Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Article rédigé par Jessica Malutama — Cheffe du pupitre Sports et bien-être
Selon une récente étude, les adolescent.e.s souffrant de douleurs chroniques sont particulièrement vulnérables à la solitude. Ce phénomène, lié à une méconnaissance de la douleur chronique par la société et le milieu médical, s’accompagne d’une tendance à minimiser ces souffrances, mettant en lumière la nécessité de transformer les pratiques et de sensibiliser le public à cette réalité.
Cette recherche de Paula Forgeron, professeure titulaire à l’École des sciences infirmières de la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa (U d’O), explore les interactions entre la douleur chronique et la solitude chez les adolescent.e.s. La chercheuse met en lumière les manières dont ces expériences s’influencent mutuellement et impactent les relations sociales de ces adolescent.e.s.
Douleur et délaissement chroniques
La douleur chronique se définit comme une douleur qui persiste au-delà de la guérison des tissus, pendant généralement trois mois ou plus. Ce type de douleur peut être de nature primaire (sans cause sous-jacente) ou secondaire (liée à une autre condition médicale). « Un Canadien.ne sur cinq souffrira de douleurs chroniques au cours de sa vie », informe Forgeron.
La solitude, distincte de l’isolement social, renvoie à une expérience subjective, marquée par l’impression de ne pas avoir de compagnie ou de personnes avec qui partager ses préoccupations. Les adolescent.e.s atteint.e.s de douleurs chroniques présentent des niveaux de solitudes plus élevés que leurs pairs, même lorsqu’ils.elles sont entouré.e.s, indique la professeure.
L’étude en question distingue trois types de solitudes : intime, liée à l’absence de confident.e.s proches, sociale, due au manque d’un groupe de camarades, et collective, caractérisée par un sentiment de déconnexion envers sa communauté ou son environnement scolaire.
La chercheuse souligne que les adolescent.e.s Noir.e.s souffrant de douleurs chroniques éprouvent ces solitudes plus intésement que leurs pairs blanc.he.s ou issu.e.s d’autres minorités visibles.
Ces formes de solitude augmentent le risque de dépression et de troubles physiques ou mentaux, avec des effets durables jusqu’à l’âge adulte. L’étude de Forgeron relève également que la solitude affecte le bien-être social, comme l’estime de soi, et limitent les ambitions, comme en témoigne le faible intérêt pour des études universitaires observées chez les adolescent.e.s atteint.e.s de douleurs chroniques qui se sentent seul.e.s, même en tenant compte de facteurs socio-économiques.
Douleur incomprise et minimisée
« Nous ressentons tou.te.s de la douleur, cela fait partie de la condition humaine. Cependant, lorsque la douleur persiste et se prolonge, cela soulève souvent des doutes et du scepticisme », explique Forgeron.
La chercheuse développe que les adolescent.e.s concerné.e.s voient leurs amitiés évoluer ou se distendre, leurs ami.e.s ayant du mal à comprendre leur incapacité à participer à certaines activités.
Olive Folsetter, étudiant.e en études des conflits et droits humains à l’U d’O, témoigne des difficultés rencontrées avec l’endométriose et la fibromyalgie : « Il m’est arrivé de devoir annuler des plans parce que mes douleurs étaient trop intenses. Cela me faisait paraître comme quelqu’un qui ne veut pas faire des activités avec ses ami.e.s et qui n’est pas fiable. Pourtant, quand je fais des plans, c’est pour les concrétiser, par pour les annuler à la dernière minute ».
Folsetter ajoute que son identité de genre amplifie parfois l’invisibilisation et le sentiment de différence : « Les conditions dont je souffre touchent principalement les femmes cisgenres, mais des fois, je me sens dans la marge parce que je m’identifie comme non-binaire. On dit souvent qu’il faut aider les femmes cisgenres, mais on oublie qu’il y a aussi des personnes non-binaires, des hommes transgenres, et, bien que très rarement, des hommes cisgenres qui sont également concerné.e.s. La société oublie cela, et on peut se sentir un peu seul.e dans tout ça », partage iel.
Forgeron rappelle que la douleur chronique, bien qu’invisible, est une condition médicale reconnue. Cependant, son absence de marqueurs objectifs complique sa prise en charge. La douleur chronique est donc souvent rejetée ou minimisée par la société, que ce soit à l’école, dans le cercle social des personnes concernées ou dans le milieu médical.
« Les infirmier.e.s et les médecins reçoivent cinq fois moins de formation à la douleur que les vétérinaires dans le cadre de leurs études universitaires ou de leurs programmes initiaux de préparation à l’obtention d’une licence » déplore-t-elle, dénonçant un manque criant de sensibilisation dans le milieu médical.
Repenser les pratiques et les mentalités
Selon Forgeron, il est urgent de mieux comprendre et d’éduquer la société à la réalité de la douleur chronique pour éviter de déconsidérer trop rapidement l’expérience de ceux.celles qui en souffrent. Face à ces défis, elle plaide pour des solutions concrètes comme des aménagements adaptés dans les écoles (tels que des chaises ergonomiques) et une plus grande flexibilité face aux absences fréquentes des adolescent.e.s atteint.e.s de douleurs chroniques.
Folsetter appelle à un accès simplifié aux accommodements scolaires à l’université, souvent coûteux et chronophages. « J’ai dû payer 75$ pour un billet médical et attendre deux ans pour obtenir des diagnostics officiels. Bien que je sois chanceux.se pour la question financière, ce n’est pas un privilège dont tout le monde dispose », témoigne-t-iel.
Le soutien social entre pairs est également essentiel. Forgeron propose la création de groupes de soutien pour briser l’isolement et favoriser les échanges : « Les ami.e.s ont un impact sur la douleur, et la douleur a un impact sur notre capacité à prendre part à nos amitiés. Tout est lié. Le fonctionnement social est une part essentielle de notre vie, et la solitude nuit à la santé. »
L’étudiant.e de l’U d’O propose également la création de groupes de soutien sur le campus pour permettre aux étudiant.e.s dans des situations similaires de faire communauté : « Je sais qu’il y a beaucoup d’étudiant.e.s qui ont des douleurs chroniques, et ça peut être difficile d’être à l’école avec ça. Avoir une communauté de personnes partageant les mêmes expériences pourrait vraiment aider. »
Pour Folsetter, l’accès à des diagnostics officiels et la rencontre d’ami.e.s partageant des expériences similaires ont été déterminants dans l’acceptation de ses conditions médicales. Quant à elle, Forgeron estime que les démarches proposées pourraient permettre de contrer la solitude et de mieux comprendre les besoins spécifiques des adolescent.e.s souffrant de douleurs chroniques, ouvrant la voie à une inclusion et un accompagnement renforcé.e.s.