment d’imposture attribuent leurs bons coups à des facteurs externes, comme la chance. Le sentiment d’imposture peut représenter un frein à l’actualisation du potentiel des individus ou d’aspirations personnelles.

LR : Existe-t-il des raisons structurelles et sociétales au phénomène ?

TB : Notre étude s’est surtout attardée aux variables de type familial. Ce qu’on a observé, c’est qu’il y a certains styles parentaux qui vont intensifier le syndrome de l’imposteur, comme les parents surprotecteurs. Ces derniers ont tendance à avoir des attentes élevées et à faire une partie du travail à la place de leurs enfants pour s’assurer qu’ils.elles puissent atteindre leurs objectifs.

Ces parents très exigeants ont aussi tendance à réagir de façon très différenciée aux réussites et aux échecs. Quand ils échouent, les enfants nous disent qu’ils.elles ont l’impression que leurs parents les aiment moins parce qu’ils n’ont pas su atteindre les résultats qu’ils attendaient d’eux. Ces enfants finissent par devenir inauthentiques parce qu’ils.elles essaient de moduler leurs comportements en fonction des attentes de leurs parents, en allant jusqu’à rejeter des parties d’eux.elles-mêmes qu’ils.elles considèrent comme n’étant pas conformes aux attentes parentales. Ils.elles en viennent donc à faire de l’introjection par rapport aux attentes des parents et à avoir l’impression de présenter un faux soi, c’est-à-dire une image qu’ils.elles doivent projeter pour garantir l’affection et le soutien de leurs parents.

LR : Existe-t-il des avantages au syndrome de l’imposteur ? Si tel n’est pas le cas, comment en finir avec ce dernier ?

TB : Certaines personnes arrivent à vivre harmonieusement avec ce sentiment à condition d’en être conscientes et d’essayer de vivre des expériences qui viendront infirmer leur sentiment d’imposteur, comme des occasions de promotion au travail. Une manière de prévenir le syndrome de l’imposteur est d’amener les parents à faire attention à la manière qu’ils ont d’agir envers leurs enfants. Même si les paroles et les actions des parents partent d’une bonne volonté et de l’amour qu’ils ont pour leurs enfants, ils.elles ont leur propre interprétation des actions parentales. Lorsque les rétroactions positives ou négatives d’un parent sont toujours associées à une situation particulière, l’enfant enregistre ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter, c’est-à-dire les attentes qu’il lit dans le regard d’autrui. Il s’agit d’un mécanisme de connaissance de soi, mais qui peut malheureusement aboutir à des conclusions erronées. C’est un processus compliqué que d’apprendre à s’évaluer correctement.

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