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Éditorial

Étudiera ou n’étudiera pas en français, telle est la question

Rédaction
8 février 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique 

Éditorial rédigé par Caroline Fabre – Rédactrice en chef

La question de l’accessibilité aux études supérieures en français se pose chaque année pour des centaines d’étudiant.e.s franco-ontarien.ne.s au moment de postuler dans différentes universités. Si le projet de l’Université de l’Ontario français (UOF) semblait pouvoir apporter une solution viable à cette communauté minoritaire, la réalité est toute autre, et l’échec est cuisant.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement ontarien a, à plusieurs reprises, eu l’occasion de démontrer son hostilité face aux francophones de la province. D’abord approuvé par le gouvernement libéral de Kathleen Wynne en 2017, puis mis en danger à l’automne 2018 par le Premier ministre de l’Ontario Doug Ford qui annonçait la fin de son financement au nom d’un meilleur contrôle des dépenses publiques, le projet de l’UOF a déchaîné les passions. C’est à l’issue de nombreuses manifestations que Ford a finalement relancé le tout à la veille des élections fédérales, en le finançant à hauteur de 126 millions de dollars sur huit ans, avec l’aide du gouvernement fédéral. Que de contretemps pour un projet d’envergure !

Difficultés multiples

Si l’objectif de recrutement concernant la première cohorte de l’UOF était de 300 étudiant.e.s, il est vite passé à 200, et ce sont finalement 19 franco-ontarien.ne.s qui avaient appliqué en date du 17 janvier, pour un total de 46 inscrit.e.s cinq jours plus tard. Pourquoi de si faibles chiffres, si le désir de voir naître ce projet date de plusieurs dizaines d’années déjà ?

C’est parce que l’UOF a dû attendre l’approbation ministérielle de ses programmes pour en faire la promotion, approbation qui n’est venue qu’en octobre, et qui n’a donc laissé que quelques mois à l’université pour tenter de convaincre ses futur.e.s étudiant.e.s de s’inscrire. Est-ce là un désintérêt total de la part du ministère des Collèges et Universités, ou le destin qui se ligue une fois de plus contre l’UOF et la francophonie ? Car si l’idée de créer une université pour les franco-ontarien.ne.s est louable, le sort s’acharne visiblement contre elle. 

Notons également que l’une des conditions sine qua non du gouvernement fédéral à la naissance de l’UOF était la création de nouveaux programmes. En effet, en vertu de la loi de 2017, elle doit « offrir en français des programmes universitaires innovateurs de premier cycle et de cycles supérieurs qui répondent aux besoins des étudiant[.e.]s, de la communauté et des employeur[.euse.]s et qui font progresser les valeurs de pluralisme et d’inclusion ». 

Dans un rapport publié en 2017, Dyane Adam, représentante du Conseil de planification pour une université de langue française, expose que « le court laps de temps accordé au conseil de planification pour préparer ses recommandations n’a pas permis d’effectuer une étude de marché en fonction du concept qu’il propose de créer. » Comment ses programmes ont-ils donc été mis en place si une réelle étude du public cible n’a pas été menée sérieusement ? Il semblerait que les bases de cette université étaient donc bien instables avant même sa mise en place. Et pas question de faire de l’ombre aux programmes des universités bilingues. Après tout, l’Université Laurentienne, l’Université d’Ottawa (U d’O), l’Université de Hearst et le Collège universitaire Glendon ne sont-elles pas de ferventes concurrentes ?

De plus, créer des programmes innovateurs est un exercice plutôt difficile quand la province ontarienne compte déjà plus d’une vingtaine d’universités. En résulte alors la faible attractivité des quatre baccalauréats spécialisés proposés par l’UOF en Études des cultures numériques, Études de l’économie et des innovations sociales, Études des environnements urbains et Études de la pluralité humaine. De quoi faire rêver tout.e étudiant.e arrivant à la fin de son secondaire. 

S’il lui est interdit de proposer des programmes déjà existants, pourquoi ne récupère-t-elle pas les programmes de l’Université Laurentienne située à Sudbury, qui vient de fermer dix programmes d’études en français, et d’entamer une procédure de restructuration sous supervision judiciaire en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ? Le malheur des uns fait le bonheur des autres, et tout particulièrement lorsque la cause commune est la francophonie.

Repenser le projet

Entre programmes limités, financements sporadiques, faibles taux d’inscriptions, et concurrence accrue, les difficultés s’opposant à la création de l’UOF sont nombreuses. Mais après tant de batailles livrées, elle semble plus que jamais décidée à exister. L’UOF et l’Université Laurentienne sont importantes pour le développement économique de l’Ontario, et ça le gouvernement de la province le clame haut et fort. Certes, les franco-ontarien.ne.s se sont battu.e.s pour mener à bien sa création, notamment au travers de nombreuses manifestations. Mais est-ce vraiment un choix judicieux que de créer une nouvelle université francophone ?

Ottawa est considérée comme une ville « excentrée », et ce n’est, certes, pas la ville la plus animée du Canada, mais elle est pourvue de plusieurs universités, dont la plus grande univer­sité bilingue français-anglais au monde. La demande d’une université francophone en Ontario datant des années 1990, des investissements conséquents de temps et d’argent ont été réalisés pour permettre à l’UOF d’enfin voir le jour, plus de 30 ans après. Des millions qui auraient amplement pu être redistribués dans la création de nouveaux programmes au sein des universités déjà existantes, ou dans la mise en place de bourses favorisant la francophonie. 

L’existence de l’UOF et ses premiers pas dans le monde universitaire impitoyable pose encore une fois la question de la place de la francophonie dans le contexte provincial. Si les franco-ontarien.ne.s sont certes une minorité, ils et elles ont, au même titre que les anglophones, le droit de poursuivre leurs études dans la langue de leur choix. Depuis quand être francophone est-il devenu un fardeau à porter ? De quoi relancer le débat sur la possibilité de fédérer tous les programmes en français existant en Ontario.

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